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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : erudit@umontreal.ca Article Jean Delisle Meta : journal des traducteurs / Meta: Translators' Journal, vol. 50, n° 3, 2005, p. 831-850. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/011599ar DOI: 10.7202/011599ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 6 August 2014 04:51 « Les nouvelles règles de traduction du Vatican » Les nouvelles règles de traduction du Vatican1 jean delisle Université d’Ottawa, Ottawa, Canada jdelisle@uottawa.ca RÉSUMÉ Après avoir rappelé brièvement l’attitude de l’Église catholique à l’égard des traductions et des traducteurs au cours de son histoire et en particulier aux ive et xvie siècles, nous examinons les principaux documents émanant du Vatican depuis 1943 afin de dégager la conception de l’Église à l’égard de la traduction. Nous analysons en détail la cinquième instruction post-conciliaire, Liturgiam authenticam (2001), véritable «traité de traduc- tion» dans lequel Rome édicte des règles précises et contraignantes pour la traduction de la Bible et des textes liturgiques. En conclusion, nous portons un jugement critique sur la vision de la traduction qui se dégage de ce traité. ABSTRACT After a brief look at the attitude of the Catholic Church towards translation and translators throughout history, and particularly in the 4th and 16th centuries, we will examine the key Vatican documents published since 1943, with the intention of showing the Church’s notions of translation. Particular attention will be given to the fifth post- Vatican II instruction, Liturgiam authenticam (2001), which is actually a treatise on trans- lation, in which Rome has laid down precise and stringent rules for translating the Bible and liturgical texts. We will conclude by casting a critical eye on the conceptions (or misconceptions) of translation found in the treatise. MOTS-CLÉS/KEYWORDS histoire de la traduction, règles de traduction, Église catholique, Vatican, instructions post-conciliaires «La Bible a été et demeure l’ambassadrice auprès des nations occi- dentales de la sagesse orientale. Les ambassadeurs qui restent trop longtemps loin de leur patrie risquent, on le sait, d’en oublier le vrai visage. Ainsi en a-t-il été de la Bible.» (André Chouraqui, L’amour fort comme la mort, 1990) Rappel historique Depuis ses origines, l’Église catholique a partie liée avec la traduction, à tel point que l’on a pu écrire que «traduire est le mouvement originel du christianisme» (Boyer 2002: 120), que «traduire la Bible c’est toujours traduire de la traduction» (ibid.: 69) et que « la traduction de la Bible est une activité typiquement chrétienne2» (Rabin 1972: 16). Les textes fondamentaux du christianisme publiés en langues verna- culaires sont, on le sait, des traductions de traductions… dont l’original n’existe plus. Donc des traductions de copies de copies. On comprend dès lors que l’Église catho- lique ait toujours fait preuve de vigilance et de prudence, voire d’une certaine méfiance à l’égard des traductions, pourtant indispensables à sa mission: pas d’évangélisation Meta, L, 3, 2005 832 Meta, L, 3, 2005 sans traduction. On se souvient qu’au ive siècle circulaient dans la chrétienté plu- sieurs traductions en langues syriaque, arménienne, éthiopienne, grecque et latine, dont la Vetus latina. Cette traduction, la plus ancienne en cette langue, fut réalisée entre 200 et 250 en Afrique proconsulaire par des communautés chrétiennes qui ne comprenaient pas le grec, langue de l’Église primitive. Comme ces versions diver- geaient entre elles et renfermaient de nombreuses erreurs, un travail de révision s’im- posait. Le pape Damase Ier (v. 305-384) confia alors à Eusebius Hieronymus (Jérôme, v. 347-420), la redoutable tâche de réviser la Bible. Son travail, réalisé à Bethléem, aboutit à la Vulgate3. Le docteur de Stridon était l’homme de la situation; il réunis- sait toutes les compétences linguistiques et philologiques nécessaires pour accomplir cette révision. À la fois philosophe, rhéteur, grammairien, dialecticien et traducteur, Jérôme avait une connaissance approfondie de l’hébreu, du grec et du latin. Il est non seulement le premier traducteur-réviseur de la Bible, mais aussi le premier véritable théoricien de la traduction. Ses nombreux écrits renferment une conception cohé- rente de la traduction (Kelly 1975: 162-163; Kelly 1976). Dans les siècles qui ont suivi, l’Église fit de sa Vulgate un livre canonique. Au xvie siècle, les réformistes protestants en Europe multiplient les traductions en langues vulgaires pour que les fidèles puissent lire et interpréter la Bible par eux- mêmes, sapant par le fait même le monopole de l’interprétation des Écritures que l’Église romaine s’était arrogé4. La contre-réforme et l’Inquisition furent les manifes- tations de la réaction de Rome, qui s’opposait farouchement à cette prolifération de traductions, considérée comme source d’erreurs et de division. Au plus fort de la Réforme5, l’Église a jugé nécessaire, lors du concile de Trente (1545-1563) au cours duquel furent examinés tous les points fondamentaux de la doctrine catholique, de proclamer officiellement l’édition de la Vulgate comme la seule version authentique des Saintes Écritures, déclaration qui du coup discréditait aux yeux des catholiques toutes les versions en langues vulgaires et les rendaient nulles et non avenues. Lors de sa séance du 8 avril 1546, le Concile a considéré qu’il pourrait être d’une grande utilité pour l’Église de Dieu de savoir, parmi toutes les éditions latines des livres saints qui sont en circulation, celle que l’on doit tenir pour authentique: aussi statue-t-il et déclare-t-il que la vieille édition de la Vulgate, approuvée dans l’Église même par un long usage de tant de siècles, doit être tenue pour authentique dans les leçons publiques, les discussions, les prédications et les explications, et que personne n’ait l’audace ou la présomption de la rejeter sous quel- que prétexte que ce soit (Denzinger 2001: no 1506). L’Église ne toléra que les traductions accompagnées d’annotations fiables tirées des écrits des pères et docteurs de l’Église catholique. Si elle se montrait méfiante à l’égard des traductions, Rome, jalouse de son pri- vilège exclusif d’interprétation des Écritures, ne voyait pas d’un bon œil non plus que les fidèles, le «commun ignorant» selon l’expression de Pie VII, s’adonnent à la libre lecture des Saintes Écritures. En 1816, ce souverain pontife écrivait: « Si la sainte Bible est admise en langue vulgaire en tous lieux, sans discrimination, il en résulte plus de dommage que d’utilité» (Pie VII 1816). Les traductions en langues vernacu- laires étant forcément différentes les unes des autres – il est dans la nature même de la traduction de faire différent –, les chefs de l’Église ont toujours craint que ces multiples traductions «ébranlent l’immutabilité du témoignage divin» et fassent «chanceler la foi» (ibid.). Plus que toute autre institution, l’Église catholique souffre de la malédiction de Babel. C’est pourquoi elle a toujours entretenu une relation ambivalente à l’égard de la traduction et a souvent tenu les traducteurs pour «héré- tiques». Elle a tendance à les soupçonner de vouloir propager insidieusement des erreurs doctrinales en éditant la Bible dans des langues que les fidèles peuvent lire et comprendre, ce qui a pour effet de saper son pouvoir. Sans être dépositaire des livres originaux (la Bible hébraïque est antérieure au christianisme), l’Église s’estime néan- moins dépositaire de plein droit de l’orthodoxie chrétienne. Aussi traduire la Bible peut-il devenir un acte périlleux, une activité subversive. Les censeurs ecclésiastiques se tiennent aux aguets pour traquer les traducteurs qui osent défier l’autorité romaine en proposant de nouvelles versions des Écritures. Plusieurs de ces traducteurs coura- geux ont péri sur le bûcher (Dolet, Tyndale, Hus), d’autres ont été emprisonnés (Fray Luis de León), persécutés ou contraints de s’expatrier (Calvin, Lefèvre d’Étaples, Marot, Robert Estienne), déclarés hérétiques et excommuniés (Wyclif, Luther), mis à l’index (Littré, Renan et combien d’autres…), ou encore ont vu leurs écrits subir un autodafé ou être abondamment caviardés (Érasme). Les moyens de répression dont dispose l’Église et dont les traducteurs ont été victimes au cours de l’histoire sont nombreux. «Si un traducteur doit payer son travail de sa vie ou de sa liberté, c’est que les enjeux de son activité sont parfois plus élevés qu’on ne le croit» (Pym 1997: 12). On peut dire que l’Église catholique n’a jamais été tendre envers les traducteurs, pourtant indispensables à son rayonnement universel. En 1844, le pape Grégoire XVI porte un jugement sévère sur eux et rappelle les dangers que représentent les traduc- tions en langues vulgaires quand elles ne portent pas le sceau de Rome: Vous n’ignorez pas, écrit-il, quelle diligence et quelle sagesse sont requises pour traduire fidèlement dans notre langue les paroles du Seigneur, puisque aussi bien rien ne se produit plus facilement que ces erreurs très graves introduites dans les traductions multipliées par les sociétés bibliques, et qui proviennent de la sottise et de la tromperie uploads/Litterature/ les-nouvelles-regles-de-traduction-du-vatican.pdf
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- Publié le Nov 30, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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