Le vocabulaire paléo-chrétien dans les écrits des auteurs profanes par G. J. M.
Le vocabulaire paléo-chrétien dans les écrits des auteurs profanes par G. J. M. BARTELINK (Nijmegen) Nous nous proposons d'esquisser ici dans quelle mesure les auteurs profanes grecs et latins des premiers siècles ont pris connaissance du vocabulaire des chrétiens. Notre but n'est pas de donner un aperçu aussi complet que possible, mais de tracer les grandes lignes et de donner un certain nombre d'exemples 1• Notons en premier lieu que ce n'est qu'un groupe assez restreint d'auteurs profanes chez qui l'on trouve des traces du vocabulaire et de l'usage chrétiens. La grande masse des païens n'a eu, pendant les premiers siècles du christianisme, qu'un contact superficiel et accidentel, dans la vie de tous les jours, avec les idées et les croyances chrétiennes, tandis que les écrits chrétiens, y compris les ouvrages apologétiques, ne trouvaient que peu de lecteurs païens 2• Quand, vers la fin 1 Quelques études de détail : G. B. PIGHI, Latinità cristiana negli scrittori pagani del 1 V secolo, dans : Studi dedicati alla memoria di Paolo Ubaldi, Milan 1937, p. 41-72; id., Ammianus Marcellinus, Reallex. f. Ant. und Christentum 1, c. 391-394; G. J. M. BARTELINK, Julien et le vocabulaire chrétien, Vig. Chr. 11 (1957), p. 37-48 ; id., Eunape et le vocabulaire chrétien, Vig. Chr. 23 (1969), p. 293-303 ; Jeanne-Marie DEMAROLLE, Un aspect de la polémique païenne à la fin du IJ Je siècle : le vocabulaire chrétien de Porphyre, Vig. Chr. 26 (1972), p. 117-129; G. J. M. BARTELINK, Wat wisten de heidenen van het oudchristelijk taalgebruik? Nimègue 1975. 2 Cf. F. MARTINAZZOLI, Parataxeis. Le testimonianze stoiche sul cristianesimo, Firenze 1953, p. S'; E. NoRDEN, Die Antike Kunstprosa 6 G. J. M. BARTELINK (2) du deuxieme siecle, Ie nombre des chretiens augmentait considerablement et que, pour cette raison, Ie christianisme commenf;ait a se manifester dans plusieurs domaines de la vie quotidienne, il est vraisemblable que maints non-chre- tiens furent impressionnes par leur noble morale et leur amour du prochain; mais d'autre part beaucoup ajouterent foi aux histoires malveillantes qu'on se racontait sur les chretiens. II y avait des gens qui furent temoIns de la de- fense des chretiens devant les juges. Par cette voie des ele- ments du vocabulaire chretien auront pu franchir les fron- tieres du milieu chretien. II y en avait aussi qui, par curio- site, visitaient les prisonniers chretiens. Sur les effets de ces propos tenus dans les prisons, la Passio Sanctarum Perpe- tuae et Felicitatis no us dit: Ita omnes inde adtoniti discede- bani, ex quibus multi crediderunt (17,3). II va de soi qu'au cours dli quatrieme siecle, les chretiens, etant devenus un facteur de plus en plus important dans la vie sociale, des phenomenes comme Ie culte des martyrs et l'expansion du monachisme ont frappe aussi les non-chre- tiens: ce sont precisement quelques termes chretiens appar- tenant aces domaines qu' on trouve dans les ecrits profanes contemporains. Le nombre de ceux qui ont lu les evangiles, les epitres des apotres et, eventuellement, d'autres ecrits chretiens, semble se restreindre a peu pres exclusivement aux polemistes qui se devaient de prendre connaissance de certaines sources chre- tiennes. Cela s'explique notammellt par Ie fait que la langue peu soignee des textes chretiens -et surtout les solecismes du Nouveau Testament dans les traductions latines -a ete une pierre d' achoppement pour les paiens cultives, comme plusieurs d'entre eux ne manquerent pas de l'affirmer 3. II II, Darmstadt 1958°, p. 518. Sur la propagande secrete chretienne par des gens simples on peut se referer a quelques remarques de GeIse (chez Origene, Contra Celsum 3,55). Nous trouvons chez Justin une description d'une rencontre fortuite et d'un discours entre un chre- tien et un paien (Dialog. c. Tryph. 8,1). A consulter aussi: Kirchen- geschichte als Missionsgeschichte I. Die Alte Kirche, herausgeg. v. H. FROHNES und U. W. KNORR, Miinchen 1974, p. 64-67. 3 cr. Tertullien, De test. an. 1,4 (CCL 1, p. 175, 30-31) Tanto abest, ut nostris litteris annuant homines, ad quas nemo venit nisi iam Chris- 7 (3) LE VOCABULAIRE PALEO-CHRETIEN est caracteristique, par exemple, que Lactance a pu ecrire, a propos des ecrits de Cyprien, que leg quelques paiens qui ont prig connaissance de ses reuvres s'en moquaient, parce que Cyprien ne prenait ses exemples et ses citations que dans la Bible: Inst. Div. 5, 1,26 (CSEL 19, p. 402, 18-21 ; p. 403, 1) : hic tamen placere ultra verba sacramentum ignorantibus non potest, quoniam mystica sunt quae loculus est et ad id praepa- rata, ut a solis fidelibus audiantur : denique a doctis huius sae- culi, quibus forte scripta eius innotuerunt, derideri solei. Les polemistes eux-m~mes ont~ils ete conscients de l'influence enorme du christianisme sur la langue et Ie vocabulaire de ses adeptes? N ous devons reconnaitre que leg temoignages sur ce point nous font absolument defaut. Nos sources deviennent plus riches avec la paix constanti- nienne, particulierement leg sources profanes 4, En outre il faut tenir compte du fait que pendant leg premiers siecles Ie christianisme a subi une evolution continue, qui se reflete dans Ie vocabulaire. En ce qui concerne la forme linguistique dans laquelle leg sources sont venues jusqu'a nous, il faut constater que leg ouvrages des polemistes contre Ie christia- tianus. M~me des auteurs chretiens cultives out eu de la peine a se detacher de leurs prejuges; voir Aug. Cont. 3,5 et Jerome, Ep. 22,1. 4 Voir par exemple K. LINCK, De antiquissimis veterum quae ad Iesum Nazarenum spectant testimoniis (Religionsgesch. Versuche und Vorarbeiten 14,1) Giessen 1913. Sur une mention des paraboles neo- testamentaires chez Galene voir: E. NORDEN, Die Antike Kunstprosa II, Darmstadt 19585, p. 510-519; R. WALZER, Galen on Jews and Christians, Oxford 1949. II faut admettre que Philo strate a connu leg Livres Saints. Dans sa Vie d' Apollonius de Tyane on trouve cer- taines similitudes avec leg textes neotestamentaires; cr. P. DE LA- BRIOLLE, La reaction paienne, Paris 1934, p. 187 : « II etait naturel que, pour composer son ideal de sagesse, incarne dans Apollonius, Philos- trate utilisftt it l'occasion, parmi d'autres sources, quelques traits tires des livres chretiens &. II faut relever enfin, que Ie prologue de l'Evangile de St. Jean jouissait d'une certaine faveur dans quelques cercles neoplatoniciens; cr. Eus. de Cesa,ree, Praep. ev. 11, 19, 1 oil figure la citation de Jean 1, lss. (qualifie de ,8a(!,8a(!o,) dans un ecrit neoplatonicien; voir J. M. RIST, St. John and Amelius, J. Th. S. 20 (1969), p. 230-231. Sur Ie probleme des parodies antichretiennes chez Apulee on consultera: E. PARATORE, La novella in Apuleio, Messina 1942, p. 60 et 227. 8 (4) G. J. M. BARTELINK nisme nous ont ete transmis mutiles et par line voie indi- recte °. Les dialogues entre Ie martyr chretien et Ie juge, -qui pourraient presenter un inter~t tout particulier pour montrer a quel point un non-chretien pouvait comprendre un chretien qui parlait de sa foi, sont souvent d'une authentici- te douteuse, m~me certains actes de l'epoque la plus reculee. Cela n'emp~che pas que les temoignages des actes les plus anciens demontrent la presence d 'line certaine barriere lin- guistique in religiosis 6. 1. Auteurs paiens du deuxieme siecle: Pline Ie Jeune et Lucien. Un des premiers documents oil un palen parle des chretiens est la lettre de Pline Ie Jeune, adressee a l'empereur Trajan, sur leg interrogatoires judiciaires des chretiens en Bithynie (Ep. 96, d'environ 112). En tant que prefet de cette province, Pline rapporte en latin sur des interrogatoires qui ont eu lieu selon toute vraisemblance en grec. Dans ce cas Ie terme ministrae (de caractere technique selon Ie texte : Ep. 96,8 ex duabus ancillis quae ministrae dicebantur) C'on- stitue line traduction de rjta"o'Vot. Le terme 1/ rjta"o'Vo~ appartient a l'usage chretien grec; on trouve Ie mot deja dans l'Epitre aux Romains 16, 1, oil il est cependant incer- tain s'il s'agit d'un gens technique. Les chretiens latins eux- m~mes ont emprunte plus tard Ie mot grec (diacona, et sur- tout diaconissa). La lettre de Pline ne no us fournit pas d'autres preuves de l'existence de termes chretiens. On trouve bien Ie terme conliteri, mais sans line connotation chretienne 5 Les polemistes se sont documentes surtout sur la doctrine; ils puisent leurs donnees particulierement dans Ie Nouveau Testament. Leur information concernant la pratique de la vie chretienne est en general beaucoup moins etendue. Voir De LABRIOLLE, La reaction, passim. 6 Dans ce contexte, les quelques explications de termes chretiens telles qu'on les trouve chez des Apologistes comme Justin et Tertullien, meritent l'attention. Voir aussi: A. KRANICH, Qua via ac ratione Clemens Alexandrinus ethnicos ad religionem christianam adducere studuerit, Braunsberg, Akademie, Verzeichnis der Vorlesungen, 1908/09; I. AUF DER MAUR, Dus aile Miinchtum und die Glaubens- verkiindigung, Neue Zeitschr. f. Missionswiss. 18 (1962), p. 275-288 ; Christine MOHRMANN, Das Sprachenproblem in der triihchristlichen Mission, Zeitschr. f. Missionswiss. 38 (1954), p. 103-111. 9 (5) LE VOCABULAIRE PALEO-CHRETIEN quelconque (Ep. 96,3 Interrogavi ipsos, an essent Christiani. Confi ten tes iterum ac tertia interrogavi). Or, c'est precisement ce terme judiciaire autour duquel se manifesteront a plusieursreprises les uploads/Litterature/ le-vocabulaire-paleo-chretien-dans-les-ecrits-des-auteurs-profanes-par-g-j-m-bartelink.pdf
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- Publié le Aoû 25, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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