Revue d'histoire et de philosophie religieuses Réflexions sur le principe scrip

Revue d'histoire et de philosophie religieuses Réflexions sur le principe scripturaire et son application au ministère de la Parole Pierre Scherding Citer ce document / Cite this document : Scherding Pierre. Réflexions sur le principe scripturaire et son application au ministère de la Parole. In: Revue d'histoire et de philosophie religieuses, 36e année n°3,1956. Hommage au Professeur Jean-Daniel Benoît à l'occasion de son 70e anniversaire. pp. 208-231; doi : https://doi.org/10.3406/rhpr.1956.3465 https://www.persee.fr/doc/rhpr_0035-2403_1956_num_36_3_3465 Fichier pdf généré le 22/11/2019 REVUE D'HISTOIRE ET D,E PHILOSOPHIE RELIGIEUSES Réflexions sur le principe scripturoire et son application au ministère de la Parole Dans un des derniers chapitres de son traité d'homilétique, M. W. Trillhaas 1 rappelle une parole de Goethe qui écrit au chancelier Müller : « Pour parler, il faut avoir à dire quelque chose, je plains toujours nos bons prédicateurs, obligés de faire d'une gerbe de blé battue et rebattue depuis vingt siècles l'objet de leur activité. » 2. Remarque qu'on pourrait qualifier de boutade frivole, si elle ne visait une réelle difficulté ressentie souvent assez péniblement par les uns, alors qu'elle devient désastreuse pour d'autres qui ne l'éprouvent pas. Personne n'est peut-être mieux placé pour l'apprécier que celui qui, en raison de ses fonctions, ne se voit pas seulement appelé à prêcher, mais aussi à préparer d'autres au ministère de la Parole, les entend prêcher, et constate combien le danger de la routine, blâmée tacitement par la parole citée, les guette. Or, telle qu'elle est formulée, la remarque de Goethe met en dernier lieu le principe scripturaire en cause. Pour voir si cette mise en cause est réellement fondée, nous aurons à examiner : Dans quel sens la Bible elle-même justifie le principe, quelle est l'application qu'il a trouvée dans l'Église protestante, y com¬ pris les suites qui en résultèrent, et quelles conséquences pratiques nous aurons à tirer de cet examen de faits. Aucun théologien protestant sérieux ne contestera la vali¬ dité du principe scripturaire, article fondamental de la doctrine chrétienne qui dit que, même si l'on admet une révélation uni¬ verselle à côté de la révélation biblique, cette dernière, codifiée dans le Canon des Ecritures saintes, doit être envisagée comme la seule normative. Révélation et Parole divine paraissent à 1 W. Trillhaas, Evang. Predigtlehre, Kaiser-München, 1948, p. 198. 2 « Ich bedaure immer unsere guten Kanzelmänner, welche sich eine seit zweitausend Jahren durchgedroschene Garbe zum Gegenstand ihrer Tätigkeit wählen müssen. » PRINCIPE SCRIPTURAIRE ET SON APPLICATION AU MINISTÈRE 209 première vue absolument identiques, mais qu'en est-il du texte scripturaire ? La révélation se définit comme l'acte par lequel Dieu veut entrer en relation avec l'homme ; Dieu ne se manifeste pas comme une sorte de puissance neutre, mais comme une volonté personnelle qui, pour entrer au plus profond de la vie et de la conscience humaines, choisit un point d'attaque et adresse ainsi au peuple élu sa Parole en forme d'enseignements, d'ordres, d'avertissements, de promesses. Elle est Parole d'appel en quête d'une réponse, elle poursuit un but, Israël doit devenir le peuple-témoin, l'histoire sainte est l'histoire de son éducation et de sa préparation à ce rôle qui lui est échu. Si à certains moments la révélation fait irruption dans le monde immanent avec une singulière intensité, elle ne se présente pas moins dans l'ensemble comme une action continue et cohérente qui, pour être retenue, demande à être fixée. La Parole-Acte se cristallise dans la Parole-Ecriture qui reproduit l'histoire sainte. Cette histoire de la révélation se confond si intimement avec l'histoire du peuple d'Israël que tout ce qui se rapporte à cette dernière s'insère dans le même cadre ; le contenu de la Bible comportera finalement toute l'œuvre littéraire du peuple élu avec tous les genres littéraires dans lesquels le génie d'une nation a l'habi¬ tude de s'exprimer. Action divine et réaction humaine se compénètrent ainsi d'une manière inextricable. Le dialogue se poursuit de façon à ce qu'il n'y a pas seulement acceptation docile de la part de l'homme, mais aussi incompréhension et opposition latente, la Parole n'est pas simplement enregistrée telle quelle. L'Esprit de Dieu, qui inspire, ne se substitue pas à l'esprit humain, il s'en sert, le subjugue sans le réduire pour cela à l'état d'instrument inerte. Il s'adresse à une conscience libre, attend une réponse sincère où l'homme est présent avec toute sa pensée, sa volonté, sa sensibilité humaines. La révé¬ lation adopte le langage humain avec toutes ses imperfections, mais elle ne chemine pas seulement sous l'habit terrestre qui rend souvent l'hôte céleste méconnaissable, il peut même s'établir un certain antagonisme entre les deux éléments divin et humain. De par ses imperfections humaines, la révélation transmise oralement, puis par écrit, invite l'homme à s'occuper * d'elle, et voilà qu'elle est interprétée, commentée, systématisée et synthétisée, les commandements de Dieu donnent lieu à une ample législation, la Parole de Dieu devient de plus en plus objet de l'effort humain qui essaye de la capter pour en faire un acquis dont on dispose. A « l'Eternel dit » s'oppose alors 210 revue d'histoire et d,e philosophie religieuses 1« « scriptum est ». Cette tension latente peut mener à des conflits tragiques, quand la révélation se voit obligée à s'affran¬ chir de l'emprise humaine. Jérémie conçoit la nécessité d'une nouvelle alliance où la loi sera inscrite dans le cœur même des enfants d'Israël et non seulement — pouvons-nous compléter la pensée du prophète — sur des tables de pierre et des rouleaux de parchemin. En effet, la révélation se libère de la captivité dans laquelle les hommes de la loi l'avaient tenue. La Parole se fait chair, en s'incarnant en Jésus-Christ, elle gagne toute son intensité, Jésus ne dit pas seulement la vérité, il est la Vtérité, il incarne et la sainteté et l'amour de Dieu, sa volonté de se donner à l'homme et de le sauver à tout prix. En réalité, l'incarnation a été un événement bouleversant. Certes, on attendait le Messie qui devait venir, mais ce Messie qui est venu était inattendu. Cela perce déjà dans le fait que les trente années de sa préparation au ministère se passent dans l'oubli. Nous voyons bien les évangélistes s'adonner avec ardeur à la tâche de fonder leur message sur la preuve scripturaire, mais les rapprochements qu'ils établissent entre les détails de la vie et de la mort de Jésus et certains textes bibliques nous paraissent souvent, pour ne pas dire le plus souvent, forcés et arbitraires. Il est vrai que l'Evangile plonge ses racines profon¬ dément dans la tradition biblique, en sorte que Jésus a bien pu dire qu'il est venu accomplir la loi. Il n'est pas moins vrai qu'il avait des opinions très libérales concernant les lois de purifi¬ cation, le commandement du sabbat, l'utilité du culte sacrificiel 3. On ne l'a pas condamné pour cela. Plus lourde était l'accusation qu'il aurait parlé de la destruction du temple, décisive a pu être la prétention d'être le Messie. On se faisait une idée très nette de ce que devait être le Messie et de l'œuvre qu'il avait à accomplir. Ce que l'on sut de Jésus de Nazareth correspondait à première vue si peu à l'œuvre spectaculaire et grandiose qu'on attribuait au descendant de David. Si une part de jalousie, de mépris,· de haine, ont joué leur rôle chez les dirigeants du peuple, beaucoup d'entre eux ont sans doute cru avoir des raisons sérieuses pour le juger coupable et, versés dans les Ecritures auxquelles ils se sentaient liés, c'est en raison d'un « scriptum est » qu'ils l'ont en dernier lieu condamné. La religion du Code sacré semblait avoir triomphé de la religion de l'Esprit. 3 Cf. E. Lohmeyer, Kultus und Evangelium, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1942. PRINCIPE SCRIPTURAIRE ET SON APPLICATION AU MINISTÈRE 211 Nous avons appris à interpréter l'ancienne Ecriture à travers l'Evangile codifié et connu. Partant de cette impression qu'en Jésus-Christ le mouvement de la révélation a gagné son point culminant, puisqu'en Lui habite corporellement, comme dit l'épître aux Colossiens, la plénitude de la divinité, on ne peut manquer de voir comment toutes les lignes qui partent de l'his¬ toire des patriarches, de la loi, des prophètes, du psautier, convergent vers ce centre. En Christ, les Ecritures trouvent leur unité profonde, mais en même temps la Parole divine redevient événement. L'Evangile n'est pas en premier lieu une doctrine, mais une histoire. Cette histoire comporte un sens infiniment riche, elle est pleine d'enseignement, chaque parole de Jésus est un acte et tout acte qu'il accomplit est une leçon. En plus, son Evangile se situe dans la même mesure hors du temps que sa personne s'élève au-dessus des contingences de son époque. Il n'est ni juif, ni grec, il est l'homme tout court, il domine le temps. Et cela précisément parce qu'il résume tout le contenu de la révélation, il en dégage le sens absolu et éternel. L'histoire sainte, comme histoire de la révélation, s'arrête en Lui, main¬ tenant que tout est dit et que tout est fait. En Jésus-Christ, par l'œuvre de la rédemption, Dieu offre gratuitement le salut au monde. Il uploads/Litterature/ rhpr-0035-2403-1956-num-36-3-3465.pdf

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