L'ÂGE DES LOW TECH P h i l i p p e Bihouix ANTHROPOCENE SEUIL Vers une civilisa

L'ÂGE DES LOW TECH P h i l i p p e Bihouix ANTHROPOCENE SEUIL Vers une civilisation techniquement soutenable Face aux signaux alarmants de la crise globale - croissance en berne, tensions sur l'énergie et les matières premières, effon- drement de la biodiversité, dégradation et destruction des sols, changement climatique et pollution généralisée - on cherche a nous rassurer. Les technologies «vertes» seraient sur le point de sauver la planète et la croissance grâce à une quatrième révo- lution industrielle, celle des énergies renouvelables, des réseaux intelligents, de l'économie circulaire, des nano-bio-technologies et des imprimantes 3D. Plus consommatrices de ressources rares, plus difficiles à recycler, trop complexes, ces nouvelles technologies tant vantées nous conduisent pourtant dans l'impasse. Ce livre démonte un à un les mirages des innovations high tech, et propose de prendre le contre-pied de la course en avant technologique en se tournant vers les low tech, les «basses technologies». Il ne s'agit pas de revenir à la bougie, mais de conserver un niveau de confort et de civilisation agréables tout en évitant les chocs des pénuries à venir. Si l'auteur met à bas nos dernières illusions, c'est pour mieux explorer ies voies possibles vers un système économique et industriel soutenable dans une planète finie. Philippe Bihouix esl ingénieur. Spécialiste de la l'initude des ressources minières et de son étroilc interaction avec la question énergétique, il est coauteur de l'ouvrage Quel futur pour les métaux7, 2010. w w w . s e u i l . c o m Couverture Tomonori Taniguchy Getty Images 19.50 € L ' Â G E DES LOW TECH Vers une civilisation techniquement soutenable Du même auteur Quel futur pour les métaux ? Raréfaction des métaux: un nouveau défi pour la société EDP Sciences, 2010 Philippe Bihouix L'ÂGE DES LOW TECH Vers une civilisation techniquement soutenable Éditions du Seuil 25, b d R o m a i n - R o l l a n d , Paris X I V e ISBN 9 7 8 - 2 - 0 2 - 1 1 6 0 7 2 - 7 © Éditions du Seuil, avril 2014 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. www.seuil.com Mai 1940. Les colonnes de blindés allemands ont enfoncé les lignes françaises et la population effrayée se jette en masse sur les routes qui s'encombrent rapidement. De son avion d'observation, envoyé en missions désespérées sur les lignes ennemies pour récolter des renseignements que personne n'exploitera, Antoine de Saint-Exupéry contemple le gâchis de la débâcle: «Les vieilles autos surtout sont pitoyables. Un cheval bien d'aplomb entre les brancards d'une charrette donne une sensation de santé. Un cheval n'exige point de pièces de rechange. Une charrette, avec trois clous on la répare. Mais tous ces vestiges d'une ère mécanique, ces assemblages de pistons, de soupapes, de magnétos et d'engrenages, jusqu'à quand fonctionneront-ils1 ? » Pardonnez-moi, mon cher « Saint-Ex», de vous propulser par cette unique réflexion, vous l'aviateur intrépide nécessai- rement confiant dans la technique de pointe, précurseur des low tech, des basses technologies. Mais vous l'aurez cherché, en 10 L'ÂGE M LOW TECH proposant d'abandonner ces autos hier pimpantes pour revenir à des charrettes à cheval ! Surtout, rien ne résume mieux, pour moi, la question cruciale qui se pose à notre société indus- trielle. Il suffirait de remplacer mécanique par électronique, pistons et soupapes par transistors et condensateurs... et votre vision fulgurante, si évidente, retrouverait toute sa fraîcheur. Notre monde ultra-technicisé, spécialisé, globalisé pourrait-il résister à une débâcle, que celle-ci vienne de la raréfaction des réserves énergétiques et métalliques facilement accessibles, des conséquences de la pollution - changement climatique en tête - ou d'une nouvelle crise financière et économique plus aiguë que celle en cours ? Cet ouvrage développe en effet la thèse, iconoclaste j'en conviens, qu'au lieu de chercher une sortie « par le haut » aux impasses environnementales et sociétales actuelles avec toujours plus d'innovation, de hautes technologies, de métiers à valeur ajoutée, de numérique, de compétitivité, de haute performance, de travail en réseau, bref, de développement durable, de croissance verte et à!économie 2.0, nous devons au contraire nous orienter, au plus vite et à marche forcée, vers une société essentiellement basée sur des basses technologies, sans doute plus rudes et basiques, peut-être un peu moins performantes, mais nettement plus économes en ressources et maîtrisables localement. Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, il me semble que je vous dois quelques explications sur ce qui m'a amené à de telles réflexions. Rien ne me prédestinait a priori à ruer LA FOLIE VALSE DES CREVETTES 11 dans les brancards de ma charrette à trois clous, ni à prendre à contre-pied la majorité de- mes confrères ingénieurs, qui ne jurent que par les high tech, la recherche et développement, l'innovation, bref,le progrès au sens où on l'entend aujourd'hui, et que l'on n'arrête d'ailleurs pas, comme le veut l'adage populaire. Né deux ans après le premier alunissage, mon enfance, comme tous ceux de cette génération, fut bercée d'exploits scientifiques ou technologiques divers, rythmée par les films de science-fiction et régulièrement abreuvée de produits « révolutionnaires » : l'année de mes dix ans, la navette spatiale Columbia décollait de Cap Canaveral - le poster est'encore affiché dans ma chambre d'enfant! - et quelques mois plus tard Paris Match publiait les superbes images de Saturne transmises par la sonde Voyager 2. Au début des années 1980 commença le déferlement de l'électronique grand public, avec les calcu- latrices, les premières montres japonaises à affichage digital et leur pile bouton au lithium, les jeux vidéo de poche, Les collégiens que nous étions passaient des heures à programmer d'improbables casse-briques et autres Space Invaders à basse résolution, sur les premiers ordinateurs fournis par le ministère de l'Éducation nationale, dans le cadre, je suppose, d'un soutien à la technologie française et à la compagnie récemment natio- nalisée Thomson-Brandt (le processeur était un Motorola, mais bon) contre son grand rival de l'époque, Amstrad. Et, bientôt, des baladeurs Sony allaient nous faire connaître les premières joies de la mobilité. 12 L'ÂGÉ DES lOW m » Bref, la vie suivait son cours et le progrès son chemi- nement forcément linéaire. Il y avait bien eu quelques désillu- sions technologiques. Les revues de vulgarisation scientifique des années 1950 avaient annoncé un peu vite l'électricité presque gratuite dans le futur, des voitures ou des grille- pain nucléaires, et même des hélicoptères pour les déplace- ments urbains. Et contrairement aux prévisions, les avions Concorde ne sillonnaient pas les airs par centaines, les deux chocs pétroliers étant passés par là. Mais une information chassant l'autre, seuls quelques grincheux s'en souvenaient encore. Tout n'était pas parfait bien sûr sur la planète, les pays en voie de développement ne se développaient pas beaucoup, mais tout le monde suspectait que c'était un peu leur faute quand même. La décolonisation était encore récente et les programmes de « transfert de technologie » battaient leur plein sur fond de fin de guerre froide. Les populations du bloc soviétique semblaient un peu à la peine, mais cela donnait de formidables scénarios pour les films d'espionnage. Il y avait bien de la pollution, cependant elle restait encore localisée, en tout cas dans la perception des gens : oui, l'empoisonnement au mercure de la baie de Minamata était horrible, mais cela touchait finalement peu de personnes et c'était surtout bien loin. On aurait même dit que cette pollution locale, « chez nous », avait plutôt tendance à diminuer. Ce qui était parfois le cas, car apparaissait un phénomène promis à un bel avenir : la désindustrialisation. Voyante dans LA FOUI VALSE DES CRtVETl.ES 1 3 certains cas (mines de charbon ou sidérurgie), elle touchait effectivement des secteurs à la pollution particulièrement visible, comme les hauts-fourneaux ou les usines métallur- giques, pour des raisons différentes. Dans le cas de la sidérurgie, il s'agissait plutôt d'une rationalisation de l'appareil productif, d'un ajustement à la baisse des capacités de production : on constatait déjà le tassement de la demande, car l'effort de reconstruction et les « Trente Glorieuses » étaient passés. Pour les mines de charbon, c'était plutôt la fermeture des sites non rentables. Mais, imperceptiblement, commençait également la désindustrialisation par délocalisation. Le made in France glissait vers d'autres horizons, suivant la pente dangereuse du made in USA qui, depuis les années 1970, se faisait laminer par les produits japonais. Les cités-États comme Hong Kong et Singapour démarraient leur success story, adossées à une Chine qui se préparait à devenir l'usine du monde. Bon, vous connaissez la suite. Tandis que la chute du mur de Berlin faisait espérer des lendemains qui chantent, émergèrent dans le débat public les impacts globaux des activités humaines : le trou dans la couche d'ozone, uploads/Litterature/ philippe-bihouix-l-x27-age-des-low-tech-vers-une-civilisation-techniquement-soutenable-seuil-2014.pdf

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