1 LE SECRET LITTERAIRE ET LA LITTERATURE Quand on parle de « secret littéraire
1 LE SECRET LITTERAIRE ET LA LITTERATURE Quand on parle de « secret littéraire » on pense à une notion d’indicible. L’opacité des relations narratives est mise en évidence grâce à la tension entre dicible et indicible. Il faut identifier les configurations que le secret permet de dévoiler. Le secret est un outil silencieux et bavard à la fois. Si on pense à la présence du secret dans notre vie, on peut penser aux fausses communications qui se cachent derrière les outils de communication → La présence exacerbée du sujet aujourd’hui mène la tension vers l’excès de présentation du moi. Il s’agit d’une mise en évidence d’un moi qui garde la force de l’invasion dans l’espace d’autrui : c’est le moi qui s’impose et qui fait passer une certaine image de soi. On a une perception du moi plié sur sa propre partie du monde. Cet essai de visibilité, l’un des traits les plus répandus dans notre société qui mène à l’extrême la communication, n’a rien à voir avec l’intimité liée à l’espace littéraire, qui permet de gagner une forme d’authenticité. Le public français semble être sensible aux secrets de famille, qui sont mis à l’extérieur par des romans contemporains qui font du bruit avec ces secrets. → Littérature = terrain sensible. Si on pense au roman de L’Événement d’Annie Ernaux qui a été transformé dans un film, le secret de l’avortement devient une expérience personnelle traumatisante qui est montrée au public. Il s’agit de voir si le texte propose une portée littéraire, et non seulement dévoiler un secret de famille pour y faire une marchandise. On a d’autres exemples de secret de famille qui proposent des aspects problématiques. Par exemple, on peut faire référence aux romans de Patrick Modiano, en particulier à Dora Bruder : un personnage qui avait une identité spécifique (c’était une personne réellement existée), mais le fait de dévoiler le secret lié à son identité signifie dévoiler une réalité qui n’était pas encore convoquée pour l’histoire. L’attention pour le secret est toujours là, même dans une société de communication qui devrait nier la notion de secret. Le secret peut être utilisé pour être dicible, mais il faut faire attention au niveau d’opacité. La langue de communication ne garde pas l’opacité, qui appartient au littéraire. La littérature est un ensemble de textes qui sont marqués par une esthétique. Au-delà de la notion étymologique de la littérature, elle se pose comme art de mots et comme écriture, parce que les mots permettent d’exprimer une manière d’être et d’inventer un contexte, de constituer une langue, un « style » littéraire, de créer un monde qui est au plus près de l’individualité de chaque individu. Le texte doit être considéré comme un prisme qui se trouve devant une source lumineuse, qui doit restituer l’opacité des situations. Le texte ne doit pas être troublé par la communication : il représente l’unicité de la voix littéraire. La littérature porte un regard oblique et n’a aucun but. Le littéraire se constitue à travers des outils qu’on retrouve à l’intérieur du texte. Le texte littéraire propose une expérience oblique : les tournures permettent de nuancer ce prisme à travers lequel passe tout donné littéraire. LE SECRET L’étymologie du terme est latine ; il dérive du mot « secretus », qui dérive du verbe « secernere » (mettre à part), lui-même composé du préfixe « se‑ », qui marque la séparation, et de « cernere » (séparer ; distinguer). Le mot « secret » se rattache aussi à l’idée d’« occulter », du latin obcolere. • On peut penser tout de suite aux « agents secrets ». Si on pense aux agents secrets, on pourrait se rattacher aux romans noirs, mais c’est l’écriture même qui peut parfois travailler comme les agents secrets, au moment où elle restitue l’indicible ou cherche à se faire porteuse de l’indicible. • On pourrait aussi faire référence aux « sciences secrètes », c’est-à-dire de prétendues sciences, telles que la cabale ou la magie, qui n'étaient connues que d'un certain nombre d'adeptes. À ce propos, la littérature du XVIIe siècle est très riche en relation à cette définition. Le fait que ces pratiques (qui se rattachent à la cabale ou à la magie) sont pratiquées par un certain nombre d'adeptes fait aussi penser à la notion de « 2 société secrète », qui garde parfois un « code » secret. Cette notion de code peut être problématique pour la littérature, car le code fige quelque chose, alors que la littérature doit échapper à toute chose figé ; donc, le code n’a pas la même souplesse que le littéraire : il limite la notion de littéraire. Un exemple de code peut être représenté, par exemple, par le roman La Disparition de Perec, où il s’efforce d’écrire un roman sans employer la lettre « e » : dans ce cas-là, on est à la limite du littéraire, car le coté littéraire va de-là du code que Perec a employé pour l’écriture. On peut aussi parler de « maladie secrète », comme une maladie syphilitique ou d’un « remède secret ». • Le secret peut aussi se rapporter à l’espace et à la gestion de l’espace : il se dit des parties d'une habitation qui est fermée au public, qui n'est pas connue de lui. On a même un « escalier secret », dont l’expression se rattache à l’un des romans de Pascal Quignard, c’est-à-dire Les Escaliers de Chambord, où l’architecture aide à rendre ce jeu de l’invisible et du visible : c’est un escalier qui se dérobe aux gens qui essayent de le parcourir. • Dans le théâtre classique (Racine, par exemple) la notion d’espace secret est tout à fait critique, car le personnage théâtral peut se montrer sur la scène ou se cacher. Dans le même sens, on peut parler de « porte secrète » ou de « porte dérobée ». La notion de secret se fait problématique quand on aborde un ensemble de personnes qui se réunissent dans une communauté secrète, jusqu’à la notion de « huis clos », qui est emblématique dans le théâtre classique et en particulier dans le théâtre racinien. • Le « sceau secret » qu’on employait pour renfermer les lettres avant de les envoyer pour garder le secret de la lettre. On pourrait aussi faire référence aux « fonds secrets », par exemple d’un cabinet ou d’un meuble (ils sont destinés surtout à un service de police et de diplomatie). Donc, le secret comme « quelque chose qui ne peut pas être pénétré » représente un côté problématique : il fonctionne comme une sorte de voile qui indique ce manque de pénétration d’une frontière qui deviendrait autrement pénétrable et perméable. • Dans le côté psychologique, la partie secrète d’un personnage peut être le moteur de l’action, comme il se passe par exemple dans Emmanuel Carrère (La classe de neige). C’est la partie secrète d’un caractère qui permet de rendre l’essence de la singularité et de l’individualité, car cette partie secrète est parfois la partie la plus authentique du personnage. Mais, il y a aussi des choses secrètes qui existent pour être dévoilés. • Il y a aussi des expressions farceuses ou ironiques liées au mot secret : par exemple, « le secret de Polichinelle », c’est-à-dire un secret qui en réalité est déjà connu du tout le monde ; de la même manière, on emploie l’expression « il est secret comme un coup de canon », qui indique un homme qui divulgue les choses qu’on lui confie. Le Dictionnaire de l’Académie française propose un élargissement de la notion de « secret » par rapport aux entrées du Littré. • La première entrée de ce dictionnaire définit le secret comme « ce qui doit être tenu caché, ce qu’il ne faut répéter à personne », donc on définit le secret comme quelque chose qu’une personne cache afin de ne le faire connaitre aux autres. Même ce dictionnaire (comme le Littré) propose des expressions figurées, comme : « secret de la comédie », c’est-à-dire une information dont on fait un mystère alors qu’elle est sue de tout le monde, ou « tombeau des secrets », c’est-à-dire une personne discrète qui sait garder les secrets. • Le Dictionnaire de l’Académie française introduit un autre niveau, celui de la « discrétion » et sur le silence sur une chose qui est confiée : la discrétion peut être un caractère individuel, mais peut aussi indiquer la volonté de garder les détails de la vie privée de quelqu’un. La discrétion est une catégorie qui s’attache à la notion de vie, en marquant aussi la différence entre vie publique et vie privée (référence littéraire : Les Vies minuscules de Pierre Michon). • Le secret peut se configurer comme « moyen ou procédé connu de peu de personnes qui permet d’exécuter certaines opérations, de mener à bien une entreprise, de produire certains effets » ; cela veut dire qu’il y a parfois des secrets de fabrication ou de nature. La fabrication peut se référer uploads/Litterature/ letteratura-francese-ii-completo.pdf
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- Publié le Jui 02, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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