Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien Sur le poème de César Vallejo : L

Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien Sur le poème de César Vallejo : Los Desgraciados Alain Sicard Citer ce document / Cite this document : Sicard Alain. Sur le poème de César Vallejo : Los Desgraciados. In: Cahiers du monde hispanique et luso-brésilien, n°8, 1967. Numéro spécial consacré à la deuxième partie du colloque international sur "Littérature et histoire du Pérou " pp. 79-95; doi : 10.3406/carav.1967.1160 http://www.persee.fr/doc/carav_0008-0152_1967_num_8_1_1160 Document généré le 31/05/2016 COMMUNICATION DE M. ALAIN SICARD Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Poitiers Sur le poème de César Vallejo " Los Desgraciados " En choisissant de parler sur le poème de César Vallejo « Los desgraciados •», notre ambition est extrêmement modeste. Non seulement parce qu'un seul poème ne saurait refléter la pensée de son auteur dans sa totalité, mais aussi parce que le temps qui nous est imparti nous obligera à limiter notre enquête au seul domaine des significations, et à nous désintéresser presque totalement de celui des formes, fondamental, pourtant, en poésie. Ce n'est donc pas — et pour notre part nous le regrettons — à une véritable explication de textes que nous vous convions, mais à un simple commentaire qui, en proposant une « lecture » possible du poème, s'efforcera d'isoler l'idée qui en constitue, croyons-nous, le fondement, et se trouve être, en quelque sorte, la loi de son mouvement. ¿OS DESGRACIADOS Ya va a venir el día; da cuerda a tu brazo, búscate debajo del colchón, vuelve a pararte en tu cabeza, para andar derecho. Ya va a venir el día, ponte el saco, Ya va a venir el día; ten fuerte en la mano a tu intestino grande, reflexiona, antes de meditar, pues es horrible cuando le cae a uno la desgracia y se le cae a uno a fondo el diente. 80 C. de CARAVELLE Necesitas comer, pero me digo, no tengas pena, que no es de pobres la pena, el sollozar junto a su tumba; remiéndate, recuerda, confía en tu hilo blanco, fuma, pasa lista a tu cadena y guárdala detrás de tu retrato. Ya va a venir el día, ponte el alma. Ya va a venir el día; pasan, han abierto en el hotel un ojo, azotándole, dándole con un espejo tuyo... tiemblas ? Es el estado remoto de la frente y la nación reciente del estómago. Roncan aún !... Qué universo se lleva este ronquido ! Cómo quedan tus poros, enjuiciándolo ! Con cuántos doses, ¡ ay !, estás tan solo ! Ya va a venir el día, ponte el sueño. Ya va a venir el día, repito por el órgano oral de tu silencio y urge tomar la izquierda con el hambre y tomar la derecha con la sed; de todos modos, abstente de ser pobre con los ricos, atiza tu frío, porque en él se integra mi calor, amada víctima. Ya va a venir el día, ponte el cuerpo. Ya va a venir el día; la mañana, la mar, el meteoro, van en pos de tu cansancio, con banderas, y, por tu orgullo clásico, las hienas cuentan sus pasos al compás del asno la panadera piensa en ti, el carnicero piensa en ti, palpando el hacha en que están presos el acero y el hierro y el metal; jamás olvides que durante la misa no hay amigos. Ya va a venir el día, ponte el sol. Ya viene el día; dobla el aliento, triplica tu bondad rencorosa y da codos al miedo, nexo y énfasis, pues tú, como se observa en tu entrepierna y siendo el malo, ¡ ay !, inmortal, has soñado €sta noche que vivías de nada y morías de todo... Tout a été dit sur les circonstances dramatiques dans lesquelles fut écrit ensemble des « Poemas humanos » dont « Los desgraciados » SUR UN POÈME DE CÉSAR VALLEJO 81 fait partie. Il faut rendre hommage, en particulier, au professeur Monguió O) pour la façon émouvante et sobre tout à la fois dont il a su évoquer ce qui ne se laissait pas aisément décrire : la solitude, la faim, la maladie, et sur cette tragédie vécue dans un anonymat presque complet, l'ombre d'une autre tragédie, historique celle-là et à la dimension d'un peuple : le martyre de l'Espagne « Pasión y muerte de Vallejo », écrit le professeur Monguió qui, encore une fois, évoque ces derniers mois de l'année 1937 mieux que je ne saurais le faire. Pourtant ce qui est circonstance est, ici, essentiel. Pour pénétrer dans le poème, il nous faut tout d'abord franchir le seuil de cette chambre d'un hôtel de dernière catégorie où le « desgraciado » — le poète ? — s'éveille, et il nous faut imaginer le petit matin sale à la fenêtre. « ya va a venir el día » cette aube qui, évoquée sous forme d'anaphore au début et à la fin de chaque strophe, va progressivement, dans le poème, s'affirmer, cette aube, quelle en est la couleur ? Quel en est le signe ? Est-elle porteuse d'angoisse ou est-elle messagère d'un espoir ? Réservons pour plus tard la réponse à cette question et laissons s'opérer le prodigieux travail des impératifs décuplé par la violence, ça et là, des enjambements « ya va a venir el día; da cuerda a tu brazo, búscate debajo del colchón, vuelve a pararte en tu cabeza para andar derecho » Tout est volonté, effort, tout est tension dans cette première strophe. Qu'y trouve-t-on ? un homme qui s'éveille et dont le corps est comme un ressort dévidé qu'il lui faut remonter; un homme que l'épuisement a soustrait à lui-même, et qui se cherche « ... Búscate debajo del colchón... » L'enjambement ici ne traduit pas que l'effort. Cet homme qui se cherche se cherche vers le bas, et cette direction vigoureusement indiquée à la fin du second vers s'oppose, en apparence, à celle indiquée à la fin du vers suivant, avec non moins de vigueur, par l'américanisme « pararse ». Tout se passe comme si l'exploration vers le (1) Luis MoNGió, Cesar Vallejo - Vida y obra - Bibliografía - Antologia. Hispanic Institute (1952). C. DE CARAVELLE 6 82 C. de CARAVELLE bas était la condition de tout redressement, de tout émergement. Retenons cette idée car elle contient en germe, comme nous le verrons, une vérité fondamentale, et reprenons le fil, terriblement tendu, de ces impératifs. L'avant-dernier vers de la première strophe indiquait clairement la nature de cet effort « ... vuelve a pararte en tu cabeza. » Effort mental autant que physique : effort mental précédant, préfigurant douloureusement l'effort physique, mais sans — et ceci est essentiel — que le premier soit de quelque façon que ce soit privilégié par rapport au second, sans que l'un et l'autre cessent d'être inextricablement liés. Nulle volonté, nulle pensée qui n'ait son siège dans le corps. C'est cette vérité que la seconde strophe va développer en en tirant un certain nombre de conclusions, et de préceptes fondamentaux. « Ya va a venir el día; ten fuerte en la mano a tu intestino grande » II est significatif que le poète ait ressenti comme le besoin de prolonger cet endécasyllabe, qui est son instrument favori, par cet impératif « reflexiona » qui vient s'ajouter, pour ainsi dire, en surnombre. Une sorte d'équation est, de cette façon, posée. Une équivalence est suggérée entre le geste étrange de tenir dans sa main cet organe de la digestion, et l'acte même de penser. Equivalence, et en même temps dissonance, car la noblesse de l'acte s'accommode mal de la bassesse de l'organe. En vérité, ce geste a, n'en doutons pas, un caractère parodique. C'est, dans une version inattendue, le célèbre geste du penseur de Rodin que Vallejo, dans ce vers, esquisse : un penseur chez qui le ventre et non le front est le siège de la pensée : impossibilité de la pensée pure (2). Cela va encore être souligné par une brutale antithèse (2) La pensée pure n'est pas seulement impossible. Elle constitue, aux yeux de Vallejo, une véritable mutilation de la réalité (mutilation qui, si elle est consciente, prend le nom d'imposture) contre laquelle il met en garde, notamment dans « Terremoto » (Ed. Losada, p. 8) : « Hablando de la lefia, callo el fuego ? Barriendo el suelo, olvido el fósil ? Razonando, mi trenza, mi corona de carne ? » et dans le poème : « Oye a tu masa... » (Ed. Losada, p. 77) : « Bestia dichosa, piensa; dios desgraciado, quítate la frente. luego hablaremos. » SUR UN POÈME DE CESAR VALLEJO 83 « ... reflexiona, antes de meditar, ... » (« antes de » n'ayant pas ici valeur temporelle mais exprimant l'opposition). Enfin les deux derniers vers vont exposer dans toute leur nudité les raisons de l'impossibilité d'une pensée désincarnée « ... pues es horrible cuando le cae a uno la desgracia y se le cae a uno a fondo el diente » le malheur et la faim — le malheur, c'est-à-dire la faim : le parallélisme des uploads/Litterature/ los-desgraciados-vallejo.pdf

  • 23
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager