Pratiques Linguistique, littérature, didactique 153-154 | 2012 Littéracies univ
Pratiques Linguistique, littérature, didactique 153-154 | 2012 Littéracies universitaires : nouvelles perspectives Les didactiques et la question des littéracies universitaires Yves Reuter Édition électronique URL : http://pratiques.revues.org/1979 DOI : 10.4000/pratiques.1979 ISSN : 2425-2042 Éditeur Centre de recherche sur les médiations (CREM) Édition imprimée Date de publication : 15 juin 2012 Pagination : 161-176 Référence électronique Yves Reuter, « Les didactiques et la question des littéracies universitaires », Pratiques [En ligne], 153-154 | 2012, mis en ligne le 13 juin 2014, consulté le 30 septembre 2016. URL : http:// pratiques.revues.org/1979 ; DOI : 10.4000/pratiques.1979 Ce document est un fac-similé de l'édition imprimée. © Tous droits réservés J’aborderai dans cet article (1) les quatre questions suivantes (2). En premier lieu, les déplacements dans les manières de penser les contenus et les écrits à l'université, ainsi que les difficultés qui sont attachées à ces écrits et les remé- diations possibles, qu'implique le simple fait d'avancer le syntagme de littéra- cies universitaires. Puis j’interrogerai les disciplines de recherche qui ont plus ou moins traité ces questions, ou qui sont susceptibles de le faire, en essayant de préciser quelles limites présente, à mon sens, leur mode d’appréhension de ces problèmes. Je m'attacherai ensuite à spécifier les singularités et les intérêts de la perspective propre aux didactiques, en tant que disciplines de recherche, pour penser ces questions avant de conclure sur les problèmes que l'approche didactique rencontre et qu’elle doit tenter de résoudre. 1. Six déplacements d'ampleur Il me parait important, en premier lieu, de prendre la mesure des déplace- ments dans les manières classiques de penser l’écrit, les contenus, la formation et la recherche – au moins en France – qu'induit le simple fait de poser l’expres- sion littéracies universitaires comme titre d'une recherche et d'un colloque ré- 161 PRATIQUES N° 153/154, Juin 2012 Les didactiques et la question des littéracies universitaires Yves Reuter Université de Lille 3 Laboratoire Théodile-CIREL (E.A. 4354) (1) Cet article est une réécriture de ma communication au colloque international : Littéracies universitaires : savoirs, écrits, disciplines, organisé à l'Université de Lille 3, les 2, 3 et 4 septembre 2010 (I. Delcambre, D. Lahanier-Reuter, F. Boch, dir.). (2) Je ne développerai pas ici une approche historique des questions posées, maitrisant insuffi- samment l'histoire des littéracies universitaires et des problèmes qu'elles ont suscités à l'échelon international. Il me semble cependant qu'il s'agit là d'un projet de recherche com- paratiste particulièrement stimulant. unissant des chercheurs issus de diverses communautés de recherche (3). Je m'attarderai plus particulièrement sur six de ces déplacements que je considère majeurs. 1.1. Des techniques aux pratiques sociales Le premier d’entre eux me parait résider en ce que la lecture et l'écriture ne sont plus considérées, comme c’est encore majoritairement le cas à tous les ni- veaux de l'institution scolaire, comme des techniques indépendantes de leur conditions d’exercice mais comme des pratiques sociales (4), tributaires à ce ti- tre des contenus, des situations, des enjeux, des communautés, des sphères so- cio-institutionnelles... Complémentairement, langue ou écrit, ne sont pas con- sidérés essentiellement comme des codes, comme des ensembles d'unités et de règles d'assemblage de ces unités, comme des objets dotés d'une existence (re- lativement) indépendante mais sont appréhendés sous l'angle de leurs condi- tions de possibilité, de leurs usages et de leurs effets par et pour des sujets don- nés dans des contextes sociaux déterminés. L'arrière-plan convoqué me parait ainsi se déplacer de modélisations issues de la tradition scolaire, voire de cer- taines approches théoriques de la langue (sensiblement édulcorées par rapport à leur complexité originelle) à des cadres sollicitant plutôt l’héritage bakhti- nien, la socio-linguistique, les approches socio- et ethno- logiques de l'écrit (5), les travaux sur le rapport à l'écrit (6) ou sur le langage au travail (7)... 1.2. Des savoirs « abstraits » aux pratiques (discursives) des savoirs Le second déplacement, indissociable du premier et aux conséquences tout aussi remarquables, me parait porter sur les conceptions mêmes des savoirs qui n'ont plus, dans ce cadre, une existence « abstraite », en quelque sorte indépen- dante de leurs formes langagières et des pratiques de production et de réception qui les mettent en œuvre. Les savoirs sont ainsi considérés comme formatés par des genres, des écrits, des pratiques de lecture et d'écriture... qui les instituent socialement et qui font qu'un sujet social n'est jamais confronté à un savoir pu- rement « idéel » mais à un savoir institué langagièrement, cette institution structurant, de manière déterminante, qu’elle soit facilitante ou non, l'appro- priation du « contenu de savoir ». 1.3. De fonctionnements universitaires peu interrogés à la perception d'un échec inadmissible Le troisième déplacement induit par le fait de poser l'expression littéracies 162 (3) Sur l'absence d'évidence de l'introduction du terme de littéracies dans le champ des didacti- ques, voir par exemple Lidil, 2003, et Barré de Miniac, Brissaud, Rispail, dir., 2004. (4) Sur cette notion, voir Reuter, 1996, pp. 58-65. J’y reviendrai dans la suite cet article. (5) Voir, par exemple, les travaux de Goody (notamment Goody, 1977). (6) Voir, entre autres, Lahire, 1993 ou Charlot, Bautier, Rochex 1992. (7) Par exemple, Borzeix et Fraenckel, 2001. universitaires me parait résider dans une prise de conscience qui entraine une analyse critique des fonctionnements universitaires classiques dans la mesure où : – ils n'ont rien de naturel, ainsi qu'en attestent les études sur leurs varia- tions diachroniques et synchroniques ; – ils engendrent, ou au minimum n'empêchent pas, des difficultés voire un échec important chez les étudiants ; – cet échec est socialement préoccupant ; – cet échec ne peut être attribué « simplement » aux capacités cognitives des étudiants (qui seraient considérées a priori comme insuffisantes). 1.4. D’un constat fataliste à un projet d’action légitime Mais le constat de cet échec, aussi préoccupant soit-il, me parait encore être accompagné par un quatrième déplacement, loin d'avoir été évident ou, en tout cas, loin d'être mécaniquement lié au précédent. Il consiste à penser que les dif- ficultés rencontrées sont légitimement traitables à l'université, i.e. que leur traitement ne disqualifie ni l'université, ni les universitaires qui s'en chargent, sous prétexte qu’il « secondariserait », voire qu’il « primariserait » l'université et de surcroit qu’elles sont possiblement traitables à l’université. Ce qui signi- fie que tout ne se joue pas avant cinq ans... ou avant dix-huit ans. Ce qui signifie encore un changement de posture consistant à ne plus rejeter les problèmes sur les étapes antérieures du cursus pour mieux éviter de les traiter ou d’avouer son impuissance à les traiter, comme c’est encore trop souvent le cas, au moins en France 1.5. De la répétition à des dispositifs de remédiation adossés aux pratiques universitaires Le cinquième déplacement, même s'il peut sembler structurellement attaché au précédent, n'a cependant, lui non plus, rien d'évident, référé aux fonctionne- ments universitaires classiques. Il consiste à poser que les interventions envi- sageables (et potentiellement efficaces) ne portent pas principalement sur la maîtrise de la langue (par exemple la syntaxe ou l’orthographe) « en général » ou sur des savoir-faire (la lecture et l’écriture considérées comme des techni- ques « autonomes »), c'est-à-dire sur ce qui a été étudié avant l'entrée à l'univer- sité et dans des formes identiques à celles de la scolarité antérieure, mais que ces interventions possibles reposent prioritairement sur l'analyse des pratiques disciplinaires propres aux études universitaires (et cela, aux différentes étape du cursus et selon les différentes filières), sur l'analyse des représentations as- sociées à ces pratiques (que ce soit celles des étudiants ou celles des ensei- gnants), sur l'analyse des dispositifs d'enseignement eux-mêmes en tant qu'ils s'avèrent insuffisamment efficaces, voire qu’ils sont susceptibles d'engendrer certaines de ces difficultés... 163 1.6. De la disqualification à la légitimité des littéracies universitaires comme objets de recherche possibles Le dernier déplacement que j'évoquerai ici est peut-être le plus étonnant au regard des traditions universitaires et de la légitimité des objets de recher- che (8). Il consiste à poser que travailler en recherchesur l'échec des étudiants et sur les manières d'y remédier, sur la lecture et l’écriture à l'université, sur les difficultés qui leur sont liées, sur les stratégies d'intervention possibles et sur leurs effets sont des objets de recherche tout aussi nobles que les blancs chro- nologiques chez Flaubert, la théorie du chaos, les neutrinos ou la pensée de Heidegger... 2. Quelques limites des disciplines de recherche traitant de ces problèmes Après avoir précisé les déplacements en jeu, il convient maintenant de s'in- terroger sur les disciplines de recherche traitant – ou susceptibles de traiter – ces questions et sur leurs limites, limites qui justifient à mes yeux l'approche didactique que je présenterai immédiatement après. 2.1. Une réelle multiplicité de disciplines... De multiples disciplines de recherche ont montré qu'elles pouvaient appor- ter des éclairages importants sur les questions qui nous préoccupent ici. Je cite- rai ainsi, à titre d'exemples et sans volonté aucune d'exhaustivité (9), l'histoire de l'éducation, lorsqu'elle étudie, dans la perspective diachronique qui est la sienne, les modes d'enseignement et les modalités de travail des étudiants à l'université, la sociologie dans ses composantes qui se préoccupent uploads/Litterature/ les-didactiques-et-la-question-des-litteracies-universitaires.pdf
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- Publié le Jul 13, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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