Milieux bibliques M. Thomas Römer, professeur Cours. Le livre de l’Exode : myth
Milieux bibliques M. Thomas Römer, professeur Cours. Le livre de l’Exode : mythes et histoires (2e partie a) Ce cours avait pour but d’examiner la mise en forme du mythe de l’exode ainsi que les contextes socio-historiques et idéologiques qui ont marqué de leur empreinte ce texte fondateur de la Bible hébraïque et, par la suite, du judaïsme. Après l’examen des chapitres 1-14 durant l’année précédente, ce cours a poursuivi l’analyse du livre de l’Exode. Exode 15 : un cantique de conclusion et de transition La place d’Ex 15,1-22 après Ex 14 peut être comparée à celle de Juges 5, le cantique de Déborah, après Jg 4. Dans les deux cas une narration en prose est suivie d’un texte poétique qui est une sorte de chant de victoire célébrant l’intervention de Yhwh en faveur des siens. Les deux textes poétiques montrent des spécificités grammaticales et parfois aussi un vocabulaire compliqué ; ils sont souvent considérés comme « archaïques ». Dans les deux textes, des femmes jouent un rôle important. À l’instar de Jg 5, Ex 15 se comprend comme une conclusion hymnique, non seulement d’Ex 14, mais probablement de l’ensemble Ex 1-15. Il ne s’agit pas uniquement d’une conclusion, mais aussi d’une prévision des événements à venir. Les v. 13-17, quoique formulés au passé (pour la plupart) font allusion, sans suivre une chronologie précise, à la conquête du pays, l’installation du peuple dans le pays et l’établissement d’un temple de Yhwh. L’école américaine, notamment, situe ce chant de victoire à l’époque prémonarchique aux alentours du xiie s. avant notre ère. Ils avancent surtout deux types d’arguments : la langue et les formes grammaticales archaïques : Conjugaison à préformantes pour le passé, suffixe 3e masc. pl. en -mô (au lieu de -hem), le démonstratif zû au lieu du relatif ʾasher ; d’autres formes peu claires. a. Les cours sont disponibles en vidéo sur le site internet du Collège de France : http:// www.college-de-france.fr/site/thomas-romer/course-2014-2015.htm [NdÉ]. 396 Thomas römer D’un autre côté (et surtout en Europe), on trouve l’idée selon laquelle ce texte est une composition récente qui présuppose déjà les textes sacerdotaux et qui, par conséquent, fut composé aux vie ou ve s. avant notre ère. Contrairement à l’école américaine, ces exégètes prêtent moins attention aux questions de grammaire et aux archaïsmes. Certains font remarquer que des archaïsmes peuvent aussi être des moyens stylistiques archaïsants. De plus, plusieurs particularités ne sont guère utilisables pour la datation mais typiques de textes poétiques. Il faut également faire remarquer, contre les tenants d’une datation prémonarchique, que ce psaume présuppose l’existence d’un temple de Yhwh, probablement à Sion. Pour ces raisons, on a parfois considéré les v. 13-17 comme un ajout pour maintenir une date ancienne ; mais il s’agit là d’un argument circulaire. En revanche, on peut avec Caquot partir d’une autre observation, à savoir que les v. 6 à 17 sont écrits à la 2e pers., contrairement aux v. 1-5 et 18 qui parlent de Yhwh à la 3e pers. du singulier. Selon A. Caquot 1, on peut également lire ces derniers versets d’une manière indépendante et on obtient un psaume de la royauté de Yhwh. À ce psaume, on aurait ajouté, selon A. Caquot, les v. 6-17 à l’époque de l’exil pour exprimer l’espoir d’une reconquête du pays et d’une restauration du temple. Cependant, dans les v. 1-5, il y a plusieurs allusions et reprises littérales d’Ex 13,17- 14,31 qui rendent l’hypothèse difficile. On peut donc aussi imaginer le contraire, à savoir que l’hymne plus ancien se trouve en 6-18, que le rédacteur aurait repris. Il est vrai que, dans ces versets, il y a moins de reprises directes d’Ex 14, mais il manque une vraie introduction, et le v. 18 ne parle plus de Yhwh à la 2e mais à la 3e personne. L’idée selon laquelle les v. 1-18* se sont formés en deux étapes est séduisante. On peut cependant se poser la question de savoir si l’alternance entre la 3e et la 2e pers. nécessite des opérations diachroniques ; on peut aussi imaginer que ce changement reflète deux chœurs qui se répondent. La plupart des commentateurs s’accordent pour dire que le noyau du texte se trouve dans le petit cantique, au v. 22, qui fut d’abord attribué à Miryam. Ce cantique correspond assez bien à la forme la plus ancienne de la tradition de l’exode et existait peut-être en effet comme conclusion de celle-ci. Ensuite, on a transféré ce cantique à Moïse et on l’a pris comme point de départ pour construire (en une ou deux étapes) un psaume qui célèbre la souveraineté de Yhwh non seulement sur l’Égypte, mais aussi sur tous les peuples en général. Ce n’est donc pas une composition ancienne, mais post-sacerdotale ayant en vue l’ensemble des livres d’Exode à Rois. Il a été souvent observé que certains versets d’Ex 15 contiennent des allusions au thème du combat du dieu guerrier contre la Mer, combat à la suite duquel ce dieu reçoit un sanctuaire. On a surtout insisté sur les parallèles ougaritiques (Baal contre la Mer) pour « prouver » l’ancienneté du texte. Ces parallèles existent, mais ils ne permettent pas de dater le texte, de plus il n’est pas seulement fait allusion au combat de Baal contre Yam. Le fait qu’Ex 15 utilise deux fois le terme de tĕhôm, qui se retrouve en Gn 1 (P), indique qu’il fait sans doute aussi allusion à l’épopée Enuma Elish, où Marduk combat Tiamat et devient ensuite roi sur tous les autres dieux. Il faut noter 1. A. Caquot, « Cantique de la mer et miracle de la mer », in E.-M. Laperrousaz (éd.), La Protohistoire d’Israël. De l’exode à la monarchie, Paris, Cerf, 1990, p. 67-85. Milieux bibliques 397 qu’Ex 15,8 ne fait pas allusion à un combat contre la mer. La mer n’est plus un adversaire de Yhwh. La mer est ici au service de Yhwh pour vaincre les ennemis d’Israël : d’abord les eaux se dressent pour laisser Israël passer, ensuite la mer couvre les ennemis d’Israël. Le thème traditionnel du « Chaoskampf » est donc en Ex 15, certes repris, mais aussi transformé, pour insister sur le fait que la mer n’est plus contre mais au service de Yhwh. Exode 16 : la découverte de la manne et du sabbat Contrairement aux épisodes assez brefs qui l’entourent, Ex 16 est un texte long et complexe qui mêle narration et prescription. Malgré une discussion compliquée concernant la diachronie de ce texte, il y a un certain consensus pour dire qu’une grande partie (ou partie importante) de ce texte appartient à P (voire à post-P), à cause d’un vocabulaire typique et de liens avec d’autres textes P sur lesquels nous allons revenir. Partant de l’hypothèse qu’il s’agit en Ex 16* d’un texte P, on s’est posé la question de savoir s’il se trouve vraiment à sa place originelle ou s’il n’a pas été déplacé après coup. On est d’abord étonné par la mention des 40 ans dans le désert. Cette durée n’intervient qu’au moment du refus de la génération de l’exode en Nb 13-14 de conquérir le pays. De même le kāb̲ôd, la gloire de Yhwh, semble être lié au sanctuaire. En Ex 24,15-18, il se trouve au sommet du Sinaï, et il descend en Ex 40 lorsque le sanctuaire est fini, et apparaît (pour la première fois ?) au peuple après la consécration des prêtres et les premiers sacrifices. Cependant, il faut se poser la question de savoir si l’apparition de la gloire de Yhwh et du Sabbat sont vraiment si anachroniques qu’ils nécessitent un déplacement du texte. La gloire est, au moins du point de vue linguistique, préparée en Ex 14,18. Donc, on peut argumenter que l’apparition de la gloire de Yhwh est bien préparée en Ex 14. Pour certains autres « anachronismes » l’explication réside peut-être dans le fait que ce texte a été révisé plusieurs fois. L’analyse diachronique peut se résumer comme suit : 1) un texte P qui était la suite directe de la version P de la traversée de la mer : 16,1-3*, 6-15*, 16-18*, 21-22, 23a.b, 24a, 25-26, 29, (30 ?)31*. 2) Rédaction post-P « deutéronomisante » : 16,4-5, 19-20, 24b, 27-28, 30. 3) Rédaction hexateucale : 16,35. 4) Rédaction sacerdotale tardive : 16,32-34. 5) Révisions midrashiques et gloses : v. 8, ajout des remarques sur l’ʿomer (jusqu’à 16,36) qui n’apparaît nulle part ailleurs ; v. 23aß : préparation de la nourriture la veille du sabbat. Il est possible de reconstruire derrière le récit sacerdotal un récit plus ancien qui contenait une étiologie de la manne (en 16,1a*.4a.13b-14ba.15.21.31 2), bien que de telles entreprises restent très hypothétiques. 2. Ainsi C. Levin , Der Jahwist, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, coll. « FRLANT », 157, 1993, p. 77 et 352-255. 398 Thomas römer La découverte du Sabbat Le terme de šabbat doit être mis en relation avec l’akkadien šab/pattum, le jour de la pleine lune. Cf. Enuma Elish V,18 : « le šab/pattum sera le milieu du mois ». Il est, en uploads/Litterature/ upl2304761140811687724-resume-14-15-romer.pdf
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- Publié le Apv 17, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
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