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Tous droits réservés © Les Presses de l'Université de Montréal, 1992 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 23 août 2021 16:02 Études françaises Le statut de l’œuvre : sur une limite de la génétique Robert Melançon Les leçons du manuscrit : questions de génétique textuelle Volume 28, numéro 1, automne 1992 URI : https://id.erudit.org/iderudit/035867ar DOI : https://doi.org/10.7202/035867ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Presses de l'Université de Montréal ISSN 0014-2085 (imprimé) 1492-1405 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Melançon, R. (1992). Le statut de l’œuvre : sur une limite de la génétique. Études françaises, 28(1), 49–66. https://doi.org/10.7202/035867ar Le statut de Pœuvre : sur une limite de la génétique ROBERT MELANÇON On sait que la génétique littéraire1 est née en tant que discipline pour répondre au problème posé par la gestion des grands dépôts de manuscrits modernes. Amenés à élaborer des procédures pour tirer parti des brouillons, dossiers, ébauches, esquisses, états, fragments, révisions et tapuscrits des œuvres2, ceux qui allaient devenir les généticiens ont fon- dé une nouvelle discipline. C'était inattendu. Un raffinement des techniques traditionnelles de l'édition critique dans le canton de la philologie s'est révélé porteur d'une révolution susceptible de redéfinir en profondeur les études littéraires3. Les conséquences théoriques de ce qui semblait un dévelop- 1. Je remercie Bernard Beugnot et Michel Pierssens qui ont mis à ma disposition leur documentation et qui m'ont signalé maintes références bibliographiques. 2. Voir Bernard Beugnot, «Petit Lexique de l'édition critique et génétique», Cahiers de textologie 2, «Problèmes de l'édition critique», Paris, Minard, 1988, pp. 69-79. 3. Sur la genèse de la génétique, voir Almuth Grésillon et Jean-Louis Lebrave, «Avant-propos», Langages 69, «Manuscrits-Ecriture- Production linguistique», mars 1983, pp. 5-10; Jacques Neefs, «La critique génétique : l'histoire d'une théorie » et Michel Espagne, « La question de la légitimation dans l'utilisation des manuscrits», dans De la genèse du texte littéraire, textes réunis par Almuth Grésillon, Tusson, Du Lérot (édit.) 1988, pp. 11-22 et pp. 67-81. Ft,,^^ frnnrm*K 78 1 1QQ9. 50 Études françaises, 28,1 pement local restent en effet imprévisibles. On peut seule- ment avancer qu'elles risquent d'être considérables et qu'elles débordent le seul domaine des lettres pour ébranler de proche en proche tout l'édifice des sciences humaines4. L'effet de mode qui assure désormais la diffusion de plus en plus large de l'idée de genèse prend valeur de symptôme d'une crise globale: «Dans un univers des sciences humaines où dominaient les configurations stables, la pénétration du devenir ne peut plus être endiguée mais s'impose sous le forme d'un désordre majeur, voire d'un cataclysme5.» L'avan- cée conquérante de la génétique s'accompagne toutefois d'un affadissement de sa problématique. Une ascèse méthodolo- gique née dans les marches peu fréquentées de la philologie se métamorphose paradoxalement en une idéologie protéi- forme, d'autant plus difficile à saisir. La génétique désormais se retrouve dans tous les secteurs où on travaille sur des textes, c'est-à-dire dans l'ensemble des sciences humaines, si on veut bien accorder son acception la plus large à ce mot de texte. L'examen critique de la génétique et de ses présupposés, qui en prend d'autant plus un caractère d'urgence, devient ma- laisé, sinon impossible, à moins qu'on ne revienne à son point de départ, aux études littéraires. La théorie littéraire traverse, en effet, une crise pro- fonde, à laquelle l'irruption de la génétique peut servir de révélateur6. S'agit-il d'un prolongement sophistiqué de la phi- lologie, armée cette fois d'appareils qui permettent la col- lecte, la gestion et l'analyse de corpus d'une ampleur à laquelle les érudits de naguère, encombrés de fiches, ne pouvaient aspirer? Il ne peut échapper à personne que la présomption de scientificité qui auréole la génétique tient pour beaucoup à l'utilisation d'appareils coûteux, ordinateurs puissants, scanners optiques au laser et ainsi de suite. Vieux rêve aux relents faustiens: les études littéraires entreraient enfin dans le laboratoire et dans l'âge des démonstrations expérimentales. Le conditionnel s'impose parce qu'on reste en ces domaines au stade des promesses, et surtout parce qu'il n'y a pas de commune mesure entre des techniques somme toute rudimentaires et les problèmes herméneutiques que soulève le moindre dossier manuscrit. La génétique est un chantier encore mal balisé. Elle est une démarche lourde, encombrée de difficultés empiriques qui la rendent pour 4. Voir Michel Serres, Genèses, Paris, Grasset, ^ 5. Michel Espagne, «Les enjeux de la genèse», Études françaises, 20-2, automne 1984, p. 111. 6. Michel Pierssens, «French Genetic Studies at a Crossroads», Poetics Today, 11:3, Fall 1990, p. 617. Le statut de l'œuvre : sur une limite de la génétique 51 l'instant incompatible avec la plasticité élégante de la théorie chargée seulement de quelques concepts. C'est paradoxale- ment ce qui fait sa force, comme Ta suggéré Jean Starobinski : Tout travail génétique est soutenu par un minimum de théo- rie. Quant à la grande théorie, à son maximum de généralité, elle peut et doit être renvoyée à plus tard. En quoi je vois le grand bénéfice souvent mal perçu de ce type de travail. Publier des «avant-textes», c'est placer, sur la route où s'enga- gent tant de théoriciens (avec pour léger bagage le compen- dium des théories du jour) le signe avertisseur: Attention, travaux7. Au moment où la campagne de fouilles de la génétique s'amorce, le triomphe institutionnel de la théorie est indénia- ble. Dans les universités nord-américaines du moins8, il paraît sans partage. Les exigences auxquelles sont désormais soumis sur ce plan les candidats au PhD sont sans commune mesure avec ce qu'on attendait de leurs prédécesseurs il y a une ving- taine d'années; aucun étudiant de premier cycle même n'a pu éviter les quarantièmes rugissants de l'architextualité, de la paratextualité ou de la transtextualité. Un examen rapide des programmes universitaires, des sommaires des revues et des intitulés des colloques montre que la théorie s'est imposée sans conteste, souvent aux dépens des œuvres elles-mêmes, l'étude de la poétique remplaçant la lecture des poèmes. Mais le triomphe des théoriciens paraît bien fragile sur le plan intellectuel. Les avatars du structuralisme sont révéla- teurs à cet égard et la désaffection généralisée dont il a été frappé appellerait une sociologie autant qu'un questionne- ment épistémologique. Ge mouvement, qui avait proclamé sa propre « scientificité » contre l'ancienne critique accusée de frivolité, et qui paraissait inattaquable à la fin des années soixante, se trouve pratiquement discrédité aujourd'hui sans que ses thèses aient été réfutées. Ce qui paraissait acquis il y a trente ans au nom d'une «science» de la littérature a été simplement abandonné: utiliser le mot «structure» dans le titre d'un ouvrage ou même d'un article, cela ne se fait tout simplement plus. La théorie se transformerait-elle pour les mêmes raisons que la longueur des jupes ou la largeur des cravates? 7. Jean Starobinski, «Approches de la génétique des textes: introduction à un débat», dans la Naissance du texte, ensemble réuni par Louis Hay, Paris, José Corti, 1989, p. 212. 8. François Ricard, «La littérature saisie par la science», le Messager européen, n° 5, 1991, pp. 141-158. 52 Études françaises, 28,1 Qu'un certain cant ait joué un rôle dans les métamor- phoses du «discours critique» ainsi qu'on dit maintenant, c'est l'évidence. L'explication resterait un peu courte si on s'en tenait là9, et je ne la rappelle que pour sa valeur de mise en garde contre les prétentions de quelques généticiens trop portés à claironner à leur tour le caractère «scientifique» de leur discipline. On ne lit pas sans éprouver un vague malaise certains textes programmatiques où les mots «science» et «scientifique» reviennent comme des mantras avec un irrésis- tible air de déjà lu pour ceux qui ont connu la phase conqué- rante du structuralisme10. Les ambitions qu'affiche désormais la génétique sont énormes :« Ge qui se trouve mis enjeu, c'est en fait l'ensemble de nos idées quant à la nature d'une œuvre littéraire, quant au statut du texte, quant à la dimension esthétique d'une communication sociale11.» Bien qu'elle procède d'une métho- dologie austère et qu'elle puisse s'autoriser de travaux de tout premier ordre12, il reste à démontrer que ce ne sont pas là des prétentions exorbitantes et qu'en élargissant son chantier elle n'outrepasse pas les bornes de ses compétences. L'enjeu est considérable dans la mesure où on trouverait là une occasion de reprendre sur des bases nouvelles un débat qui n'a jamais été mené à terme à propos de quelques concepts fondamen- taux de théorie littéraire. Ils s'étaient imposés naguère sans que leur validité ait été établie, ils ont disparu de notre hori- zon sans qu'elle ait été réfutée. Si théorie littéraire il doit y avoir autrement que sur le mode caricatural du Small World de David Lodge, il faudra se plier uploads/Litterature/ melancon-le-statut-de-l-x27-oeuvre.pdf
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- Publié le Dec 16, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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