Théorie du montage Térésa Faucon Théorie du montage Énergie des images 2e éditi
Théorie du montage Térésa Faucon Théorie du montage Énergie des images 2e édition Série IRCAV dirigée par Laurent Cretou Ouvrage publié avec le concours de l’Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel (IRCAV), Université Sorbonne Nouvelle-Paris 3 Illustration de couverture : Marie Ruchat dans Adieu au langage (Jean-Luc Godard, 2014). © Wild Bunch / Canal+ / CNC / The Kobal Collection. © Armand Colin, 2013, 2017 Armand Colin est une marque de Dunod Éditeur, 11, rue Paul Bert, 92240 Malakoff www.armand-colin.com ISBN 978-2-200-61822-3 Remerciements I ls s’adressent tout naturellement à celui qui a accompagné, avec beaucoup d’attention, une première version de ce travail, Jacques Aumont, à ses premiers lecteurs, Raymond Bellour, Jean-Luc Nancy, Francis Ramirez, pour leurs précieuses remarques, à Laurent Creton pour son soutien amical, à Barbara Le Maître pour nos échanges depuis tant d’années et « le gond plastique » en particulier, à Stefani de Loppinot pour les découvertes filmiques, et à Damien Sausset, infiniment. 4 « Le nom nous était familier non pas en art mais en construction mécanique et dans l’industrie électrique et nous parvenait dans le secteur le plus progressif de l’art, dans le cinéma. Ce domaine, cette méthode, ce principe de construction n’étaient autre chose que le montage. » (Eisenstein 1) 1. S. M. Eisenstein, « Dickens, Griffith et nous », in Le Film : sa forme, son sens, Christian Bourgois, 1977, p. 366. Introduction Les possibles d’une « nouvelle » théorie du montage 1 I l est difficile de résumer où l’on en est de la réflexion sur « le » mon- tage, de faire un état des lieux, une synthèse de la littérature qu’il a suscitée. On trouve des grammaires, des ouvrages plus ou moins techniques, des analyses, des essais ou des tentatives théoriques plus ou moins aboutis pour faire du montage un concept. Qui les écrit ? des théoriciens, des sémiologues, des critiques, des philosophes, des historiens, des monteurs, des cinéastes… Cela fait du montage un objet un peu encombrant puisque déjà soumis à de nombreuses inter- prétations et un « objet » banalisé puisque, en outre, on trouve du montage « partout », dès qu’il est question d’assemblages, de collages, d’enchaînements, de liaisons. Si l’on ne garde que les théorisations, qu’elles soient seulement esquissées, disséminées dans les écrits de cinéastes, philosophes, esthéti- ciens ou qu’elles tendent à l’exhaustivité d’une grammaire, qu’est-ce qui apparaît ? Des outils de description identifiant les éléments sur lesquels s’articule une liaison, précisant une fonction à remplir (par rapport à un récit ou un discours), avec parfois la conviction de pouvoir normaliser. Pourtant, à entrer dans l’analyse du montage, des petites et des grandes articulations, on prend vite conscience de l’impossibilité d’une norme. Les modes d’enchaînement, d’association, de raccordement sont mul- tiples et se définissent par rapport à un récit, un style, une époque, un 1. Cet ouvrage est tiré d’une partie de ma thèse de Doctorat soutenue en 2002 à l’Université Sorbonne nouvelle-Paris 3 sous le titre : Théorie énergétique du montage. 6 Théorie du montage pays, un auteur… Dans un large ambitus, le terme montage renvoie aussi bien aux règles simples et conventionnelles pour organiser l’es- pace-temps filmique (par exemple celles des 180° ou des 30°) qu’à un processus complexe d’étoilement d’images et de son, du split-screen aux dispositifs de polyvision en passant par les images composites. On lit encore des propositions de démonstration de son efficacité, de sa force créatrice ou de sa puissance sémantique, rythmique, figurale… Derrière ces nombreuses manifestations et l’analyse des effets du mon- tage, un principe générateur peut-il être dégagé ? Peut-on saisir l’essence du montage au-delà de fonctions syntaxiques, narratives, discursives, rythmiques ou plastiques ? au-delà des contingences historiques, géo- graphiques, des critères de genre et des politiques d’auteurs ? Une nou- velle théorie du montage devrait avoir pour horizon la compréhension de ce qui se joue essentiellement entre les images, quelles que soient les formes du montage, des plus communes aux plus singulières, des toutes premières aux plus contemporaines. Il est aussi permis d’espérer qu’elle considère l’acte de création du montage sans pour autant chercher une justification aux analyses du côté des intentions du monteur. Avant même de couper, monter c’est être à l’écoute des images, découvrir leur fonctionnement, en saisir la respiration, la pulsation, le rythme – la part physiologique et intuitive du montage s’affirmera avec la défini- tion des outils théoriques et les analyses filmiques. L’hypothèse est donc celle-ci : les images seraient porteuses d’une énergie – dont les manifestations sont variées – que le montage devrait prendre en charge, actualiser, activer, polariser. Ceci implique l’analyse du jeu des forces en action dans les plans et des transforma- tions et métamorphoses qui en découlent. Quelle est la perspective de cette hypothèse de départ à savoir son horizon et son trajet ? Peut- elle être « vérifiée » dans le champ cinématographique ? A-t-elle une vertu explicative qui permettrait de proposer une nouvelle théorie du montage ? Une théorie énergétique du montage Partant de l’intuition d’une énergie qui circule, le concept sera défini pour identifier les éléments porteurs ou générateurs de l’énergie à l’œuvre dans les images et analyser leur comportement, donc le traitement de l’énergie dans le film. Car la première difficulté sera phénoménologique Introduction 7 comme le rappelle Patrick de Hass : « L’énergie n’est pas représentable, elle “reste sans figure” (Bachelard) 1 ». L’entrée en matière d’un ouvrage de vulgarisation au titre programmatique, L’Énergie, ses transforma- tions, ses applications d’Henri Arnould mettait déjà en garde : « L’énergie comme la matière se présente sous de nombreux aspects, mais elle n’est pas visible ni tangible comme la matière, néanmoins on peut la mesurer, la compter… 2 » en appréhender les effets sur la matière. Qu’est-ce que l’énergie ? Une notion aujourd’hui très répandue, galvaudée. À l’origine, une force de travail. Énergie est un emprunt (vers 1500) au bas latin energia « force, énergie », lui-même du grec energeia « force en action », dérivé de ergon « travail ». Au cœur du montage donc une force en action, une production de travail. L’histoire de la mécanique n’a cessé de redéfinir ce concept : de la balistique, bénéficiant des premières applications de la mécanique, aux mécaniques des solides, des fluides, des ondes, sans oublier les deux principes de la thermodynamique à la fin du xixe siècle et les crises relativiste et quantique au xxe siècle ; de la notion de force à la redéfinition de son rapport avec la matière. (Aujourd’hui, nous disons que l’énergie ne se traduit plus par un déplacement de matière mais se confond avec la matière.) Energia a eu des emplois en sciences depuis le début du xviie siècle. Si il est assez généralement utilisé en physique au début du xixe siècle, le concept moderne d’énergie ne se dégage que vers 1850. Il est fondé sur la notion de chaleur ainsi définie par Laplace et Lavoisier à l’Académie en 1780 : « Les physiciens sont partagés sur la nature de la chaleur. Plusieurs d’entre eux la regardent comme un fluide répandu dans toute la nature, et dont les corps sont plus ou moins pénétrés, à raison de leur tem- pérature et de leur disposition particulière à le retenir (…) D’autres physiciens pensent que la chaleur n’est que le résultat des mouvements insensibles des molécules de la matière (…) c’est ce mouvement intestin qui, suivant les physiciens dont nous parlons, constitue la chaleur 3. » 1. P . de Haas, Cinéma intégral. De la peinture au cinéma dans les années vingt, Transédition, 1985, p. 78. 2. Ouvrage publié chez Quillet au début du XXè siècle (non daté), p. 1. (Je souligne.) 3. Cité par Jean-Claude Boudenot, Histoire de la physique et des physiciens, Ellipses, 2001, p. 163. 8 Théorie du montage L’existence d’équivalents mécanique, électrique et chimique de la cha- leur amène Julius Robert von Mayer (physicien allemand) à postuler l’exis- tence dans l’Univers d’une unité fondamentale se manifestant sous des formes diverses – travail, chaleur, liaisons chimiques, etc. – et à laquelle, sous l’influence de Leibniz, il donne le nom de « force », peu de temps après appelée énergie 1. Action extérieure (le calorique) ou mouvement propre, Léonard Sadi Carnot tranche en 1831 en reconnaissant que « la chaleur n’est autre que la puissance motrice ou plutôt le mouvement qui a changé de forme, c’est un mouvement 2 ». Il avance alors cette thèse qui deviendra le principe de conservation de l’énergie : « la puissance motrice est en quantité invariable dans la nature, elle n’est jamais à proprement parler ni produite ni détruite. À la vérité, elle change de forme 3. » C’est cette articulation fondamentale entre les forces et les formes qui sera à la base de notre théorie énergétique du montage. On la retrouve dans d’autres théories, en particulier celles des cinéastes, Eisenstein, Epstein, Tarkovski. Ainsi, pour ne citer qu’un exemple à ce stade, Epstein définit l’essence de l’image cinématographique en reconnaissant la relation entre mouvement et forme, « relation qui pourrait bien être d’unité, uploads/Litterature/ theorie-du-montage.pdf
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- Publié le Mai 18, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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