Le discours colonialiste prétend que la mission de l’homme blanc est noble en c

Le discours colonialiste prétend que la mission de l’homme blanc est noble en ce sens qu’elle aspire à civiliser l’homme noir, comme si ce dernier était dépourvu de toute culture, de toute histoire et de toute mémoire. L’histoire retiendra qu’effectivement, outre l’action purement militaire, le colonisateur a fortement misé sur l’acculturation, comme processus destiné à saper la culture du colonisé, à la dénoyauter, avant de lui inculquer la sienne. Le colonisateur réalisait que la conquête manu militari des territoires africains était moins facile que celle de l’identité et de la culture des peuples africains. Pour parvenir à ses fins, fort des études anthropologiques réalisées avant le début de la colonisation, le colonisateur va se servir de toutes les clés qu’il détient pour anéantir la résistance culturelle de ceux qu’il juge inférieurs et les amener , au final, à faire des concessions de taille. Oyono, comme les autres auteurs de sa génération, a été hautement sensible à la réalité on ne peut plus bancale de son pays et des siens. En 1965, l’auteur publie Une vie de boy, roman dans lequel il établit la radioscopie de l’idéologie coloniale, ote le voile sur les paradoxes de l’homme blanc, et ce en usant d’une forte dose d’humour et d’ironie. Dans Le Vieux nère et la médaille, publié la même année, il continue le même travail de déconstruction de la démarche du colonisateur, voire le dévoilement de ses impostures et notamment le faussé abyssal séparant ses promesses de Gascon et ses sordides actions, en porte à faux avec les valeurs, si valeur il y a, dont ce dernier se recommande. Aux yeux du colonisateur, l’occident est porteur d’une vraie civilisation. Il lui incombe de l’étendre à la totalité du globe, en imposant sa colonisation providentielle à ceux qui sont considérés comme des peuples indigènes, à l’état primitif, sans aucune culture. Les médiums mobilisés à cet égard sont l’école et l’église. Le choix de ces deux appareils idéologiques n’est pas fortuit. En effet, l’école et l’église ont ceci en commun de formater la culture du colonisé, de l’éradiquer, avant de lui substituer celle venue d’ailleurs. Le colonisé finit par intérioriser un certain complexe d’infériorité, à croire à la supériorité de l’Autre et par conséquent par embrasser tout le nouveau contenu et la nouvelle vision qu’on lui fait servir gracieusement et sous des dehors prétendument humanistes. Le colonisateur cherchait, à travers l’assimilation et l’acculturation du colonisé, à produire une élite obséquieuse et défaitiste africaine prête à servir les intérêts de la machine impériale. Dans ce sens, Albert Sarrault énonce qu’instruire les indigènes est assurément notre devoir….Mais ce devoir fondamental s’accorde par surcroit avec nos intérêts économiques, administratifs, militaires et politiques les plus évidents »1. En suivant une politique très sournoise, le colonisateur a su faire rallier une élite formée dans ses écoles, mais en renforçant le sentiment de subalternité chez ces peuples « barbares ». La condition du colonisé demeure humiliante et aliénée car la subjectivité de ce dernier a été savamment altérée, mise à mal par ce tiraillement entre une perception de soi hautement négative et l’attrait de la culture de l’autre. Ce tiraillement, comme nous le verrons dans les romans d’Oyono, aura des conséquences très lourdes pour l’identité de l’homme de couleur. A travers la lecture des romans susmentionnés, nous ambitionnons de faire ressortir les désillusions du colonisé, ses rêves ratés et les traumas provqués par le processus de transformation culturelle et identitaire que le colonisateur a mis sur place. Pour ce faire, notre communication s’articulera autour de trois entrées, intitulées respectivement « De la fascination à la désillusion », « De la démystification du colonisateur ou le revers de la médaille » et « De la résignation des personnages comme signe de faillite ». 1- De la fascination à la désillusion La présence du colonisateur en Afrique a fait miroiter à l’homme colonisé la possibilité de vivre des jours heureux grâce aux multiples services rendus par l’école et l’église. Les attraits du colonisateur ont fini par fasciner et obnubiler Toundi, personnage non initié, naïf et sans grande expérience dans la vie. C’est ce qui explique, dans une large mesure, la facilité avec laquelle il accepte son rôle de boy et l’abnégation avec laquelle il sert les blancs, en croyant au fond de lui que c’ est une promotion sociale:« J’étais heureux, j’allais connaître la ville et les Blancs et vivre comme eux. » (B, p. 20). Le paternalisme coloniale lui a donné l’opportunité d’apprendre à lire et à écrire. Cela ne manque pas de produire chez le jeune Touni une grande jubilation, comme nous pouvons le lire dans cette première phrase de son journal : « Maintenant que le révérend père Gilbert m’a dit que je sais lire et écrire couramment, je vais pouvoir tenir comme lui un journal » (p.15). Brézault (2001:90) note dans ce sens que « cette première phrase qui ouvre le journal de Toundi est révélatrice du mimétisme dont le narrateur fait preuve: fasciné par le désir d’apprendre, il s’enferme dans le regard de l’autre. Il se coupe de ses traditions en singeant les valeurs occidentals apportées par la colonisation à la manière de Samba 2» Les intimidations et les vexations qu’il a subies de ses maîtres n’ont eu aucun effet sur son être, n’ont pas occasionné le moindre sursaut de conscience. C’est un personnage qui emblématise l’état de dépendance auquel sont réduits les peuples africains et l’impassibilité pour ces derniers de se défaire de cette fascination aveugle à l’égard de l’autre, de se désengluer de la culture que le 1 Albert Sarrault, La mise en valeur des colonies françaises, Paris, Payot, 1923,p.95. 2 Brézault, Éloïse. 2001. « Ce que l’on croyait savoir: démystification et mal-être dans le roman contemporain en Afrique noire ». Notre Librairie N°144, 2001, p.90. colonisateur leur a inculquée. Ce qui est étonnant dans le parcours de Toundi demeure la perte manifeste de ses liens avec sa propre famille. Liens que la culture africaine sacralise et entoure d’une grande aura. Par son désintéressement à son passé, à sa vie antérieure, à sa famille, Toundi est, par excellence, la manifestation d’une rupture et d’un rapt identitaires, le signe de la perte de ce qui le rattache à son être, à sa société et à sa culture. Victime de l’illusion, Toundi s’est laissé emballer par le désir de vivre comme les blancs et Meka par la tentation de mener une vie différente de celle des siens. Si Toundi sombre progressivement dans l’hébétude par manque de formation familiale, par immaturité, Meka, dans Le vieux nègre et la médaille, laisse entrevoir une grande illusion quant aux idées véhiculées par le colonisateur au sujet d’idéaux comme l’égalité, la fraternité et la liberté. Son âge et ses expériences dans la vie l’ont amené certes à rester attaché à sa famille et à sa tribu, mais sa lucidité est si faible pour qu’il puisse saisir la face cachée et hideuse du discours et de l’idéologie de l’homme blanc. Il a perdu ce qu’il a de plus cher, ses enfants en l’espèce, et au final il se voit attribuer une simple médaille en contrepartie de tous les sacrifices qu’il a consentis en faveur du colonisateur. Mais, bercé par les promesses mielleuses des hommes blancs, Meka a cru, naïvement, à des lendemains heureux. Il a cru que les liens d’amitié scellée avec les blancs allait avoir des conséquences positives sur les siens et signer la fin de l’esclavage : « les corvées et tous les autres embêtements, tout ça, c’est fini pour lui » ( 42), pense le narrateur. Son entourage se montre aussi naïf que lui quand il croit que tous les proches de Meka peuvent devenir des blancs, c’est-à- dire jouir des mêmes privilèges que ceux-ci. Engamba dit en substance, à propos de l’épouse de Meka, Kelara que « maintenant que son mari va recevoir une médaille, elle deviendra une femme blanche » ( 42). . Mais à lire les romans de Ferdinand Oyono, l’on se rend en compte que les rapports colonisés/ colonisateurs sont placés sous le signe de la discrimination. Lors de l’inhumation du père Gibert, ce religieux ayant pris en charge Toundi après sa désertion du cercle familial, les blancs tiennent à se maintenir loin des noirs et à empêcher ces derniers de s’approcher de la dépouille de Gibert. Un tel acte en dit long sur la fraternité que promeut le discours idéologique de l’occupant. La séparation spatiale emblématise, dans toute son ampleur, le culte que réserve ce dernier à la question du pouvoir : Toute la Mission catholique Saint-Pierre de Dangan était là. […] Le Blanc au long cou parla à l’un des gardes qui étaient dans sa voiture. Le garde alla compter dix pas en marchant contre la foule qui recula une, deux, trois… dix fois. Deux infirmiers transportèrent le corps du père Gilbert dans sa chambre. Les Blancs les suivirent. Le père Vandermayer les conduisit au salon. Quelques instants plus tard, il en ressortit, descendit l’escalier de quatre marches puis harangua la foule (29- 30). Cette uploads/Litterature/ toundi.pdf

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