LES GRANDS ÉCRIVAINS FRANÇAIS PAR SAINTE-BEUVE ÉTUDES DES LUNDIS E T DES PO RTR
LES GRANDS ÉCRIVAINS FRANÇAIS PAR SAINTE-BEUVE ÉTUDES DES LUNDIS E T DES PO RTRAITS , CLASSÉES SELON UN ORDRE NOUVEAU ET AN NOTÉES PAR M a u r i c e A L L E M X IX e SIÈCLE LES P O È T E S III MARCELINE DESBORDES-VALMORE SAINTE-BEUVE — LECONTE DE LISLE BANVILLE — BAUDELAIRE — SULLY PRUDHOMME ÉTUDES DIVERSES PARIS L I B R A I R I E G A R N I E R F R È R E S 6, Rue des 5aints-Pères, 6 1932 I M a r c e l in e d e s b o r d e s- v a l m o r e * 18332 I L e s P l e u r s , p o é s i e s n o u v e l l e s . — U n e R a i l l e r i e d e l 'A m o u r , r o m a n 1er août 1833. C est une chose bien remarquable, comme, en avan çant dans la vie et en se laissant faire avec simplicité on apprécie à mesure davantage un plus grand nombre d etres et d’objets, d'individus et d’œuvres, qui nous avaient semblé d’abord manquer à certaines conditions - proclamées par nous indispensables, dans la ferveur des premiers systèmes. Les ressources de la création que ce soit Dieu qui crée dans la nature, ou l’homme qui crée dans l’art, sont si complexes et si mysté rieuses, que toujours, en cherchant bien, quelque composé nouveau vient déjouer nos formules et troubler nos méthodiques arrangements. C’est une ileur, une plante qui ne rentre pas dans les familles décrites; c’est un poète que nos poétiques n’admet- î? n t « P aS * L e '*0U r 0Ù l o n c o m P r e n d e n fin c e p o è t e , c e t t e fle u r d e p lu s , o ù e lle e x is t e p o u r n o u s d a n s le Xix« SIÈCLE. — Poètes. T. III. . LES GRANDS ÉCRIVAINS FRANÇAIS Ma r c e l i n e d e s b o r d e s - v a l m o r e monde environnant, où l’on saisit sa convenance, son harmonie avec les choses, sa beauté que l’inatten tion légère ou je ne sais quelle prévention nous avait voilée jusque-là, ce jour est doux et fructueux; ce n’est pas un jour perdu entre nos jours; ce qui s’étend ainsi de notre part en estime mieux distribuée n’est pas nécessairement ravi pour cela à ce que les admi rations anciennes ont de supérieur et d’inaccessible. Les statues qu’on adorait ne sont pas moins hautes, parce que des rosiers qui embaument, et des touffes épanouies dont l’odeur fait rêver, nous en déroberont la base. Depuis trois années le champ de la poésie est libre d’écoles; celles qui s’étaient formées plus ou moins naturellement sous la Restauration ayant pris fin, il ne s’en est pas reformé d’autres, et l’on ne voit pas que, dans ces trois ans, le champ soit devenu moins fertile, ni qu’au milieu de tant de distractions puis santes les belles et douces œuvres aient moins sûrement cheminé vers leur public choisi, bien qu’avec moins d’éclat peut-être et de bruit alentour. Aussi, nous qui regrettons personnellement, et regretterons jusqu’au bout, comme y ayant le plus gagné à cet âge de notre meilleure jeunesse, les commencements lyriques où un groupe uni de poètes se fit jour dans le siècle étonné, — pour nous, qui de l’illusion exagérée de ces orages littéraires, à défaut d’orages plus dévorants, empor tions alors au fond du cœur quelque impression presque grandiose et solennelle, comme le jeune Rioufîe de sa nuit passée avec les Girondins3 (car les senti ments réels que l’âme recueille sont moins en raison des choses elles-mêmes qu’en proportion de l’enthou siasme qu’elle y a semé); nous donc, qui avons eu à souffrir de l’isolement qui s’est fait en poésie, nous reconnaissons volontiers combien l’entière diffusion d’aujourd’hui est plus favorable au développement ultérieur de chacun, et combien, à certains égards, cette sorte d’anarchie assez pacifique, qui a succédé au groupe militant, exprime avec plus de vérité l’état poétique de l’époque. Dans cette jeune école, en effet, au sein de laquelle fut un moment le centre actif de la poésie d’alors, il y avait des exclusions et des absences qui devaient embarrasser. En fait de hauts talents, Lamartine n’en était que parce qu’on l’y introduisait religieusement en effigie; Béranger n’en était pas. En fait de charmantes muses, on n’y ratta chait qu’à peine Mm e Tastu, on y oubliait trop Mm e Val- more. M. Mérimée serait toujours demeuré à côté; M. Alexandre Dumas avait pris rang plus au large. D’autres encore allaient surgir. Enfin, parmi ceux qui étaient jusque-là du groupe, les plus forts n’en auraient bientôt plus été, par le progrès même de la marche; ils s’y sentaient à la gêne en avançant; plus d’un méditait déjà son évasion de cette nef trop étroite, son éruption de ce cheval de Troie. Le flot politique vint donc très à propos pour couvrir l’instant de séparation et délier ce qui déjà s’écar tait. On a demandé quelquefois si ce qu’on appelait romantisme en 1828 avait finalement triomphé, ou si, la tempête de Juillet survenant, il n’y avait eu de victoire littéraire pour personne? Voici comment on peut se figurer l’événement, selon moi. Au moment où ce navire Argo qui portait les poètes, après maint effort, maint combat durant la traversée contre les prames et pataches classiques qui encombraient les mers et en gardaient le monopole, — au moment où ce beau navire fut en vue de terre, l’équipage avait cessé d’être parfaitement d’accord; l’expédition semblait sur le point de réussir, mais on n’aperce vait guère en face de lieu de débarquement; les prin cipaux ouvraient des avis différents, ou couvaient des arrière-pensées contraires. La vieille flotte clas sique, radoubée de son mieux, prolongeait à grand’- peine des harcèlements inutiles. On en était là, quand 4 LES GRANDS ÉCRIVAINS FRANÇAIS le brusque ouragan de .Juillet bouleversa tout. Ce qu’il y a de très certain, c’est que le peu de classiques qui tenaient encore la mer y périrent corps et biens; les récits qu’on a faits depuis de MM. Viennet* et autres, qu’on prétend avoir rencontrés et ouïs, ne se rapportent qu’à leurs Ombres inhonorées qui se démènent sur le rivage. Quant au navire Argo, tout divin qu’il semblait être, il ne tint pas, mais l’équipage fut sauvé. Je crois bien que deux ou trois des moindres héros se noyèrent avant d’atteindre le rivage; mais le reste, les plus vaillants, y arrivèrent sans trop d’efforts, la plupart à la nage, et l’un même sans presque avoir besoin de nager. Or, depuis ce moment, l’expédition collective fut manquée ou accomplie, selon qu’on veut l’entendre, et chaque chef, pous sant individuellement de son côté, poursuit à travers le siècle, par des voies plus ou moins larges, sa desti née, ses projets, la conquête de la glorieuse Toison. Les deux sentiments les plus opposés qui se déve loppèrent au sein de la fraternité première peuvent se rapporter au lyrique d’une part et au dramatique de l’autre. La pensée lyrique, et surtout la portion la plus molle, la plus délicate de celle-ci, la pensée élé- * Voilà M. Viennet déclaré mort, et on dit pourtant qu’il a longtemps encore survécu. En réalité, je n’ai jamais pu me repentir de ce mot, dit une fois pour toutes, sur cet auteur qui n’avait que des boutades sans talent, sans style, et qui était surtout poète par la vanité. — Mais il a eu du piquant dans ses Fables, dira-t-on. — Oui, peut-être, comme le chardon a des piquants. Si j’avais à écrire un article sur lui, je ne pourrais m’empêcher de le commencer en ces termes : « Il faut avoir quelque esprit pour être parfaitement sot : Tôpfïer l’a dit et Viennet la prouvé. » Vers la fin de sa vie,il médisait en me parlant des poètes : « Je n’en reconnais que huit avant moi. — Et lesquels ? — Malherbe, Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Boileau, Regnard et Voltaire. » Il faisait cette énumération sans rire. Il ne choquait plus, on s’y était accoutumé, et personne ne le pre nait au sérieux, si ce n’est l’Institut en corps à la séance annuelle des quatre académies. Avec son air rogue, sa voix rouillée, sa mèche en l’air, ses coups de boutoir usés et ses épigrammes communes, il avait le don de dérider dès les premiers mots la grave assemblée. La fête n’était pas complète sans lui. Tel maréchal-académicien lui écrivait le lendemain de la séance : « Mon cher Viennet, j’ai hier usé mes deux mains à vous applaudir. uploads/Litterature/ marceline-desbordes-valmore-sainte-beuve.pdf
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- Publié le Aoû 25, 2022
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