Cahiers de l'Association internationale des études francaises Autour d'une anal

Cahiers de l'Association internationale des études francaises Autour d'une analogie valéryenne Professeur Jean Hytier Citer ce document / Cite this document : Hytier Jean. Autour d'une analogie valéryenne. In: Cahiers de l'Association internationale des études francaises, 1965, n°17. pp. 171-189; doi : https://doi.org/10.3406/caief.1965.2286 https://www.persee.fr/doc/caief_0571-5865_1965_num_17_1_2286 Fichier pdf généré le 20/04/2018 AUTOUR D'UNE ANALOGIE VALÉRYENNE Communication de M. Jean HYTIER {Columbia University) au XVIe Congrès de V Association, le 29 juillet 1964. Je dois prévenir que cette analogie, au sens le plus précis, car c'est une proportion à quatre termes exprimant l'identité de deux rapports, ne se présente pas sous une forme aussi nette chez Valéry et chez les écrivains qui l'ont utilisée avant lui. Mais sa présence en esprit y est incontestable. On disputait, il y a trois siècles, pour savoir si les cinq propositions de Jansénius se trouvaient bien dans VAugustinus, et Bossuet affirmait qu'elles étaient l'âme du livre. La formule dont il s'agit serait : La poésie est à la prose ce que la danse est à la marche. J'ai pensé qu'il serait bon d'amorcer une enquête sur le sort de cette formule et de la comparaison complexe qu'elle résume, sur les analogies apparentées qui ont servi à illustrer l'opposition de la prose et de la poésie, sur la chaîne des métaphores suscitées par ce thème central, et, dans une autre direction, non moins instructive, sur la polyvalence des images, c'est-à-dire sur l'exploitation d'un même terme de comparaison à des fins hétérogènes. Des exemples suffiront à montrer l'attrait de cette perspective. 172 JEAN HYTIER Quand Valéry a-t-il eu l'idée d'assimiler le rapport de la marche et de la danse à celui de la prose et de la poésie ? Le rapprochement se dessine dans ses Cahiers. En octobre 1918 : Marche-Danse et entre les deux, pas rythmé, marche processionnelle. Qu'est-ce qui distingue ces divers modes ? — par déplacement du but. Quand je marche [...] la manière dont je franchis la distance pour l'atteindre importe peu — est nulle. C'est bien là la prose ordinaire... En 1922 : Dans la marche, les actes dépendent des lieux — c'est-à-dire des corps voisins. Dans la danse, les actes dépendent des temps — c'est-à-dire de la loi. Ce sont à peu près les mêmes machines mais autrement ordonnées. Dans le Calepin ďun poète, antérieur à sa publication en 1928, la proportion apparaît. Elle est même double : Le passage de la prose au vers ; de la parole au chant, de la marche à la danse. — Ce moment à la fois actes et rêve. La danse a pour objet de me transporter d'ici là ; ni le vers, ni le chant purs. Mais ils sont pour me rendre plus présent à moi-même... Dans une conférence en 1927, publiée en 1928, Propos sur la poésie, Valéry s'appuie sur une citation communiquée par un auditeur lors d'un séjour à l'étranger. C'est un extrait d'une lettre de Racan à Chapelain dans laquelle Racan nous apprend que Malherbe assimilait la prose à la marche, la poésie à la danse. Le développement donné par Valéry à cette comparaison porte sur deux points. i° La danse autour d'une analogie valéryenne 173 use des mêmes membres, des mêmes organes... que la marche même, comme la poésie use des mêmes mots, des mêmes formes, des mêmes timbres que la prose. 2° Quand l'homme qui marche « a accompli son mouvement, ... atteint le lieu » où il voulait aller, il ne demeure de son acte que « le résultat ». De même, le langage ordinaire, quand il a rempli son office, s'évanouit à peine arrivé [...], il est remplacé [...] par son sens [...] ; dans les emplois pratiques ou abstraits du langage, la forme ne se conserve pas. Au contraire, le poème est fait expressément pour renaître de ses cendres [...] la forme poétique se récupère automatiquement. A Oxford, en 1939 (voir Poésie et Pensée abstraite), Valéry reprend le parallèle et en montre la genèse naturelle : Pensez à un petit enfant : [...] il appris à parler et à marcher. Il a acquis deux types d'action [...] il découvrira qu'il peut non seulement marcher, mais courir, [...] mais danser [...] Il a inventé et découvert du même coup une sorte d'utilité du second ordre pour ses membres, une généralisation de sa formule du mouvement. Mais, du côté de la parole, ne trouvera-t-il pas un développement analogue ? [...] Ainsi, parallèlement à la Marche et à la Danse, se placeront et se distingueront en lui les types divergents de la Prose et de la Poésie. Dans sa conférence sur la liberté de V esprit (1939), Valéry rappelle, en passant, la fonction double, et de la locomotion et du langage. II La citation de Racan, nous confie Valéry, me fit voir que l'idée n'était pas nouvelle. Elle ne l'était du moins que pour moi [...] 174 JEAN HYTIER La comparaison que Racan donne à Malherbe et que j'avais, de mon côté, facilement aperçue, est immédiate. Quelqu'un s'en est-il avisé avant Malherbe ? En tout cas, entre Racan et Valéry on la retrouve, et le hasard des lectures me Га fait rencontrer à plusieurs reprises. Voici d'abord le texte exact de Racan, qui date probablement de 1656 mais ne fut imprimé qu'en 1857, dans l'édition procurée par Tenant de Latour : ... je suis résolu de me tenir dans les préceptes de mon premier maître et de ne chercher jamais ni nombre ni cadence à mes périodes [...]. Ce bonhomme comparoit la prose au marcher ordinaire, et la poésie à la danse et disoit qu'aux choses que nous sommes obligés de faire on y doit tolérer même négligence, mais que ce que nous faisons par vanité, c'est être ridicule que de n'y être que médiocre. Les boiteux et les goutteux ne se peuvent pas empêcher de marcher, mais il n'y a rien qui les oblige à denser la valse ou les cinq pas. Le Père Bouhours, dans une phrase citée par l'abbé Bre- mond (Les deux musiques de la prose), déclare : ... la prose a un autre nombre que la poésie et il y a pour le moins autant de différence entre elles qu'il y en a entre deux personnes dont l'une marche et l'autre danse parfaitement bien. Voltaire, à l'article Molière de son catalogue d'écrivains en tête du Siècle de Louis XIV, établit une proportion triple : La bonne poésie est à la bonne prose ce que la danse est à une simple démarche noble, ce que la musique est au récit ordinaire, ce que les couleurs d'un tableau sont à des dessins au crayon. V Encyclopédie, à l'article Poème, tire de la Théorie générale des Beaux-Arts de Sulzer les remarques suivantes : ... le poète feint des mouvements et des sentiments qui n'existent point au-dedans de lui, ou du moins qui y sont beaucoup plus faibles. [...] Il en est comme de la danse qui, dans son origine, était une marche impétueuse dont les passions réglaient les pas. [...] Les sauvages [...] ne dansent que dans le transport de quelque passion. Mais dans les lieux où la danse est cultivée, on danse de sang-froid, autour d'une analogie valeryenne 175 en feignant cependant de suivre les impulsions de quelques mouvements plus forts que ceux de la simple nature. Que la poésie et la danse aient cette affinité, c'est ce qui résulte encore du besoin qu'elles ont l'une et l'autre d'être secondées par la musique. Alfred de Musset, dans un roman commencé en 1839, Le poète déchu, prend à l'égard de la prose rythmée la même attitude que Racan, semble retrouver d'instinct l'analogie malherbienne et deviner l'un des points de comparaison de Valéry : ... la prose n'a pas de rythme déterminé, et, sans le rythme, la mélodie n'existe pas. Or, du moment qu'un moyen qu'on emploie n'est pas une condition nécessaire pour arriver au but qu'on veut atteindre, à quoi bon ? Que dirait-on d'un homme qui, ayant une affaire pressée, s'imposerait l'obligation de ne marcher dans les rues qu'en faisant des pas de bourrée comme un danseur ? C'est à peu près là ce que fait le prosateur qui cadence ses mots ; car lui aussi a une affaire pressée, c'est de dire ce qu'il pense et non pas autre chose. Enfin, Ernest Legouvé, l'auteur dramatique ami et collaborateur de Scribe, qui, dans sa verte vieillesse, s'était refait une popularité comme conférencier, a écrit, dans Y Art de la lecture (1873), nvre plusieurs fois réédité, remanié et adapté pour les différents ordres d'enseignement, une page curieuse. C'est dans la 3e partie : La prose. Second entretien. ... Je dirais donc volontiers que la lecture de la prose est à la lecture des vers ce que la marche est à la danse. Les anciens disaient sermo pedestris, sermo solutus : traduisez sermo par allure, dites allure pédestre, allure libre, et vous aurez l'image de la lecture de la prose. Quel est, en effet, le trait caractéristique de la danse ? D'admettre des poses, des pas, des virtuosités de uploads/Litterature/ valery-alrededor-de-una-analogia-valeriana 1 .pdf

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