1 Je cite l’édition de Blˆq, 1855/1271. UN COMMENTAIRE MYSTIQUE DU CORAN par P

1 Je cite l’édition de Blˆq, 1855/1271. UN COMMENTAIRE MYSTIQUE DU CORAN par PETER BACHMANN Seminar für Arabistik der Universität Göttingen I L e grand mystique Muúy“ l-d“n Ibn al-’Arab“ nous a laissé un D“wˆn volumineux1, contenant des poèmes en forme traditionnelle, qa§ˆ"id et qi a’, et aussi des poèmes du type muwaÒÒaú et un za[al. Parmi les poèmes en forme traditionnelle nous trouvons une série de poèmes dont chacun est relatif à une des sourates du Coran. Je ne peux que dire «relatif à une des sourates du Coran», parce que ces poèmes sont intitulés de la manière suivante (p. 136): wa-qˆla ay¶an . . . min rúi (suit le nom tradi- tionnel de chaque sourate): «il a dit aussi . . . inspiré par l’esprit de (la sourate . . .)». J’ai traduit min rúi . . . par «inspiré par l’esprit», car nous lisons, à la Žn de ce commentaire poétique particulier, même unique: (p. 179) wa-qad intahat suwaru l-qur"ˆni ’alˆ mˆ a’ ˆhu wˆridu l-waqti min ©ayri maz“din wa-lˆ úukmi Žkrin wa-lˆ raw“yatin, wa-lillˆhi l-úamdu: «(ici) se sont terminées les sourates du Coran, selon ce qu’a donné l’inspiration du moment de l’expérience mystique, (mis par écrit) sans (aucune) addi- tion et sans (aucune) décision prise par la réexion, et (aussi) sans déli- bération, et c’est à Dieu que la louange soit rendue». Dans cette note explicative, nous trouvons plusieurs expressions remarquables. Pre- mièrement, cette note mise à la Žn d’une série de poèmes relatifs aux sourates coraniques, ne parle pas de poèmes explicatifs des sourates, commentant les sourates, mais la note susdite parle simplement des sourates coraniques elles-mêmes. Selon le texte de cette note, nous n’avions pas le droit de parler, vis-à-vis de ces poèmes, d’un commen- taire au sens strict du mot, car ces poèmes, au lieu de commenter les sourates, en donnent, pour ainsi dire, l’essence, la quintessence. – © Koninklijke Brill NV, Leiden, 2000 Arabica, tome XLVII Deuxièmement, ce n’est pas un poète, donc un auteur humain, qui parle ici, mais c’est un être surhumain qui nous donne cette essence, le rú de chaque sourate étant l’auteur de chacun de ces poèmes, Ibn al-’Arab“ restant limité au rôle de celui qui écrit ce que lui dicte son inspirateur, wˆrid al-waqt. – Troisièmement, Ibn al-’Arab“, l’auteur de cette note indicative du caractère des poèmes relatifs aux sourates cora- niques, constate expressément qu’il n’a ajouté aucune expression à ce que lui a dicté l’inspirateur, et qu’il a écrit sous la dictée sans rééchir et sans délibérer. Au lieu de nous précipiter sur des questions d’ordre psychologique et même parapsychologique – questions qui se posent aux lecteurs de la note d’Ibn al-’Arab“ –, je préférais parler, tout simplement, d’un commentaire poétique des sourates coraniques, et d’Ibn al-’Arab“ comme l’auteur de ces poèmes. En faisant cela, je vous prie de ne pas oublier ce que Ibn al-’Arab“ nous a indiqué comme son expérience mystique touchant la série de poèmes relatifs aux sourates du Coran. Il se peut que Ibn al-’Arab“, auteur parfois un peu évasif, en écrivant sa note a voulu éviter le blâme d’adversaires orthodoxes lui reprochant des liber- tés qu’il a pris en commentant le Coran de cette manière insolite, en employant la forme poétique, forme à l’origine païenne, forme éloignée de la prose rimée coranique et loin de la prose théologique. Et de fait, comme nous le verrons, il s’agit de libertés énormes par lesquelles ce commentaire poétique mystique peut être caractérisé. II Le poème-commentaire inspiré par l’esprit de la Fˆtiúa commence d’une manière traditionnelle, l’auteur citant le texte coranique (p. 136): «La louange soit adressée à Dieu, Seigneur des habitants du monde», – car les mots al-úamdu lillˆhi rabbi l-’ˆlam“na . . . s’adaptent au mètre al-bas“ utilisé dans ce poème. Mais tout de suite, le texte du poème s’éloigne du texte coranique, parce que Ibn al-’Arab“ dit que: «la louange soit adressée à Dieu, Seigneur des habitants du monde, qui le doivent louer de toutes les conditions de la vie qui viennent de Lui aux hommes»: al- úamdu li-llˆhi rabbi l-’ˆlam“na ’alˆ/mˆ kˆna minhu mina l-aúwˆli f“ u-nˆs“. – Dans les vers suivants, Ibn al-’Arab“ ne mentionne ni le raúmˆn ar-raú“m, ni mˆlik yaumi d-d“n. Le texte coranique iyyˆka na’budu wa-iyyˆka nasta’“n . . . devient, chez le poète mystique: ’abadtuh wa- alabtu l-’awna minhu. – Dans ce qui suit, Ibn al-’Arab“ fait allusion au coranique ihdinˆ §-§irˆ a 504 peter bachmann l-mustaq“m, en disant: wa (- alabtu minhu)-an yuhayyi"a l“ min amrinˆ raÒadan,/úattˆ akna ’alˆ l-nah[i l-qaw“mi bih“ (grâce à lui)/¢alqan kˆr“man . . . – Ibn al- ’Arab“ évite la mention de la colère divine incluse dans le coranique ©ayri l-ma©¶bi ’alayhim, pour diriger notre attention vers un sujet qui est, pour lui, d’un intérêt surpassant: un thème qui, à vrai dire, n’appar- tient pas au commentaire de la Fˆtiúa, mais qui est un des thèmes favo- ris de notre poète mystique: sa connaissance, – basée sur le Coran, sourate 24, verset 35, – que Dieu est lumière. C’est vraiment surpre- nant que le poète fasse commencer la seconde moitié de son commen- taire de la Fˆtiúa par l’expression suivante: «Dieu est une lumière supé- rieure à être comparable à aucune lumière (naturelle)»: Allˆhu nrun ta’ˆlˆ an yumˆÆilah nrun. – Si nous considérons comme surprenant que Ibn al-’Arab“ joint une constatation basée sur un verset de la sourate 24 à son commentaire de la Fˆtiúa, notre surprise sera d’autant plus grande quand nous lirons ce que Ibn al-’Arab“ a dit après avoir cons- taté l’incommensurabilité de la lumière divine. Il dit: «et, de fait, cette lumière parut devant moi dans le feu d’une lampe»: wa-qad lˆúa l“ f“ nˆri nibrˆs“. C’est-à-dire, dans les deux hémistiches que nous venons de citer, Ibn al-’Arab“ donne un abrégé de son expérience centrale, celle de Dieu en tant qu’essence absolue, mu laq (lumière incomparable), mais se manifestant comme existence déterminée, muqayyad (lumière d’une lampe), – ambiguïté, qui pousse même l’adepte à l’embarras, à la per- plexité (la úayra). Faut-il s’étonner du fait que notre poète décrit la réac- tion des non-initiés à l’expression de son expérience mystique comme réaction très oVensive? Ibn al-’Arab“ dit: «Dans cette expression, il n’y a pas du mal», (wa-)mˆ f“ l-qawli min bˆs“, «parce qu’il s’agit d’une allé- gorie (parabole)», li-annah maÆalun, (parce que, comme nous compre- nons le mot maÆal ici, la lumière naturelle n’est qu’une image de l’essence lumineuse divine, sur-naturelle, l’image en tant qu’image participante de quelque manière que ce soit, à son modèle). Et Ibn al-’Arab“ de continuer: «(Mais,) si tu dis cela, on va répondre: Est-ce qu’il y a un médecin pour guérir la maladie (mentale) de celui qui a parlé?», law qultah, q“la: hal/li-dˆ"i hˆÅˆ llaÅ“ qad qˆla min ˆs“? – Ici, Ibn al-’Arab“ se rend compte du danger inhérent à la propagation des secrets de l’expérience mystique. (Entre parenthèses: la mention, chez Ibn al- ’Arab“, de la lumière de sa lampe comme source d’une expérience mystique nous fait penser à un autre théosophe qui avait bien des rai- sons, lui aussi, de craindre la rabies theologorum, c’est le mystique chré- tien Jakob Böhme et sa source d’inspiration, c’est-à-dire l’aspect d’un un commentaire mystique du coran 505 vase d’étain rééchissant la lumière d’une manière joviale», «der lie- blich jovialische Schein eines Zinngefäßes»2). III En suivant le Coran utilisant l’image de la lumière pour faire allusion à l’essence divine, Ibn al-’Arab“ parle en détail des eVets de l’activité de cette lumière, quand il commente la sourate 24, cette sourate qui contient le fameux verset de la lumière. Après avoir placé la lumière divine au-dessus de toute lumière naturelle dans son poème commen- tant la Fˆtiúa (nrun lˆ yumˆÆiluh nrun), bien qu’elle paraisse – modiŽée d’une manière quelconque – dans la amme d’une lampe, Ibn al-’Arab“, en commentant le verset de la lumière, contraste la lumière, ou bien les êtres lumineux, et les ténèbres, ou bien les êtres obscurs. Il dit (p. 145): «Dieu a illuminé (les) sphères (célestes) toutes ensemble, aŽn qu’on puisse trouver le bon chemin parmi les chemins diVérents dans les ténèbres de la nuit»: Allˆhu nawwara aˆkan bi-a[ma’íhˆ/li-yuhtadˆ f“ ½alˆmi l-layli f“ - uruq“. – Dans les vers suivants, Ibn al-’Arab“ énumère des objets que Dieu a illuminés aussi bien que les sphères: Dieu a illu- miné l’air par le soleil (wa-nawwara l-[awwa bil-bay¶ˆ"i . . .), ainsi qu’il a illuminé l’intellect par le concept de l’unité de Dieu et par le carac- tère moral (wa-nawwara l-’aqla bit-tawú“di wal-¢uluq“), Dieu a illuminé le cœur par des lumières variées (wa-nawwara l-qalba anwˆran munawwa’atan), Dieu a illuminé les horizons, Dieu a illuminé le corps par les esprits (nawwara l-[isma bi-l-arwˆúi), et – enŽn – la terre par les eurs. Cette énumération, à mon avis, ne suit pas un dessein théorique établi dans la forme d’une gradation (d’un climax), mais cette énumération est un peu arbitraire, voire aléatoire. Il me semble que Ibn al-’Arab“, en vrai artiste, contrebalance le sérieux de son sujet par uploads/Litterature/ un-commentaire-mystique-du-coran.pdf

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