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À Paris, un soir de 1830, le marquis Raphaël de Valentin, «jeune homme» aux «cheveux blonds» bouclés, passe par une maison de jeu, se promène sur les quais de la Seine. Son moral est bas et il pense au suicide. Pendant sa promenade, il entre chez Taillefer, l’antiquaire du quai Voltaire. Après qu’il ait contemplé de nombreux objets de valeur, le marchand lui montre une «peau de chagrin» à l’apparence étrange, qui est un talisman magique qui assure à son possesseur la satisfaction de tous ses désirs mais qui diminue d’autant à chaque plaisir nouveau, abrégeant d’autant sa vie. Raphaël acquiert la peau en affirmant qu’il veut vivre avec excès. En sortant de la boutique, il marche encore dans la ville et rencontre des amis qui l’emmènent dîner dans un restaurant où se trouvent de nombreux convives parmi les plus remarquables de Paris. À la fin du repas qui a tourné à l’orgie, Raphaël expose à l’un de ses amis, Émile, les raisons de son profond malaise, en lui racontant sa vie. Sa jeunesse studieuse a été consacrée à une “Théorie de la volonté”, mais de caractère faible, il a abandonné son rêve «d’une grande renommée littéraire» pour la «conquête du pouvoir», ambition que son père, qui l’écrasait, avait pour lui, ayant voulu qu’il fît son «droit en conscience». Mais il mourut, et Raphaël n’eut plus qu’une modeste rente et lui, qui avait «l’imagination la plus vagabonde, le cœur le plus amoureux, l’âme la plus tendre, l’esprit le plus poétique», abandonna ses études et s’installa dans une mansarde d’un hôtel où il lutina Pauline Gaudin, la fille de la maîtresse de l’hôtel, belle, «gracieuse», possédant «des formes qu’une femme eut admirées», semblant «être tout à la fois jeune fille et femme». Elle lui était totalement dévouée, tout en restant très discrète. Raphaël rencontra ensuite Eugène de Rastignac, qui le fit entrer dans la haute société et lui présenta Fœdora, la femme la plus en vue de Paris. Il s’ensuivit entre eux un long jeu de séduction dans lequel elle se refusa et où, ayant dépensé la totalité de sa fortune, il finit par renoncer. Il gagna alors un petit pactole au jeu, et, dans un élan suicidaire, décida avec Rastignac de le dilapider en menant une vie de débauche. Il quitta pour cela sa mansarde et abandonna donc Pauline. Sa fortune maintenant dissipée, il est toujours en vie. Raphaël sort alors de sa poche la peau de chagrin et souhaite disposer de deux cent mille livres de rente. À la fin de la soirée, les deux amis s’endorment sur place. Le lendemain matin, un notaire annonce à Raphaël qu’il a hérité d’une immense fortune. Il veut alors «vivre avec excès», mais, la peau diminuant, il prend peur et reprend «toute sa raison par la brusque obéissance du sort». Il veut alors «vivre à tout prix» et, pour ne plus rien souhaiter, s’installe seul dans un grand hôtel privé de la rue de Varennes qu’il s’est offert, duquel il sort très peu. Cependant, un soir, il se rend au Théâtre Italien et y rencontre Pauline, devenue baronne et riche grâce à l’héritage de son père et revenue de l’étranger où il s’était enrichi. Le lendemain, en se revoyant, ils se déclarent leur amour et ne se quittent alors presque plus. Il se laisse «aller au bonheur d’aimer». Cependant, à la suite de vœux involontaires, la peau de chagrin se réduit considérablement. Raphaël la jette alors au fond d’un puits et se laisse aller à sa vie amoureuse. Mais, un jour, la peau lui est ramenée par son jardinier, inaltérée mais encore restreinte. Il consulte des sommités de la science afin de déterminer sa nature et de vérifier sa résistance, essaie alors de la détruire par tous les moyens possibles : compression, combustion, réactions chimiques, mais rien n’y fait, elle est indestructible. Cela le désespère. Une nuit, Pauline remarque que, pendant son sommeil, il a du mal à respirer : il est dévoré par la phtisie. Sur les conseils de ses médecins, il part donc en cure à Aix, où, restant «longtemps seul», se montrant «peu soucieux des autres», il est rejeté par les autres patients. Il tue même, aidé par le talisman, l’un d’eux lors d’un duel. Il part alors prendre les eaux du Mont-Dore, en Auvergne, mais demeure chez des paysans dans la montagne où, voulant se fondre avec la nature, il reste un temps tandis que son état de santé se dégrade de plus en plus. Puis il rentre chez lui où l’attendent de nombreuses lettres de Pauline qui est accablée de ne plus le voir car, s’il l’aime encore, il la repousse de peur qu’elle ne le fasse mourir : «Si tu restes là, je meurs». Elle revient pourtant un soir alors qu’il est très mal en point. Il lui dévoile alors son destin, lié au talisman, ce qui entraîne une dispute pendant laquelle la peau rétrécit inexorablement. Dans un élan de passion, Pauline veut alors se suicider, mais elle en est empêchée par Raphaël, et c’est finalement lui qui meurt. Analyse Intérêt de l’action Le roman a un côté autobiographique, Balzac s’étant incarné dans Raphaël :  comme lui, il a imaginé pouvoir conquérir Paris en vivant dans la pauvreté la plus totale pour écrire ;  comme lui, il a connu des expériences malheureuses ;  comme lui, il a écrit une “Théorie de la volonté” ;  comme lui (134), il voulut «débuter par un chef-d’œuvre, ou (se) tordre le cou», ainsi qu’il l’écrivit à sa sœur, Laure, en novembre 1819. “La peau de chagrin” réalisa ce désir précoce en 1831, après un long apprentissage sous divers pseudonymes. Du fait de la place que tient dans le roman, l’action des forces irrationnelles («diaboliques») sur l’être humain (la réaction de Raphaël devant le «fait impossible»), de l’intrusion du surnaturel dans la vie réelle («c’est un ouvrage où des observations réelles et pleines de finesse sont enfermées dans un cercle de magie»), de l’incertitude constante entre une explication naturelle des événements et une explication surnaturelle, “La peau de chagrin” est un roman fantastique qui participait à la vogue que connaissait alors le genre. Balzac, curieux d’occultisme, de magie, de phénomènes mystiques et magnétiques, subit l’influence d’auteurs tels que Swedenborg et Hoffmann : les hallucinations de Raphaël chez l’antiquaire du quai Voltaire dont le capharnaüm est décrit avec magnificence étaient héritées de Hoffmann à l’ouvrage duquel, “Les élixirs du diable”, il est fait allusion. Dans le prologue, Raphaël apparaît comme un personnage mythique, voilé, qui s’apprête à mourir et en qui s’affrontent des forces surnaturelles, le Bien et le Mal, la Vie et la Mort. Il connaît une première métamorphose par sa visite chez l’antiquaire qui lui propose un choix plus radical que le suicide : «Vouloir nous brûle et Pouvoir nous détruit, mais Savoir laisse notre faible organisation dans un perpétuel état de calme». Le personnage de l’antiquaire donne la clef de cette opposition : il échafaude une théorie de la connaissance fondée sur la pensée, où les passions sont réduites à l’état de rêveries. La peau de chagrin est effectivement un talisman, mais on l’oublie très vite car ce n’est qu’une allégorie. L’auteur, en très habile artiste, lui substitue une cause naturelle : elle est le symbole de la phtisie qui dévore Raphaël. Elle est un «deus ex machina», un véhicule magique qui nous promène dans toutes les sphères sociales pour y voir l’application des «principes philosophiques». Mais cette sérénité ne résiste pas au souhait de Raphaël et la métamorphose du vieillard montre là encore la force du désir. Le roman donne plusieurs exemples de voyance : Pauline et sa mère prédisent l’avenir par des pratiques superstitieuses ; Raphaël est doté d’une clairvoyance surnaturelle sans relation avec la possession de la peau, dès sa jeunesse, puis plus tard, il se détache des choses terrestres, il est lucide sur lui-même, a des pressentiments, fait des prédiction, jouit d’un magnétisme, manifeste un don d’intuition. L’opposition entre la rationalité et le mysticisme est illustrée par l’incapacité des hommes de science à analyser la peau de chagrin : le naturaliste Lacrampe, le physicien Planchette, le mécanicien Spieghalter, le chimiste Japhet, ainsi que par les désaccords des médecins examinant Raphaël. L’irrationnel semble donc là aussi puissant que le rationnel. Les deux aspects de Balzac relevés par Baudelaire (“L’art romantique”, premier article sur Théophile Gautier, 1859), «Balzac observateur» et «Balzac visionnaire», sont complémentaires dans “La peau de chagrin”. Cette singulière synthèse de réalisme rationnel et d’irrationnel ne se retrouve pas ailleurs dans “La comédie humaine”. Pourtant, il écrivit des oeuvres fantastiques même s’il les considérait «philosophiques», accumulant des notes qui avaient trait à l’immortalité de l’âme, à la nature de la vie et de la volonté, s’intéressant aux problèmes de religion. Ainsi on peut rapprocher “La peau de chagrin” de :  “La recherche de l’absolu” (1834) : le désir de Balthazar Claës est celui de la connaissance scientifique de l’absolu, et sa mort apparaît comme une libération, au moment même de uploads/Litterature/ le-peau-de-chagrin.pdf

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