Objet d’étude : La poésie du XVIe siècle au XXIe siècle Charles Baudelaire, Les

Objet d’étude : La poésie du XVIe siècle au XXIe siècle Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal (1857) Parcours associé : « Alchimie poétique : la boue et l’or» : Texte 8 : « L’Ennemi » Poème X de la section Spleen et Idéal Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage, Traversé çà et là par de brillants soleils ; Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage, Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils. Voilà que j'ai touché l'automne des idées, Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux Pour rassembler à neuf les terres inondées, Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux. Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve Trouveront dans ce sol lavé comme une grève Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? - O douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie, Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur Du sang que nous perdons croît et se fortifie ! Charles Baudelaire, Les Fleurs du Mal (1857) Explication liénaire Introduction - Thème : la fuite du temps = thème récurrent dans les F d M , une composante du spleen. = mais aussi un motif traditionnel dans la poésie [= un topos poétique v. la notion de topos étudiée dans La Princesse de Clèves] Traité par Baudelaire de manière originale. - Le sonnet en alexandrins est le 10è poème de « Spleen et Idéal » ; il développe le thème : le temps qui passe est présenté comme l’ « Ennemi ». - Problématique : en quoi le temps est-il l’ennemi du poète ? ou En quoi le poème s’inscrit-il dans le spleen ? - Structure : le sonnet suit une progression chronologique. Une analogie est établie entre les saisons et les étapes d’une vie. I- Jeunesse ; II- Bilan de l’âge mûr ; III- Espoir d’un renouveau qui s’apparente au printemps ; IV- Le démenti catégorique : le Temps destructeur. Développement I- 1er quatrain : la jeunesse, un été orageux. La strophe est construite sur une seule phrase en deux temps : • Présentation de la jeunesse du poète : v.1 et 2 Tonalité lyrique du recueil  Baudelaire est l’héritier du Romantisme. • Sa jeunesse est derrière lui : « fut » : + elle est décevante: négation partielle « ne…que » + Elle est associée à un paysage d’été et une alternance entre ombre/ lumière : « çà et là », « ténébreux »/« brillant », « orage »/ « soleil » + antithèse entre le poids du spleen et les élans vers l’idéal + rimes croisées : ce qui est remarquable car les rimes sont traditionnellement embrassées dans un sonnet classique. Comparaison entre tumultes de la vie et quelques moments meilleurs + « çà et là » et le participe passé « traversé » qui souligne la brièveté de ces moments de bonheur. • V.3 et 4 : bilan décourageant ; métaphore filée de l’orage et de ses effets désastreux sur le présent du poète : phrase complexe en deux propositions, la deuxième, au présent, énonce les conséquences néfastes. + Métaphore du jardin à laquelle la vie du poète est comparée + Action destructrice de l’eau qui emporte tout sur son passage et lne laisse plus d’espoir : « Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage ». + « bien peu » : montre les conséquences de cette jeunesse tumultueuse qui a tout détruit. Métaphore des « fruits vermeils » II- 2ème quatrain : Le présent du poète : l’automne. Le poète associe encore une saison à un âge de sa vie. • Il dresse un bilan avec le présentatif « voilà » + le passé composé qui souligne une action révolue, irrémédiable : le temps a passé inexorablement, c’est un constat tragique ; l’automne, associée au déclin pas seulement physique avec « l’automne des idées » : peur du poète de ne plus pouvoir créer, de perdre la mémoire, l’inspiration avec l’âge. L’automne est vu comme précédant l’hiver, la mort, ce qui est une métaphore traditionnelle chez les poètes romantiques ( héritage toujours) • V.6 à8 : la métaphore du jardin est filée avec le lexique des outils de jardinage : « pelles », « rateaux » ( termes prosaïques, concrets qui renvoient au travail du jardinier auquel il se compare). + Les trois vers expriment les efforts du poète pour lutter contre la destruction, contre les dégâts de l’inondation : « il faut », tournure injonctive, une nécessité + « Pour rassembler… » : proposition infinitive de but qui renforce l’injonction. + L’eau : son action destructrice, déjà évoquée dans la strophe 1, associée à une comparaison funèbre « les tombeaux » (v. 8), thème de la mort , angoissant, sentiment renforcé par l’adjectif « grand ». Les métaphores donnent une image très concrète des désastres du temps sur le poète et sur son inspiration. III- 3ème strophe ( tercet) : espoir d’un renouveau. • Une nouvelle saison est envisagée, une projection de l’esprit : le printemps avec le nom « les fleurs » + v.10 verbe au futur « Trouveron », mis en début de vers qui donne le sentiment que le poète retrouve espoir dans cet avenir. • Ce premier tercet marque un changement de ton : la phrase interrogative associée à l’hypothèse formulée au début (« Et qui sait ») + le verbe à la rime « rêve » et les deux enjambements suggèrent un élan (v.10 et v.11) et la formulation d’un espoir. • Quel espoir ? « les fleurs nouvelles » évoquent les poèmes à venir ( voir le titre du recueil) ; o une mise en valeur de ce GN par la place centrale dans le vers ; o et la polysémie de l’adjectif « nouvelles » qui signifie : ▪ à venir : le poète aurait alors retrouvé son inspiration et il va écrire des poèmes nouveaux ▪ et innovantes , il s’agit d’un projet novateur (qui ne s’est jamais fait), celui du poète de Baudelaire, dans ce recueil. • Quel est le terreau de ces fleurs ? v.10 « ce sol lavé comme une grève » ( référence au v.7 « les terres inondées ») : le problème est qu’ un sol stérile pourrait-il être enco fertile ? mais le terme « lavé » peut évoquer une action purificatrice et donc bénéfique : cela fait penser à l’eau du baptême qui lave du péché. v.11 : la nourriture spirituelle qui rendra au poète son inspiration. « mystique », terme lié à la religion, au mystère, on pense au poète-alchimiste. La souffrance ne serait plus stérile mais elle serait créatrice. Les tourments seraient un aliment revivifiant. Le spleen pourrait-il favoriser l’inspiration ? • Pourtant, au v.11 : « ferait » : le verbe est au conditionnel, c’est le mode du doute… IV- 4ème strophe : Le temps vainqueur ; le désespoir prend le dessus. v.12 : le tiret marque une rupture syntaxique, une rupture dans la tonalité. Le « ô » de la plainte + la répétition de l’apostrophe « Ô douleur ! » montre que le poète exprime de façon emphatique sa douleur. C’est la tonalité élégiaque (qui manifeste de la mélacolie) qui s’installe. • Le « je » + la métaphore filée de l’orage disparaissent pour laisser la place à une allégorie du temps. • Le Temps est un monstre terrifiant : il a un pouvoir de dévoration, il « mange la vie», « ronge le cœur », il est « l’obscur Ennemi », il a une dimension vampirique ; il est un parasite qui se fortifie grâce au sang des hommes : le vers 14 offre une antithèse saisissante, d’autant plus qu’il y a antéposition du COI (« Du sang »), des verbes « croît » et « se fortifie ». • Les monosyllabes (mots en une seule syllabe : « temps,ronge, sang, croît… » + les nasales (son en « on » et « en »): tout dit l’effroi de l’homme devant le monstre. • tonalité tragique de cette dernière strophe : « nous » + présent de vérité générale, c’est la peinture tragique de la condition humaine. Conclusion - Sonnet caractéristique de la poésie baudelairienne : goût pour les allégories qui donnent une image concrète, saisissante, des angoisses du poète. - Le poète a su renouveler le thème de la fuite du temps en lui donnant les traits angoissants d’un vampire. - La poésie semble présenter une valeur salvatrice : elle aiderait le poète à supporter sa condition mais ici, échec à la fin du poème. - Pourtant ce poème, « une fleur nouvelle »… - D’autres poèmes sur le spleen, développant des allégories : « Spleen IV » notamment « Quand le ciel bas et lourd… ». uploads/Litterature/ texte-8 1 .pdf

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