Revue des études slaves Le cycle de Kosovo et les chansons de geste Monsieur Ni

Revue des études slaves Le cycle de Kosovo et les chansons de geste Monsieur Nikola Banašević Citer ce document / Cite this document : Banašević Nikola. Le cycle de Kosovo et les chansons de geste. In: Revue des études slaves, tome 6, fascicule 3-4, 1926. pp. 224-244; doi : https://doi.org/10.3406/slave.1926.1125 https://www.persee.fr/doc/slave_0080-2557_1926_num_6_3_1125 Fichier pdf généré le 01/04/2019 c\ LE CYCLE DE KOSOVO ET LES CHANSONS DE GESTE, PAR N. BANAŠEVIĆ. I Les historiens de la littérature ont généralement négligé d'étudier les rapports qui ont pu exister entre la poésie épique yougoslave et les chansons de geste. C'est qu'on s'est obstiné pendant trop longtemps à considérer les chansons de geste comme une poésie de о forme romane mais d'esprit germanique » et qu'on préférait chercher dans les poésies allemande et Scandinave les modèles de toutes les poésies épiques européennes. Mais aujourd'hui, après les travaux considérables de ces trente dernières années, tant en France qu'à l'étranger, travaux qui ont renouvelé toute la science de la poésie épique française, on a délaissé les théories surannées du siècle dernier, et on a souligné au contraire l'immense influence exercée, durant tout le Moyen Age, et dans presque tous les pays européens, par les chansons de geste. Cette influence s'est-elle étendue, directement ou indirectement, aux pays yougoslaves si riches en poèmes épiques? Cette question importante mériterait d'être examinée minutieusement. Une enquête de longue haleine et beaucoup plus vaste que celle que nous avons pu faire serait nécessaire pour projeter de nouvelles lumières sur la question complexe des différentes influences exercées sur la poésie épique yougoslave. La question des influences françaises est d'autant plus difficile qu'on y a touché à peine jusqu'à présent. Revue des Etude* »lave», tome VI, 1936, fasc Z-lx. LE CYCLE DE KOSOVO. 225 C'est un savant russe, Veselovskij, qui, dans son important ouvrage sur {'Histoire du roman et de la nouvelle^, en étudiant les influences des littératures occidentales du Moyen Age sur les littératures slaves, a ouvert la voie dans cette direction. On sait maintenant d'une façon sûre que le motif de la Женидба Вукашина краља est entré dans le domaine yougoslave par l'intermédiaire des romans italiens sur Bovo d'Antona qui dérivent eux-mêmes de la chanson de geste Bueves ďHanstone&K Veselovskij a également fait ressortir, dans un article plein de suggestions (3), le rôle de la région vénète, qui, selon le mot de P. Rajna, était devenue « una seconda patria per la letteratura epica fra ncese »{4),. dans la diffusion de la littérature française, comme intermédiaire entre la France et le littoral yougoslave. Nous voyons aussi dans cet article qu'il y avait des Yougoslaves, au début du xvi* siècle, qui connaissaient directement la littérature française. L'un d'eux n'a-t-il pas chanté les héros de Gharlemagne {5) ? Les chanteurs slaves ne circulaient-ils pas aux xiv" et xv" siècles de l'autre côlé Vie l'Adriatique et les jongleurs italiens, colporteurs de légendes françaises, ne pouvaient-ils pas descendre jusqu'en Dalmalie? La fable de Roland, en particulier, aurait pu pénétrer en Dalmatie par l'intermédiaire de l'Omhrie, où elle était également connue; la popularité du héros français à Dubrovnik nous est en tout cas atlestée par une chronique qui prétend dater du xiv" siècle W. Pour ces raisons, et parce que la Chanson de Roland est la plus belle et surtout la plus connue des chansons de geste, on a relevé quelques ressemblances qu'elle présente avec la poésie épique yougoslave. On a trouvé surtout une analogie entre l'épisode de la mort de Roland et celui dela mort de Marko Kraljević {7). Nous croyons pouvoir établir des analogies plus frappantes encore entre les motifs de la poésie épique yougoslave et les chan- (') Veselovskij, Изт> и сторін романа и повісти, Спб. , i888, t. U. О Voir aussi T. Maretić, «Kosovski junaci i događaji u narodnoj epici*, Rad, XCVII, p. 107. (5> «Хорватскія п-Ьсни о Радослвв-fc Павловичі и италіанскія поэмы о Гн-Ьвномъ Радо і , Ж. M. H. П., janvier 1879» РР« 89-111. í4' Romania, VI, p. s5g. í5' Malgré toutes nos recherches, nous n'avons pas pu trouver le livre de Paula- vichio Juan, Libero del Rado Strizuxo, Venezia, 1 553, dont Veselovskij lui-même n'a parlé que d'après des indications de catalogues et de bibliographies. í") Voir Veselovskij, «Die Rolandsage in Ragusa», Archiv fur tlavische Philologie, V, 1881, pp. k 68-469. О Voir Chalanskij, Южно-славянскія пісви о смерти Марка Кралевича, Спб., 1O.0U. 226 N. BAIUŠKV1Ć. sons de geslo françaises. Nous nous bornerons dans cet article à l'étude du cycle kosovien et de ses analogies avec les chansons de geste. La plupart des chansons de geste qui nous ont frappé par une ressemblance de motifs avec la poé.sie épique yougoslave appartiennent au cycle de Guillaume d'Orange, qui contient, comme on sait, les plus belles chansons de geste après la Chanson de Roland^. Les chansons de ce cycle ont eu à l'étranger une diilusion immense. En Italie, elles ont été copiées et adaptées en vers et en prose, remaniées et imprimées au point de devenir souvent méconnaissables, comme dans celle vaste compilation d'Andréa da Bar- berino, de la fin du xv" siècle, intitulée les Narbonesi. On a retrouvé en Italie cinq manuscrits contenant différentes chansons de ce cycle, ce qui est déjà bien caractéristique de l'extension de la poésie épique française^; un de ces manuscrits, ce qui esl bien plus caractéristique encore pour notre sujet, a séjourné pendant près de cent ans au xiv* siècle dans un couvent de Dubrovnik, et, de là, n'a pris le chemin de Milan, où il se trouve actuellement, qu'au début du xv* siècle ^. Ainsi les contemporains de la bataille de Kosovo à Dubrovnik ont pu lire, immédiatement après le désastre serbe, le récit poétique d'une autre défaite glorieuse, celle d'Aliscans ou d'Arëfiamp, chantée par le poète français. Or le poème yougoslave sur la bataille de Kosovo que nous citerons de préférence est précisément relte intéressante bugarśtica « Кад je погинуо кнез Лазар и Милош Обилић на Косову », qui a été trouvée dans un manuscrit de Dubrovnik datant du xviii" siècle, mais dont la composition doit être bien antérieure et dont nous reparlerons un peu plus loin. Il esl vrai que le manuscrit français qui a séjourné à Dubrovnik ne donne le récit de la défaite d'Ar- champ que dans la version plus récente des deux chansons, La Chevalerie Vivien et Aliscans, tandis que les motifs que nous allons relever se trouvent dans la version archaïque de ces deux chansons, c'est-à-dire dans la rude Chançun de Willame, une des plus vieilles et des plus belles après la Chanson de Roland, découverte, comme on sait, en Angleterre, en 190З seulemenl. Mais le manuscrit W Voir sur ce rycie el les travaux dont il a été l'objet J. Bédier, Les légendes épique», a" éd., t. 1. M Voir sur la diffusion des chansons de ce cycle en Italie Gautier, Let épurées /rançaUet, 5* éd., t. IV, pp. З0-А6. (J) Voir sur ce manuscrit, et sur ses pérégrinations, l'article de F. Rajna, « Un nuovo Godice di chansons de geste del ciclo di Guglieliuo», Romania, VI, 1877, pp. 367-361. LE CYCLE DE KOSOVO. 227 découvert si heureusement au début de ce siècle n'était certainement pas unique, et l'avenir nous garde peut-être d'autres surprises de ce genre. Avant de passer à la confrontation des chansons de geste et du cyrle kosovien, et avant de chercher dans celles-là des germes qui auraient pu contribuera la formation de celui-ci, essayons de dégager le caractère des poèmes qui chantent l'événement historique de 1З89. Tout le monde est d'accord pour metlredans un groupe à part les poèmes en vers longs, appelés bugarhice, et pour les séparer des poèmes en décasyllabes. On sait que les bugarkice kosoviennes ont été conservées dans une version -datant du début du xviii" siècle ou même de la fin du xvii'W. Un copiste nous avertit qu'elles ont été recueillies dans le peuple, mais Bogišić et, après lui, Jagić admettent avec raison que Mattei et Betondić ont pu les trouver dans des manuscrits plus vieux encore et perdus pour nous(2). Les historiens ont souligné non seulement la différence de forme, mais aussi celle de loti et d'atmosphère qui existe entre les bugarstice et les chansons en décasyllabes. Jagić trouvait que la plupart des bugarkice ont un caractère * bourgeois ■ [klein- bûrgerlichen Charakter) el non populaire, mais qu'elles ne pouvaient pas être non plus l'œuvre de gens cultivés, ayant bu aux sources de l'humanisme O. Par réaction contre certaines opinions d'A. Pa- vić, St. Novakovié leur refusait le caractère de vraies chansons populaires M. Ce qui distingue pour nous la principale bugarkica kosovienne, c'est une certaine allure épique, une atmosphère féodale el l'archaïsme de quelques détails que nous relèverons un peu plus loin. Pourtant, telle que nous la lisons aujourd'hui, cette bugarkica nous .apparaît très défectueuse et même mutilée par endroits. Pour ne citer qu'un seul exemple, on s'explique assez difficilement la longueur du premier épisode consacré à Stjepan Bušić, et on se demande pourquoi ce personnage n'est pas nommé par la suite. Ce qui frappe aussi, c'est l'importance de uploads/Litterature/ le-cycle-de-kosovo-et-les-chansons-de-geste-banasevic.pdf

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