ﻣﺠﻠﺔ ﺣﻮﻟﻴﺎت اﻟﺘﺮاث Revue Annales du Patrimoine ISSN 1112-5020 Hawliyyat al-Tura

ﻣﺠﻠﺔ ﺣﻮﻟﻴﺎت اﻟﺘﺮاث Revue Annales du Patrimoine ISSN 1112-5020 Hawliyyat al-Turath, University of Mostaganem, Algeria N° 3, March 2005 Comment peut-on devenir Arabe "Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran" How can we become Arab "Mr Ibrahim and the flowers of the Koran" Mihaela Arnat Université de Suceava, Roumanie lalettrer@yahoo.fr Publié le : 1/3/2005 03 2005 Pour citer l'article :  Mihaela Arnat : Comment peut-on devenir Arabe, "Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran", Revue Annales du patrimoine, Université de Mostaganem, N° 3, Mars 2005, pp. 7-13. http://annales.univ-mosta.dz *** Revue Annales du patrimoine, N° 3, 2005, pp. 7 - 13 ISSN 1112-5020 Publié le : 1/3/2005 lalettrer@yahoo.fr © Université de Mostaganem, Algérie 2005 Comment peut-on devenir Arabe "Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran" Mihaela Arnat Université de Suceava, Roumanie Résumé : Le roman "Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran" est un roman d’initiation et d’éducation, un roman de la tolérance confessionnelle. Roman de l’échange spirituel entre les deux civilisations. C’est justement cette pluralité d’hypothèses interprétatives qui, au niveau thématique, tout comme au niveau discursif, ouvre au roman d’Eric-Emmanuel Schmitt une virtualité fertile de pistes de lecture où deux manières de penser, deux façons d’expressions se rencontrent heureusement. Mots-clés : Arabe, Schmitt, Coran, sagesse, musulman. o How can we become Arab "Mr Ibrahim and the flowers of the Koran" Mihaela Arnat University of Suceava, Romania Abstract: The novel "Mr. Ibrahim and the Flowers of the Koran" is a novel of initiation and education, a novel of religious tolerance, novel of the spiritual exchange between the two civilizations. It is precisely this plurality of interpretative hypotheses which, at the thematic level, as well as at the discursive level, opens up to Eric-Emmanuel Schmitt's novel a fertile potential for reading paths where two ways of thinking, fortunately two ways of expression meet. Keywords: Arab, Schmitt, Quran, wisdom, Muslim. o Arabe, cela veut dire "ouvert de huit heures du matin jusqu’à minuit et même le dimanche, dans l’épicerie". C’est une phrase persévérante qui revient maintes fois tout au long du livre d’Eric-Emmanuel Schmitt, "Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran". C’est beaucoup, pour ne pas avoir de signification, et Mihaela Arnat - 8 - Revue Annales du patrimoine assez, pour nous susciter l’intérêt. Monsieur Ibrahim est, depuis quarante ans, l’Arabe d’une rue juive localisée chromatiquement comme la rue Bleue. Mais tout commence, comme dans la plus vieille des histoires, dans la rue de Paradis. C’est ici qu’un garçon, et son nom est Moïse, a perdu son bon sens. Il a onze ans et il a cassé son cochon. Pour aller voir les mauvaises filles. Le cochon était sa tirelire dont les entrailles cachaient deux cents francs, l’effort de quatre mois parcimonieux. C’est précisément le prix de l’âge de l’homme. C’est alors que notre Moïse fait la connaissance de ce monsieur Ibrahim. "Monsieur Ibrahim avait toujours été vieux. Unanimement, de mémoire de rue Bleue et de rue de Faubourg- Poissonnière, on avait toujours vu monsieur Ibrahim dans son épicerie, de huit heures du matin au milieu de la nuit, arc-bouté entre sa caisse et les produits d’entretien, une jambe dans l’allée, l’autre sous les boîtes d’allumettes, une blouse grise sur une chemise blanche, des dents en ivoire sous une moustache sèche, et des yeux en pistache, verts et marron, plus clairs que sa peau brune tachée par la sagesse"(1). La sagesse de monsieur Ibrahim c’est un fait indéniable et cela vient de sa constance de quarante ans dans la rue juive, de sa façon de parler peu et de sourire beaucoup, de sa sereine immobilité sur son tabouret, et même de sa troublante absence entre minuit et huit heures du matin. De l’épicerie de monsieur Ibrahim le gamin vole des boîtes de conserves. Il vole monsieur Ibrahim non sans honte, cependant. La vilenie était disculpée par cette excuse rassurante que le petit voleur se répétait consciemment : "Après tout, c’est qu’un Arabe"(2). Mais, lorsqu’il vole son père, il le fait avec la satisfaction de celui qui a était outragé. Le père, avocat économe, avait demandé des explications pour l’argent que Moïse dépensait pour faire bouillir la marmite. Mais, ce que le père ne savait pas, c’était que cette malhonnête tirelire à sens unique, ne permettant que d’y glisser l’argent sans en sortir, eût déjà été Comment peut-on devenir Arabe - 9 - N° 3, Mars 2005 cassée. Le rite préliminaire de séparation était déjà accompli. La réplique inopinée de monsieur Ibrahim - "Je ne suis pas arabe, Momo, je viens du Croissant d’Or"(3). - intrigue Moïse et, chose capitale, déclenche le passage de Moïse vers un autre type d’appréhension du monde. Le lendemain, l’enfant défend son nom en ripostant : "Je ne m’appelle pas Momo, mais Moïse"(4). Et c’est à peine le surlendemain qu’arrive la réponse de monsieur Ibrahim : "Je sais bien que tu t’appelles Moïse, c'est bien pour cela que je t'appelle Momo, c'est moins impressionnant"(5). Le dialogue propédeutique conjugué à la curiosité enfantine conduit Moïse à franchir le seuil. C’est ainsi qu'il apprend que monsieur Ibrahim n'est pas arabe, mais musulman, et un musulman sunnite. L’enfant commence à s’intéresser aux sens de ces mots, tout en cherchant à trouver les différences qui devraient séparer les deux religions. Différences qui tardent d’apparaître puisqu’il découvre que "les juifs, les musulmans et même les chrétiens, ils avaient eu plein de grands hommes en commun avant de se taper sur la gueule"(6). Cela ne le concernait pas, se disait-il, mais le réconfortait. Pour Moïse l’histoire continue funestement. Son père, ayant perdu son boulot, quitte la maison et se suicide. La mère revient voir l’enfant abandonné il y a des années et trouve Momo. "Voilà, maintenant je suis Momo, celui qui tient l’épicerie de la rue Bleue, la rue qui n’est pas bleue. Pour tout le monde, je suis l’Arabe du coin. Arabe, ça veut dire ouvert la nuit et le dimanche, dans l’épicerie"(7). Notre lecteur se demande légitimement, bien sûr, quel serait l’enjeu pour lequel on a dévoilé, au milieu de notre propos, la transformation du juif Moïse dans l'arabe Momo. Vu que ce n’était pas la surprise de cette conversion que nous voulions énoncer, on a cité sans hésitation la fin du livre. L’essentiel pour notre étude, ce n’est pas de saisir le changement de Moïse en Momo, mais de rassembler dans un diptyque judéo-musulman les idées, les considérés, les supposés et les présupposés disséminés tout au Mihaela Arnat - 10 - Revue Annales du patrimoine long du livre et récurrentes à cette théologie composite. Et on croit fortement, qu’en réalité, il ne s’agit pas d’une conversion, mais d’une récupération spirituelle de l’Arabe Momo. Des rares phrases que Schmitt a fait prononcer le père de Moïse, on se rappelle la suivante : "Etre juif, c’est simplement avoir de la mémoire. Une mauvaise mémoire"(8). Pour échapper à cette maudite mémoire le père choisit le suicide, toujours pour guérir d’elle, l’enfant fait l’apprentissage d’une autre confession. Confession qui ne supplantera pas celle juive, mais qui lui fera du bien. Le "Souper" de Zadig où Voltaire réunit les représentants les plus exquis de chaque religion, trouve un excellent résumé dans les phrases à suivre : "Ici ça sent le cierge, c’est catholique. Là, ça sent l’encens, c’est orthodoxe"(9). Dans la mosquée Bleue, Moïse apprend qu'un lieu de prière qui sent les hommes est certainement fait pour les hommes. Là, chacun se sent, sent les autres, donc on se sent déjà mieux. C’est une leçon d’humilité profonde que monsieur Ibrahim enseigne à son fils - car Moïse deviendra son fils par adoption - et cette leçon consiste dans cette vérité simple : on ne vaut mieux que notre voisin. Momo s’instruit également dans l’art de vivre. Il apprend à sourire, à avoir chaud, à être heureux. Le bonheur est d’abord ressenti comme une sensation de chaleur contrastante avec la froideur de la maison du père. L’enfant demande candidement à son maître où trouver le bonheur. Monsieur Ibrahim lui en avoue la source, le Coran, pour ajouter plus tard que les grandes vérités ne sont pas dans les livres. Le sage monsieur Ibrahim sait que "l’homme à qui Dieu n’a pas révélé la vie directement, ce n’est pas un livre qui la lui révélera"(10). Lorsque le petit Moïse reste seul, il commence à vendre les livres de son père aux bouquinistes de la Seine. On peut y déceler plus qu’un acte freudien, c’est une libération idéologique. Loin de toute fiction, Momo verra clairement sa vie. Il se rendra compte que l’Arabe n’était pas arabe, que la rue bleue n’était guère bleue, que tous Comment peut-on devenir Arabe - 11 - N° 3, Mars 2005 les truismes sont à tomber, que la vie n’attendait qu’à commencer. Ce n’est pas du tout innocente la réplique qu’il donne à sa mère : "Moi, on m’appelle Momo"(11). Ce qui suit signifie l’acceptation volontaire et fière de son nouveau statut : "Ah bon ? Tu n’es pas Moïse ? Ah non, ne faut pas confondre, madame. Moi, c’est Mohammed"(12). Au fil du uploads/Litterature/ mihaela-arnat-comment-peut-on-devenir-arabe-quot-monsieur-ibrahim-et-les-fleurs-du-coran-quot.pdf

  • 10
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager