1 Perceforest : merveilleux et lumières Perceforest est un vaste ensemble de si

1 Perceforest : merveilleux et lumières Perceforest est un vaste ensemble de six livres, partiellement édité par J. H. Taylor et G. Roussineau1, inventant une continuité entre Alexandre le Grand et le monde arthurien : après une présentation des Iles Britanniques conforme aux pratiques des "historiens" médiévaux qui aiment à précéder leurs chroniques d'un développement géographique, le récit débute par l'enlèvement d'Hélène, 430 ans avant la fondation de Rome antérieure de 752 années à l'Incarnation de Jhesucrist (t. I, p. 63), pour s'achever sur des épisodes du Graal empruntés à la Queste du Saint Graal2. Cette oeuvre ambitieuse, riche en merveilles, a pu, par sa prolixité, irriter, et L. F. Flutre, en dépit de la lecture attentive qu'il lui consacre3, se fait l'écho des critiques de G. Paris qui, dans son article sur le "conte de la Rose"4, dénonce le merveilleux de Perceforest comme "le plus absurde et le moins apte à susciter l'intérêt". De nombreux travaux, certainement facilités par les éditions de G. Roussineau, tendent au contraire à révéler l'extraordinaire richesse d'un récit qui concilie une construction d'une parfaite fermeté et une imagination visuelle des plus fécondes5. Je me propose de revenir sur ce merveilleux à travers l'étude des éclairages variés qui entourent la 1 Perceforest (le roman de), début de la première partie, éd. J. H. M. Taylor, Genève, T.L.F., 1979 ; deuxième partie, éd. G. Roussineau, Genève, T. L. F., vol. I, 1999 ; troisième partie, éd. G. Roussineau, Genève, T.L.F., vol. I, 1988 ; vol. II, 1991 ; vol. III, 1993 ; quatrième partie, éd. G. Roussineau, Genève, T.L.F., 2 vol., 1987. Pour les parties inédites, les références que j'ai utilisées renvoient aux manuscrits suivants : pour la fin du livre I, manuscrit B.N.F. fr. 345, livre II B. N.F. fr. 346, livre V B.N.F. fr. 348, livre VI Arsenal 3493 et 3494. La fin du deuxième livre est à paraître chez Droz en 2001 (éd. G. Roussineau). 2 Pour un résumé complet du roman, voir J. Lods, Le roman de Perceforest, Genève Droz, Lille Giard, 1951, p. 24-ss et, plus développés, les articles de L. F. Flutre, "Etudes sur Le Roman de Perceforest", Romania, t. 70, 1948- 9, p. 474-ss ; Romania, t. 71, 1950, p. 374-ss et 482-ss ; Romania, t. 74, 1953, p. 44-ss ; Romania, t. 88, 1967, p. 475-ss ; Romania, t. 89, 1968, p. 355-ss ; Romania, t. 90, 1969, p. 341-ss ; Romania, t. 91, 1970, p. 189-ss. Ces articles analysent le roman en suivant principalement l'édition de 1528 qui est proche des manuscrits. 3 Voir note précédente, art. cit., Romania, t. 70, p. 474. 4 "Le conte de la Rose dans Perceforest", dans Romania, t. 23, 1894, p. 80-ss. 5 Voir la bibliographie sommaire concernant le merveilleux dans Perceforest à la fin de cet article. 2 merveille dans Perceforest, éblouissements violents, lumières tremblantes ou tamisées, feux follets, clartés solaires ou lunaires. Au cours de mes travaux sur les relations entre merveilleux et roman, j'ai tenté de mettre en évidence l'existence d'un merveilleux qui serait propre au genre romanesque à travers la mise en oeuvre d'une topique dans laquelle la vue joue un rôle essentiel6 : le merveilleux est à rattacher à une merveille dont la perception est incertaine et qui est l'objet d'un questionnement polyphonique et polysémique, le sens restant suspendu au niveau du jeu qu'est la lecture, même si in fine Dieu demeure le garant de toute chose (ce qui différencie le merveilleux romanesque médiéval du fantastique moderne). La lumière, condition première de l'expérience visuelle, joue, comme on peut s'y attendre, un rôle essentiel dans les épisodes merveilleux, et Perceforest offre un champ d'étude particulièrement prometteur dans la mesure où il raconte l'évolution du paganisme vers le christianisme, en passant par le culte épuré du Dieu Souverain, et montre comment des héros à la vue empeschee par les ténèbres du polythéisme découvrent le nouveau Dieu, symbolisé par une lampe où brûle une triple flamme. La thématique de la lumière, si présente dans la littérature et les arts figuratifs médiévaux7, essentielle semble-t-il dans la constitution de l'imaginaire8, est ici bien présente : le héros, Perceforest, contribue au passage de l'obscurité boisée et hantée de mauvais esprits à la clarté du Temple de la Merveille où est préfiguré le culte chrétien. Par 6 Pour un résumé de ce travail présenté dans le cadre d'une habilitation à diriger des recherches en janvier 2000, voir l'introduction à Fees, bestes et luitons, merveilles et croyances dans les romans en prose des XIIIe et XIVe siècles, Paris, Presses Universitaires de Paris Sorbonne, 2001. 7 Voir J. Frappier, "Le thème de la lumière de la Chanson de Roland au Roman de la Rose", dans Cahiers de l'A.I.E.F., t. 20, 1968, p. 101-124, repris dans Histoire, mythes et symboles. Etudes de littérature française, Genève, Droz, 1976, p. 181-ss ; E. de Bruyne, Etudes d'esthétique médiévale, Bruges, 1946, t. III, p. 13-14. Sur la symbolique de la lumière au Moyen Age, voir M. Davy, Initiation à la symbolique romane, Paris, Flammarion,1977, p. 51-ss et p. 157-ss. 8 Voir G. Durand, Les structures anthropologiques de l'imaginaire, Paris, 1969, 10e éd. Bordas, 1984, p. 162- ss. 3 ailleurs, les romans en prose, en particulier au XIVe siècle9, se nourrissent d'intertextualité10, Perceforest étant d'autant plus riche en réminiscences et récritures (en donnant à ce terme un sens très large) qu'il se veut préhistoire bretonne et se doit donc d'annoncer en tant que suite par anticipation tous les grands motifs à succès de la littérature arthurienne : on retrouvera dans ce récit qui tient de la somme et de l'anthologie, la plupart des réalisations de la thématique lumineuse présentes dans la littérature des XIIe et XIIIe siècles, en particulier l'ambivalence essentielle entre une lumière trompeuse (associée d'une part à l'éblouissement démoniaque et d'autre part aux lueurs tentatrices) et une clarté véridique qui participe à l'accomplissement arthurien, qu'il s'agisse de la lumière qui accompagne les révélations spirituelles ou des éclairages étranges qui baignent les épisodes où les fées président aux destinées héroïques. Nous étudierons donc la double polarisation de la lumière dans Perceforest et les rapports qu'entretiennent cette ambivalence et le merveilleux. I. Lumières et deceptions11 a. Eblouissements : feux de l'enfer et illusions féeriques Une lumière trop vive, comparable à celle que dégage un feu, suggère souvent une lecture diabolique de la merveille. Le livre II s'ouvre sur l'épisode des Troyens exilés en Bretagne et réduits à l'état d'hommes sauvages, que Perceforest découvre dans son nouveau royaume. Dans cette reprise de la rencontre entre Perceval et les chevaliers dans Le Conte du Graal12, l'éclat des 9 La datation de Perceforest n'est pas sans poser de problèmes : voir G. Roussineau, introduction à l'édition du livre IV, t. I, p. IX, et notre approche dans Fées, bestes et luitons... 10 Voir J. H. M. Taylor, "The Fourteenth Century : Context, Text and Intertext", dans The Legacy of Chrétien de Troyes, t. I, éd. N. J. Lacy, D. Kelly, K. Busby, Amsterdam, 1987, p. 267-332. 11 Sur la deception médiévale, voir F. Dubost, "Vessies et lanternes...", dans Deceptio. Mystifications, tromperies, illusions de l'Antiquité au XVIIe siècle, Montpellier, 2000, t. I, p. 9-22, ainsi que les nombreux articles du volume consacrés aux réalisations médiévales de ce thème. 12 Ed. F. Lecoy, Paris, Champion, 1972, v. 91-ss. 4 armes est associé à l'erreur de la gent ignorante et au feu infernal : ils veirent l'or et l'azur resplendir es escuz et les heaumes luyre aux raiz du soleil (...); ilz cuiderent que ce fussent ennemis d'enfer qui fussent yssuz pour eulx emporter (l. II, t. I, p. 7). La lumière est trompeuse, et le feu, qu'ils ne connaissaient pas et que Perceforest, les civilisant, leur fait découvrir, se révèle à la fois séduisant et dangereux (un incendie violent se déclare). Dans le livre III, les chevaliers du lignage de Darnant, qui sont de simples mortels, des felons, avant de mourir et de devenir des revenants et des mauvais esprits qui se confondent avec les démons aériens et prennent la forme folklorique des "cohortes nocturnes et bruyantes"13, ont parfois une apparence ignée et diabolique : une fumée bleue sort du heaume de l'un, embrasé, enflambé, tandis que d'autres dardent des brandons de feu alumez (...) tellement qu'il sambloit au jenne chevalier qu'il fust en enfer (l. III, t. I, p. 13) ; Darnant prend la forme d'ung grant barreau de fer alumé et bouté en eaue et retiré hors ainchois qu'il soit estaint (t. III, t. I, p. 153). Cependant c'est surtout d'éblouissements féeriques que les chevaliers sont victimes. Dans le livre II (t. I, p. 193-194), Lyonnel surprend des fées au bain et il est ébloui par la clarté que le mur jectoit, car bien sembloit qu'il fust de pierres precieuses (...) : mectre luy convenoit la main devant ses yeulx ainsi que s'il eust le soleil devant, par la resplendeur des murs. Peu après Anthénor et Thélamon arrivent près d'un verger où se trouvent des fées dont les vêtements jectoient si grant resplendeur uploads/Litterature/ perceforest-merveilleux-et-lumieres.pdf

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