Le Texte comme prétexte: Jacques Derrida lit Les Confessions de Rousseau Author
Le Texte comme prétexte: Jacques Derrida lit Les Confessions de Rousseau Author(s): Madeleine Velguth Source: The French Review, Vol. 58, No. 6 (May, 1985), pp. 811-819 Published by: American Association of Teachers of French Stable URL: http://www.jstor.org/stable/393023 Accessed: 24/11/2008 23:05 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of JSTOR's Terms and Conditions of Use, available at http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp. JSTOR's Terms and Conditions of Use provides, in part, that unless you have obtained prior permission, you may not download an entire issue of a journal or multiple copies of articles, and you may use content in the JSTOR archive only for your personal, non-commercial use. Please contact the publisher regarding any further use of this work. Publisher contact information may be obtained at http://www.jstor.org/action/showPublisher?publisherCode=french. 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La critique contemporaine repond de fagon radicale a ces questions: l'auteur est mort et marque le texte surtout par son absence. L'indifference du "qu'importe qui parle?" que Michel Foucault releve chez Beckett est devenu un des principes fondamentaux de la critique de notre epoque'. Lui est etroitement lie: qu'importe ce qu'il dit?-formule qui paraitrait a premier abord exageree. Pourtant, lorsqu'on fait de l'ecriture "un jeu de signes ordonnes moins a son contenu signifie qu'a la nature meme de signifiant2, lorsqu'on parle de l'impossibilite "de separer, par interpretation ou commentaire le signifie du signifiant"3, on temoigne d'une insensibilite fonciere envers les intentions de l'ecrivain, envers ce qu'il veut dire. Suppression d'auteur, refus de message-- quelle fin cette approche an apparence toute negative a la litterature? Pourquoi lire un texte prive de sens? Or-et voila l'apport positif de cette critique-si l'on vide un texte de sens, c'est afin d'y ouvrir "un espace de lecture," espace que le lecteur doit remplir en produisant son propre texte (G, 227). Ainsi Jacques Derrida, lisant Les Confessions de Jean-Jacques Rousseau en philosophe, en extrait un passage particulier oui il voit en abyme toute sa theorie de non-presence, du mouvement d'une chaine de traces remontant a-ou descendant de-une archi-trace qui elle-meme n'est rien. Prenant le "dangereux supplement" comme "fil conduc- teur", il tache de demontrer que la vie du narrateur n'est qu'une serie de supplements qui se remplacent l'un l'autre, que le "reel' n'a de sens qu'a partir d'une trace (un supplement), que la presence absolue n'a jamais existe. La vie reele n'a donc jamais ete qu'ecriture (car l'ecriture, c'est Sl'institution durable d'un signe', c'est-a-dire d'une trace [G, 65]) et "ce qui ouvre le sens et le langage, c'est cette ecriture comme disparition de la presence naturelle." Tout ceci, il dit l'avoir lu 'dans le texte" (G, 228). C'est Derrida qui souligne. Nous avons ici la regle maitresse de cette critique : ne lire que le texte, resister a toute tentation de l'expliquer, de le 1 Michel Foucault, 'Qu'est-ce qu'un auteur,' Bulletin de la Societe Fran,aise de Philosophie, LXIV (1969), 77. 2 Voir l'article cite ci-dessus, p. 78. 3 Jacques Derrida, De la grammatologie (Paris : Les Editions de Minuit, 1967), p. 229. Ce livre sera appele G dans mon article. 811 "transgresser" en ayant recours a la vie de l'auteur, a la societe dans laquelle il vivait. Car "il n'y a pas de hors-texte" (G, 227). D'abord parce que le texte est notre seul moyen de connaitre les details biographiques et historiques; l'acces direct a Jean-Jacques Rousseau, a Mme de Warens, a Th6erse Levasseur est impossible. Mais c'est pour Derrida surtout parce que tout est trace, c'est-a-dire ecriture, que nous devons nous borner a m6diter l'ecriture sur la page devant nous. Limitation s6evre, contraignante, vis-a-vis l'auteur et ses intentions, ouverture radicale, presque illimit6e au lecteur a qui on donne carte blanche de prendre le texte comme pr6texte, comme tremplin a ses fantaisies. Tout, n6anmoins, n'est pas permis. Derrida reserve a la critique traditionnelle, au commentaire respectueux qui redouble le discours et le recit de l'auteur, le role de prot6ger le texte contre "la production critique". Elle est "cet indispensable garde-fou" qui sert a restreindre ceux qui se croiraient autorises "a dire a peu pres n'importe quoi" (G, 227). C'est par une lecture traditionnelle que cet article tachera de deconstruire Jacques Derrida, de montrer que sa philosophie (qui n'est rien moins qu'une metaphysique) constitue une tache aveugle qui l'em- peche de comprendre le sens propre du texte de Rousseau. Car tout parti-pris id6ologique limite la lecture et risque de mener a des meprises. Trompe par sa th6orie, Derrida 6elve a tort en paradigme le passage du "dangereux supple- ment". En suivant l'61an de ses id6es il transgresse lui-meme le texte et 6tablit comme signifi6 hors-texte le d6placement de la presence par l'interm6diaire, du logos par la differance, de la parole par l'ecriture. Ma tentative est peut-etre vouee a l'echec car mon analyse traitera de la "realite metaphysique, historique, psycho-biographique" (G, 227)-r6gions dont l'acces est 'a priori interdit (G, 215). Les jeux sont faits contre tout essai de d6construction. Toutefois, puisque c'est Derrida qui nous en fournit les outils en qualifiant d'indispensable' la critique traditionnelle, faisons de notre mieux.4 "Supplement' est le mot cle de l'exposition de Derrida-"supplement' dans les deux sens: celui d'une chose qui s'ajoute ("le comble de la presence") et celui d'une chose qui se substitue, qui remplace (l'image d'une pr6sence qui a fait defaut) (G, 208). Rousseau utilise le mot tantot dans un sens tantot dans l'autre, mais toujours, selon Derrida, en disant "plus, moins ou autre chose que ce qu'il voudrait dire' (G, 226)-formule bien commode, qui permet a chacun de comprendre Rousseau a sa guise. C'est ainsi que le concept du supplement devient pour Derrida la "tache aveugle dans le texte de Rousseau, le non-vu qui 4 Paul de Man a montr6 de fagon convaincante que Derrida se trompe en voyant dans les ceuvres de Rousseau une valorisation de la voix au d6pens de l'ecriture ("Rh6torique de la cecit6: Derrida lecteur de Rousseau', Poetique 4 [1970], 455-75). Selon de Man Derrida aurait peut-etre mal lu a dessein : il aurait postule chez Rousseau une "m6taphysique de la presence" afin de pouvoir ensuite deconstruire cette construction; Rousseau lui servirait de partenaire dans un simulacre de combat (pp. 473-74). Voir aussi Christie V. McDonald, "Jacques Derrida's Reading of Rousseau', The Eighteenth Century, 20, no. 1 (1979), 82-95, et Gregory L. Ulmer, 'Jacques Derrida and Paul de Man On/In Rousseau's Faults', The Eighteenth Century, 20, no. 2 (1979), 164-81. Mon article, de portee plus restreinte, ne traitera que ce que dit Derrida sur Les Confessions dans son petit chapitre intitule "ce dangereux supplement. . . (G, 203-34). 812 FRENCH REVIEW DERRIDA LIT LES CONFESSIONS ouvre et limite la visibilit6" (G, 234). Par exemple, dans les Reveries le regne mineral est un supplement aux "veritables richesses" vegetales (G, 212). Dans l'Emile l'education est appelee supplement: elle supplee a ce qui manque aux enfants, a la nature (G, 210); dans les Dialogues c'est par contre la contemplation de la nature qui supplee aux attachements humains dont toute personne a besoin (G, 212). Et dans Les Confessions Therese Levasseur est un supplement a Mme de Warens (G, 225). Tout ceci se trouve en effet dans les textes de Rousseau. Mais est-ce dire que le supplement n'est que trace, que ce qui manque n'a jamais existe, qu'il n'y a pas de presence absolue? Oui, insiste Derrida, et ce qui le prouve ce sont les passages ou Rousseau parle du "dangereux supple- ment". La masturbation-a quoi supplee-t-elle? Question oiseuse, dira-t-on, dont la reponse va de soi. Au contraire, c'est de cette reponse que depend toute la valeur paradigmatique du "dangereux supplement." La deconstruction de la lecture derridienne ne peut se faire que par une analyse du sens et des conditions de l'onanisme de Jean-Jacques Rousseau. Car pour Derrida ce n'est pas un simple substitut a l'acte sexuel qui permet d'assouvir les besoins physiques en "tromp[ant] la nature"5. Ce n'est pas non plus, quoiqu'en dise l'auteur des Confessions, la ressource d'un timide qui peut, par son imagination, "disposer, pour ainsi dire, a [son] gre, de tout le sexe' (C, 109). Selon Derrida, Jean-Jacques pratiquerait l'onanisme afin de suppleer a une femme particuliere et finirait par preferer l'imaginaire au reel. C'est ainsi que la masturbation devient le maillon uploads/Litterature/ le-texte-comme-pretexte-jacques-derrida-li.pdf
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- Publié le Jan 23, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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