NOUVEAUX GENRES LITTÉRAIRES URBAINS EN FRANÇAIS. MICRONOUVELLES ET NOUVELLES EN

NOUVEAUX GENRES LITTÉRAIRES URBAINS EN FRANÇAIS. MICRONOUVELLES ET NOUVELLES EN TROIS LIGNES* NOVOS GÉNEROS LITERÁRIOS URBANOS EM FRANCÊS. MICRONOVELAS E NOVELAS EM TRÊS LINHAS NEW URBAN LITERARY GENRES IN FRENCH. MICRONOUVELLES AND NOUVELLES IN THREE LINES Cristina Álvares** calvares@ilch.uminho.pt L’article vise à saisir la spécificité des micronouvelles au sein des microrécits ainsi que la spécificité des nouvelles en trois lignes au sein des micronouvelles. Il étu- die leurs propriétés externes (naissance à la Belle Époque, réactivation dans un contexte de pensée et de sensibilité axé sur la valeur du petit et des innovations technologiques); et leurs propriétés internes (brièveté, narrativité, intertextualité, intermédialité). La spécificité des micronouvelles se situant au niveau des dériva- tions génologiques, nous discutons leur rapport au conte et à la nouvelle. Nous étu- dions ensuite les nouvelles en trois lignes, forme qui présente des caractéristiques particulières au sein des micronouvelles dont elles ont par ailleurs lancé les grandes coordonnées il y a cent ans. Réécritures de faits divers, les nouvelles en trois lignes en gardent certains traits structuraux comme la narrativité, la référentialité et la thématique de l’urbain, dont le choc est la forme majeure de manifestation. Mots-clés: microrécit; micronouvelle; nouvelles en trois lignes; conte; nouvelle; urbain. O artigo visa apreender a especificidade das micronovelas no seio das micronar- rativas assim como a especificidade das novelas em três linhas no seio das micro- novelas. Destas estudamos as características externas (nascidas na Belle Époque, * Cet article a été produit dans le cadre du projet PTDC/CLE-LLI/103972/2008 Mutações do conto nas sociedades urbanas contemporâneas, financé par la Fundação para a Ciência e Tecnologia (FCT). ** Departamento de Estudos Românicos, Universidade do Minho, Braga, Portugal 160 CRISTINA ÁLVARES reativadas num contexto de pensamento e de sensibilidade marcado pelos valores do pequeno e por inovações tecnológicas); e as características internas (brevidade, narratividade, intertextualidade). Situando-se a especificidade das micronovelas no plano das derivações genológicas, discutimos a sua relação com o conto e com a novela. De seguida estudamos as novelas em três linhas, forma que apresenta características particulares no seio das micronovelas cujas grandes coordenadas lançaram aliás há cem anos. Reescritas de faits divers, as novelas em três linhas preservam alguns dos seus traços estruturais: narratividade, referencialidade e a temática do urbano que se manifesta sob a forma do choque. Palavras-chave: micronarrativa; micronovelas; novelas em três linhas; conto; novela; urbano. The paper aims at localizing the specificity of micronouvelles within the field of short short stories as well as the specificity of the nouvelles en trois lignes within the field of micronouvelles. It studies their external properties (born in the Belle Époque, reborn in a context of thought and sensibility centered on the notion of small and technological innovations); and their internal properties (shortness, nar- ritivity, intertextuality). The specificity of micronouvelles is located at the level of genological changes and we discuss their connection with the short story and the nouvelle. We focus then on the nouvelles en trois lignes, which is the first form of micronouvelle. The nouvelles en trois lignes rewrite faits divers and keep a number of their structural properties such as narrativity, referentiality and the urban which major form of presence is shock. Keywords: short short story; micronouvelle; nouvelles en trois lignes; short story; nouvelle; the urban. ✳ Les micronouvelles dans le paysage micronarratif La production de récits extrêmement brefs, voire minuscules, concis, pré- cis, elliptiques et intenses, n’est pas une nouveauté dans le monde hispano- phone où le minicuento ou microrrelato (parmi d’autres désignations(1)) a une tradition qui remonte au moins à 1959, année où Augusto Monterroso a écrit son célèbre Dinosaurio: « Cuando despertó, el dinosaurio todavía estaba allí ». Ce texte fonctionne comme le paradigme de la forme narrative (1) Microcuento, minificción, microficción, minirelato, cuento breve / hiperbreve / ultrabreve / brevísimo / ultrabrevísimo, textículo, cuento / ficción / relato microscópico / mínimo / fugaz / instantáneo, cuento enanito. 161 NOUVEAUX GENRES LITTÉRAIRES URBAINS EN FRANÇAIS du microrrelato. En France, ou plutôt en langue française, ce phénomène est beaucoup plus récent, bien que l’on trouve des précurseurs dès les années 1980 et 1990, comme Jacques Sternberg avec ses contes ultra-brefs, et les fragments narratifs de Ph. Delerm, décrivant des plaisirs minuscules. Mais c’est à partir de 2005, sans doute réactivés par la mise en place de facebook (2004) et twitter (2006), que les microrécits en français émergent comme un phénomène littéraire visible. En témoignent Microfictions, de Régis Jauffret, les blogs d’Éric Chévillard, de François Bon, de Vincent Bastin et d’Olivier Geshter, les micronouvelles, traductions et textes théoriques de Jacques Fuentealba et de Vincent Bastin, parus sur la Toile et dans des fan- zines et revues alternatives (Black Mamba, Fées Divers). Au Québec, il y a le groupe Oxymorons, réuni autour de Laurent Berthiaume et de la revue Brèves Littéraires, avec ses Cent onze micronouvelles (2010). En 2010 l’Insti- tut de Twittérature Comparée (ITC) est fondé à Montréal et à Bordeaux. De retour en France, signalons les nouvelles en trois lignes de Jean-Noel Blanc, avec Couper court (2007), et de Jean-Louis Bailly, avec Nouvelles impassibles (2009). Sur le plan des études universiataires, le premier numéro de la revue électronique Fixxion, axée sur la période de transition entre le XXe et les XXIe siècles, parue en décembre 2010, est dédié à la tension micro / macro. On constate qu’il y a des récits qui ne sont appelés microfictions, micro- récits ou micronouvelles ni par l’auteur, ni par l’éditeur, ni par la critique, mais dont la dimension et la forme correspondent au genre narratif ainsi désigné. C’est le cas de certaines nouvelles ou fictions de R. Dubillard, Chantal Thomas, Régine Détambel ou Franz Bartelt, certains contes de Jean Bensimon et certains récits de Jean-Bertrand Pontalis. Les écrivains, théoriciens et critiques des microformes narratives, notamment espagnols et sud-américains(2), considèrent que le microrrelato ou minicuento apparait à la fin du XIXe siècle, début XXe siècle, avec le modernisme et les avant-gardes, disparait ensuite et réapparait massivement (en Amérique du Sud) à partir de 1960. Il s’agit d’une pratique littéraire très prestigieuse en espagnol. Des écrivains comme Jorge Luis Borges et Julio Cortázar, pour ne nommer qu’eux, ont écrit des microrrelatos. Le dis- cours théorique et critique espagnol et sud-américain légitime la nature et (2) Pour des raisons liées à la tradition littéraire du conte et du microrrelato en espagnol, c’est dans le monde hispano-américain que se sont le plus développés la réflexion et le débat théoriques et critiques autour des formes brèves et hyperbrèves. Les oeuvres de David Lagmanovitch, David Roas, Lauro Zavala ou Irène Andrés-Suarez sont indispensables à l’étude des micro- récits. Le débat entretenu par ces auteurs et son inscription dans le cadre de la narratologie classique et postclassique (cognitivisme, théorie des mondes possibles, cultural turning) sont discutés dans Álvares (2013a). 162 CRISTINA ÁLVARES la qualité littéraire du microrécit, en posant à sa genèse les noms de grands écrivains comme Edgar A. Poe, Charles Baudelaire, Franz Kafka, Ernest Hemingway (Roas, 2010; Andres-Suárez, 2010; Lagmanovitch, 2010). Il est fréquent d’y ajouter le nom de Félix Fénéon, le créateur des nouvelles en trois lignes, dont on parlera plus loincomme d’un cas particulier de micro- récit. Des formes comme le haiku japonais, le cadavre exquis surréaliste et les expériences de OuLiPo sont aussi évoquées comme des influences décisives. L’apport français Il y aurait sans doute des ordres de raisons différents pour expliquer l’ad- hésion plus récente des écrivains francophones aux microrécits. Il y aurait d’abord des raisons de tradition littéraire qui dessinent un parcours de longue durée sur lequel nous trouvons l’attachement historique du monde littéraire francophone au roman. Rappelons que le roman est né en ancien français au XIIe siècle comme la forme narrative qui s’est autonomisée par rapport à ‘la mise en roman’ , c’est-à-dire à la translatio de textes latins en langue romane – en roman – , ce qui explique le lien étymologique du genre littéraire à la langue: le roman est le produit de la mise en roman (traduire). Pourtant les modèles et précurseurs littéraires français des microrécits sont nombreux qui vont de Baudelaire et Fénéon à OuLiPo. Il faudrait y ajouter, parmi bien d’autres, quatre penseurs, deux écrivains et deux philo- sophes, qui ont contribué à penser le petit et le peu de chose. Côté philosophes, François Lyotard, qui a défini le postmoderne comme effet de la chute des grands récits en des jeux de langage multiples et hétérogènes. À la suite de Freud qui découvre l’inconscient dans la peti- tesse de phénomènes apparemment insignifiants de la psychopathologie de la vie quotidienne comme le rêve, le lapsus, l’acte manqué ou la blague, Jacques Lacan, qui aurait rejeté d’être appelé philosophe mais qui a tout de même introduit la psychanalyse dans la scène philosophique, a élaboré les concepts d’objet petit a – à entendre comme forme objectale du rien plutôt que comme fragment d’une totalité – et de pastoute – impliquant la dimen- sion détotalisante de l’ensemble ouvert en contraste avec l’univers en tant que tout. Avec la catégorie du réel, Lacan a mis en valeur uploads/Litterature/ v-27-n-3-a-11.pdf

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