GLOTTOPOL Revue de sociolinguistique en ligne N° 3 – Janvier 2004 La littératur
GLOTTOPOL Revue de sociolinguistique en ligne N° 3 – Janvier 2004 La littérature comme force glottopolitique : le cas des littératures francophones SOMMAIRE Claude Caitucoli : Présentation Claude Caitucoli : L’écrivain francophone agent glottopolitique : l’exemple d’Ahmadou Kourouma Gisèle Prignitz : Récupération et subversion du français dans la littérature contemporaine d'Afrique francophone : quelques exemples Cécile Van den Avenne : La position énonciative complexe d’un écrivain d’Afrique francophone : le cas d’Hubert Freddy Ndong Mbeng Pierre Dumont : Du métissage à l'interculturel, itinéraire d'une rencontre impossible, le cas Senghor Bernard Zongo : La négritude : approche diachronique et glottopolitique Moussa Daff : Vers une francophonie africaine de la copropriété et de la cogestion linguistique et littéraire Claudine Bavoux : Le partage de la langue dans Train fou d’Axel Gauvin Chiara Molinari : Réseau spatial et linguistique: le cas de Patrick Chamoiseau Stéphanie Bérard : Créole ou/et français : le multilinguisme dans Mémoires d’isles d’Ina Césaire Nathalie Schon : Stratégies créoles. Etude comparée des littératures martiniquaise et guadeloupéenne Valérie Magdelaine Andrianjafitrimo : Une mise en scène de la diversité linguistique : comment la littérature francophone mauricienne se dissocie-t-elle des nouvelles normes antillaises ? Annette Boudreau, Raoul Boudreau : La littérature comme moyen de reconquête de la parole. L’exemple de l’Acadie Foued Laroussi : « Ecrire dans la langue de l’autre » ? Quelques réflexions sur la littérature francophone du Maghreb Compte rendu Claude Frey : Suzanne Lafage, Le lexique français de Côte d'Ivoire, appropriation et créativité, tome 1 et tome 2. Le français en Afrique, Revue du Réseau des Observatoires du Français Contemporain en Afrique Noire, n° 16 et n° 17. Institut de Linguistique française – CNRS, UMR 6039 – Nice –, 2003, 865 p. UMR CNRS 6065 DYALANG – Université de Rouen http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol STRATEGIES CREOLES Etude comparée des littératures martiniquaise et guadeloupéenne Nathalie Schon Université de Manchester La traduction d’une institution La production littéraire en créole est de plus en plus importante aux Antilles. Il semblerait que ces publications, même si elles sont encore souvent de caractère artisanal, jouissent d’un regain d’intérêt ces dernières années. Mais l’utilisation du créole est-elle comparable en Martinique et en Guadeloupe et quel est son rapport au français, langue d’écriture traditionnelle ? Le créole doit-il être perçu forcément comme opposé au français ? Lorsque Patrick Chamoiseau explique le créole, s’adressant ainsi aux Français, néglige-t-il pour autant le public antillais ? On peut distinguer non pas une littérature créole et une littérature française, mais une littérature française créolisante et une littérature française et créole. Raphaël Confiant a publié de nombreux nouvelles et romans en créole. Il prend en charge leur traduction ou la confie à des traducteurs proches de sa sensibilité linguistique : Jik dèyè do Bondyé (1975), Bitako-a (1985), Kôd Yanm (1986), Marisosé, (1987), Jik dèyè do Bondyé (2000). On note d'ailleurs une réapparition récente des publications en créole : Raphaël Confiant, qui avait abandonné l'écriture en créole dans une volonté d’être lu par un plus grand nombre, renoue ainsi avec l'écriture en créole. La Martinique est-elle plus réceptive à présent à ce type de littérature ou s’agit-il d’un nouvel essai jugé prometteur dans le cadre du développement du GEREC ? Même s’il s’agit de textes écrits auparavant, leur publication actuelle est révélatrice d’un changement de climat culturel. Les auteurs guadeloupéennes se distinguent de bon nombre de leurs homologues martiniquais par une approche moins exclusive de la langue d'écriture : Maryse Condé et Gisèle Pineau ont choisi le français, Sylviane Telchid le français et le créole de façon simultanée (sa version française ne comporte que peu d’expressions créoles et ce de manière GLOTTOPOL – N° 3 – Janvier 2004 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 132 irrégulière ; on ne peut donc parler de français créolisé comme le pratiquent Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant). De fait, si la logique des Martiniquais est celle d’une confrontation des langues, celle des Guadeloupéennes correspond plutôt à une coexistence. Des exceptions existent sans doute, mais elles sont étonnamment rares. Ainsi, la traduction en français « standard » des textes martiniquais en créole vise non pas la pluralité des langues, mais la conquête de l’espace littéraire par le créole. La traduction est considérée comme une béquille amenant le lecteur vers le texte originel : « Traduite en français par des auteurs tels que R. Confiant, R. Jean-Baptiste- Edouard, R. Parsemain et G.-H. Léotin, pour votre plus grand plaisir, Térèz Léotin voit ceux-ci réussir admirablement la gageure d’atteindre une totale fidélité quant à la traduction. En effet, il nous est donné à entendre le monde créole. » (Léotin, 1997 : quatrième de couverture). On notera qu’il s’agit ici de rendre une tradition orale par l’écriture, à qui l’on accorde une fonction de transcription et non de création. On ne peut donc pas parler de deux versions d’une histoire, mais d’une version transposée dans une autre langue. Le récit créole est ainsi placé au centre, la traduction étant par nature secondaire. Il n’est qu’à citer quelques passages de « Pipich pawòl », « Menus propos » en français pour se rendre compte de la volonté de reproduire le créole, afin d’amener le lecteur vers le texte « premier » : Texte en créole : « Doubout ora isiya menm, wou ki ka chaché bon nyouz ki ké sa fè’w tjenbé londjè chenn la jounen-an. Wou ki lé jwenn ti listwa grandisèz ki ké sa ba’w lanmen pou monté mach la konésans. Wou ki sa koumandé pawòl – ba’w lè – pou risouvrè’w grangrèk. » (Op. cit. : 11). Traduction en français : « Arrêtez-vous ici même, sans autres limites, vous qui êtes à la recherche de grandes épopées capables de vous faire tenir la mesure d’une journée sans vous lasser de sa longueur. Vous qui recherchez des histoires performantes qui vous aideront à grimper les hauteurs de la connaissance. Vous qui savez faire pression sur la parole pour qu’elle sache vous recevoir aux rangs des érudits grands grecs. » (Ibid. : 41). Il n’est pas inutile de savoir que Térèz Léotin est un membre fondateur du journal créole Grif-an-tè, qui parut de 1977 à 1982, et dont le but était de promouvoir l’écriture du créole dans l’esprit du GEREC (Groupe d’Études et de Recherches en Espace Créolophone) créé en 1975 par Jean Bernabé. Raphaël Confiant, responsable des publications du GEREC, fut un contributeur régulier aux pages littéraires et auteur de reportages sociaux pour Grif-an-tè. A l’heure actuelle, le GEREC contribue à travers ses publications et son engagement en faveur du CAPES de créole à défendre cette langue, même si les auteurs békés n’adhèrent pas souvent à cette position1 : « Notre créole est assurément un signe de reconnaissance, un lien intangible et vivace de notre société antillaise. Pour toutes ces raisons, je ne le considère pas en danger d’extinction. Que tous ceux qui souhaitent s’enrichir en l’apprenant, en l’enseignant, en passant CAPES ou agrégations soient libres de le faire, mais le dispositif législatif actuel semble amplement suffisant pour cela. » (Jaham, 1999 : 9). Cette critique du projet créoliste est relativement isolée au sein de la revue Antilla, créée en 1981, véritable forum pour les défenseurs de la créolité : Raphaël Confiant et Patrick 1 Le terme « béké » est employé dans son sens socio-culturel. Le Béké se distingue de la bourgeoisie citadine, dont Confiant est un représentant. Sur ces catégories se greffent des identités raciales définies par les auteurs afin de légitimer leurs combats culturels. GLOTTOPOL – N° 3 – Janvier 2004 http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol 133 Chamoiseau interviennent régulièrement dans ses pages qui font par ailleurs bonne place à la réception de leurs œuvres. Une polémique s’est dégagée confrontant les créolistes aux chercheurs métropolitains jugés hostiles à leur cause. Ainsi, une publication de Robert Chaudenson qui exprime ses réserves dans Libération en ce qui concerne les modalités du choix d’un créole « standard » est aussitôt suivie par des prises de position pas toujours très élégantes de la part du GEREC, notamment dans l’article «Chaudenson et le mammouth» (Confiant, 2001). Ces articles soulèvent la question, très actuelle en Martinique, d’un standard : sera-t-il fondé sur le créole martiniquais ? Le guadeloupéen ? Le guyanais ? Le basilecte créole ? L’acrolecte ? Le mésolecte ? Ces interrogations qui semblent relever du détail renvoient de fait à une politique culturelle précise : le choix d’un créole « standard » commun aux trois, voire aux quatre régions si l’on inclut l’Océan Indien, qui conserveraient leur dialecte ne met pas un terme au débat, puisqu’un individu ou plus probablement un groupe bien précis choisira ce « standard » qui finira par s’imposer. Aussi, la question des modalités du choix de ce créole est-elle bel et bien fondée. L’importance du GEREC dans l’organisation du CAPES de créole et la virulence de ses réponses laissent augurer d’un choix politique conflictuel2. On notera que cette stratégie de promotion du créole est également critiquée par certains linguistes, notamment par Lambert-Félix Prudent. En effet, celle-ci a tendance à imposer au débat une alternative : créole régionalisé (créole martiniquais et créole guadeloupéen) ou hégémonie du créole martiniquais uploads/Litterature/ strategies-creoles 1 .pdf
Documents similaires










-
31
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Jul 19, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.0915MB