1 Edito Sous une forme résumée, on trouvera dans ce troisième numéro de Travaux
1 Edito Sous une forme résumée, on trouvera dans ce troisième numéro de Travaux en cours les communications qui ont été faites par les étudiants de Paris 7 – Denis Diderot et d’ailleurs lors des journées d’études doctorales suivantes : - la journée sur le geste organisée le 7 juin 2006 par Lorraine Dumenil et Suzanne Fernandez - la journée sur Maurice Blanchot organisée le 19 mars 2007 par Christophe Bident et Jonathan Degenève - la journée sur Samuel Beckett organisée le 4 avril 2007 par Evelyne Grossman et Jonathan Degenève - la journée sur Antonin Artaud organisée le 5 avril 2007 par Evelyne Grossman et Lorraine Dumenil - la journée sur la limite entre l’animalité et l’humanité organisée le 31 mai 2007 par Evelyne Grossman et Muriel Brami-Benhamou Ces Travaux en cours se veulent le reflet de la vitalité et de la diversité des activités menées par les jeunes chercheurs. Ils entendent par là même contribuer à la diffusion de leurs écrits au sein de la communauté universitaire. Signalons enfin que les textes sur Blanchot et Artaud sont également disponibles sur les sites Espace Maurice Blanchot (www.blanchot.fr) et Antonin Artaud (www.artaud.info). J.D. et L.D. Édition : Université Paris 7 – Denis Diderot U.F.R. L.A.C. (Lettres, Arts, Cinéma) Ecole doctorale dirigée par Julia Kristeva Grand Moulins - Bâtiment C - 7ème étage 16, rue Marguerite Duras 75205 PARIS CEDEX 13 Téls : 01 57 27 63 59 ou 01 57 27 64 42 Rédaction : Jonathan Degenève Mail : jonathan.degeneve@wanadoo.fr Lorraine Dumenil Mail : l.dumenil@wanadoo.fr 2 Journée sur le geste organisée par Lorraine Dumenil et Suzanne Fernandez Les effets du geste dans le théâtre de Pippo Delbono Suzanne Fernandez Les gestes chez Pippo Delbono n’expriment pas les émotions des acteurs, ils sont détachés d’intention psychologique ; cependant, ils traduisent un rapport au monde marqué par l’ironie, la contradiction et le déséquilibre. Le spectateur se trouve manipulé par les corps ironiques des acteurs, voit leurs gestes, les ressent physiquement, et pourrait parfois répondre corporellement à la force de la tension imposée à sa perception. La troupe de Pippo Delbono réunit toutes sortes d’acteurs aux corps étranges : Nelson, ancien clochard napolitain, schizophrène et d’une maigreur incroyable ; Armando, poliomyélitique, M. Puma, tourettien, Gianluca, trisomique, dont Pippo dit qu’il a dans le corps une « tendresse immense », et que lorsqu’il rit en scène « tout le monde rit, automatiquement. Il n’est pas porteur de l’intention de faire rire et c’est précisément pour cela que les gens rient »1 ; enfin, Bobo, « star » de la compagnie, microcéphale, sourd-muet et analphabète, sorti par Pippo Delbono de l’hôpital psychiatrique où il avait passé l’essentiel de sa vie. Pippo Delbono fait reposer la formation de ses acteurs sur le training physique, et s’inspire de principes orientaux comme le pas du samouraï, l’autonomie des différents membres du corps, le stop, la perte d’équilibre (principes qui avaient beaucoup frappé Brecht). Comme le mime Etienne Decroux, il considère que le geste doit partir du tronc. Pippo cherche à concentrer « les énergies dans des forces contradictoires pour éviter le naturalisme »2 : contradictions entre le haut et le bas, l’avancée et la reculade, etc. Chaque geste est privé de psychologie, ou plutôt d’intention psychologique, afin d’enlever au spectateur la sensation qu’on lui exprime, qu’on lui signifie quelque chose de précis à travers un geste ; Pippo compare l’acteur à un alpiniste, qui concentre ses efforts pour ne pas tomber, plutôt que pour se faire admirer par une succession de gestes parfaits. Au sein de la troupe, Bobo donne exactement la sensation d’être tout entier dans un geste, et de faire ainsi abstraction du monde extérieur, s’excluant de la communauté par la création d’un espace et d’un rythme propres à lui seul. Ce qui est frappant lorsqu’on regarde les mouvements de Bobo, c’est qu’il garde toujours une lenteur gracieuse et lointaine, alors qu’il fait converger tout son être dans ses gestes. Il semble faire des gestes sans y mettre aucune intériorité, sans rien exprimer à travers eux qu’une sorte d’amusement détaché et supérieur. De ce point de vue, une scène est extrêmement troublante dans Esodo, spectacle qui tourne autour de l’idée de guerre et de violence : Pippo est sur scène, dans un coin, assis sur une chaise ; surgit Bobo déguisé en Hitler, portant costume et moustaches, la référence ne fait pas de doute. Il entame soudain un discours, c’est-à-dire qu’il pousse des cris inarticulés, puisque qu’il est sourd et muet ; puis montre une carte d’Europe, non avec des gestes de conquête, mais avec la simple et naïve gestuelle d’un présentateur météorologique. Cette scène est frappante d’abord parce qu’on sent comme une évidence profonde qu’il n’y a aucune intention de représenter Hitler chez Bobo — d’ailleurs, pour lui, Hitler ne signifie rien. Lorsqu’il représente Hitler, c’est avec des gestes lents et détachés, un sourire amusé et nonchalant aux lèvres, comme un extraterrestre qui se plierait de bonne grâce à une sorte de jeu. Il se livre ainsi à une caricature du plus atroce avec des gestes sans importance, ceux de la météo. Habituellement, la caricature est intentionnelle et elle nous fait rire ; Bobo se livre ici à une caricature non intentionnelle, proche du comique absolu défini par Baudelaire, de quelque chose de beaucoup plus primitif : « Un des signes très particuliers du comique absolu est de s’ignorer lui- 1 Pippo Delbono, Le Corps de l’acteur, Les solitaires intempestifs, 2004, p. 51. 2 Ibid., p. 32. 3 même. Cela est visible, non seulement dans certains animaux du comique desquels la gravité fait partie essentielle, comme les singes, et dans certaines caricatures sculpturales antiques […], mais encore dans les monstruosités chinoises qui nous réjouissent si fort et qui ont beaucoup moins d’intentions comiques qu’on ne le croit généralement »3. Oliver Sacks raconte l’histoire d’une vieille dame qui, atteinte d’une curieuse maladie neurologique, se mettait à caricaturer instantanément tous les passants qu’elle croisait4. Avec intention, ce pourrait être drôle, sans intention, la caricature inconsciente et incontrôlée se rapproche du comique absolu. Chez Bobo, les gestes innocents du présentateur météo faits avec une lenteur gracieuse pour caricaturer Hitler provoquent un saisissement et aussi une véritable surprise : on ne s’attend pas à une telle scène, aussi simple, on est également surpris de l’audace de Pippo, c’est-à-dire qu’il ose imposer l’idée du nazisme à un être pour qui le nazisme ne veut rien dire, dont le rythme propre est celui de l’innocence et de la nonchalance. Quand on perçoit les gestes, au théâtre, on les voit, mais on les sent aussi, avec notre corps. On reconnaît physiquement, corporellement les gestes, on est émerveillé parfois par un acrobate qui fait ce que l’on ne pourrait jamais faire, mais on peut s’imaginer accomplir les mêmes prouesses gestuelles que lui ; or, il est difficile de s’imaginer, de se sentir faire les mêmes gestes que Bobo, car cela soulèverait trop de sensations contradictoires en nous. Le spectateur peut encore être saisi d’une forme de compassion pour l’inconscience de Bobo, qui devient le signe de quelque chose de poignant sans le vouloir et sous le regard de Pippo présent sur scène, auteur et spectateur de cette manipulation cynique de nos émotions. Les gestes concentrent ainsi les tensions entre l’innocence, l’atrocité, l’insignifiance, la raillerie, le cynisme du metteur en scène ; ils forcent le spectateur à ressentir physiquement les rythmes d’émotions dont les contradictions peuvent le pousser jusqu’aux larmes. En effet, on parle toujours du corps de l’acteur, des gestes de l’acteur, mais beaucoup moins de ceux que fait le spectateur : il serait intéressant de filmer le public pendant une représentation pour étudier l’évolution de son corps et de ses propres mouvements. Peut être est-ce une idée absurde, mais les émotions que provoquent en nous les gestes des acteurs pourraient être liées aussi à notre position contrainte, assise. Lors d’un match de football, on se lève pour encourager les joueurs, on gesticule par une sorte d’empathie, pour s’associer à leur monde. Au théâtre, il est impossible de répondre au geste par le geste ; restent le rire ou les larmes pour permettre au corps de se décharger de la tension qui lui est imposée. Agrégée de lettres modernes, Suzanne Fernandez est lectrice à l’Université de Sicile. Sa thèse, dirigée par Evelyne Grossman, porte sur l’esthétique théâtrale de Tadeusz Kantor, Carmelo Bene et Pippo Delbono : elle tente d’étudier le type d’émotions que provoque chez le spectateur un théâtre à la première personne. suzanne.fernandez@wanadoo.fr 3 Charles Baudelaire, De l’essence du rire, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1954, p. 727. 4 Oliver Sacks, L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, Paris, Seuil, 1988. 4 La partition gestuelle et son théâtre : Grotowski / Decroux / Barba Jean-François Favreau On appelle ici « partition gestuelle », a priori, une ligne d’actions fixée à l’avance, qu’il s’agit pour l’acteur de réitérer, et qui diffère de la chorégraphie. Ceci sert de structure à la performance (terme que nous préfèrerons à « représentation uploads/Litterature/ travaux-en-cours-n03.pdf
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- Publié le Jui 14, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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