M. Dinu Structures accentuelles de l'alexandrin chez Racine In: Langue français

M. Dinu Structures accentuelles de l'alexandrin chez Racine In: Langue française. N°99, 1993. pp. 63-74. Abstract M. Dinu Unendowed of rhythmic cells such as feet, French verse has no smaller metric units than hemistichs. The way these are combined within sequences of superior length (lines of verse, couplets) is studied using an original method founded on probabilistic properties of random chains. Citer ce document / Cite this document : Dinu M. Structures accentuelles de l'alexandrin chez Racine. In: Langue française. N°99, 1993. pp. 63-74. doi : 10.3406/lfr.1993.5852 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1993_num_99_1_5852 Mihai Dinu Université de Bucarest STRUCTURES ACCENTUELLES DE L'ALEXANDRIN CHEZ RACINE L'origine de la recherche dont nous essayons de tracer ici les lignes principales est inséparable de la condition particulière de l'auteur. Son statut de lecteur étranger de poésie française (ayant pour langue maternelle le roumain) lui confère une position qui peut être considérée en même temps comme privilégiée et vulnérable. La distance linguistique et culturelle qui le sépare de l'objet de son étude paraît lui permettre de l'envisager d'un regard plus frais que celui de ses collègues francophones, en tout cas dépourvu des préjugés inoculés par la formation scolaire. Cependant il est bien possible que cet avantage soit annulé par un facteur non moins important : l'influence perturbatrice d'une grille de lecture imposée par la pression subconsciente de la prosodie et de la métrique de sa propre langue, qui risque de fausser sa perspective dans une mesure difficilement évaluable. Nous avouons être loin de pouvoir estimer correctement les effets positifs ou négatifs de ces deux tendances contraires. C'est pourquoi nous nous sommes proposé de corroborer nos conjectures par un contrôle mathématique des données, de nature à dissiper tout soupçon de partialité subjective du chercheur. Pour ne pas flotter dans le vague des généralités, passons directement au problème de l'alexandrin. Si l'on accepte la définition de S. Paul Verluyten \ on devrait admettre avec lui que dans ce type de vers, « en dehors des positions métriques 6 et 12, toutes les autres sont libres quant à l'accentuation ». Cependant un examen statistique des syllabes accentuées montre que leur distribution est loin d'être si chaotique que ça. Un exemple choisi au hasard suffit pour le prouver. Voici les premiers vers ďAndromaque : « Oui, puisque je retrouve un ami si fidèle, — — UUU — /uu — U U — Ma fortune va prendre une face nouvelle ; и U — UU — / U U — UU — Et déjà son courroux semble s'être adouci, и U— UU — /— UUUU — Depuis qu'elle a pris soin de nous rejoindre ici. и — U U — — / U U U — U — Qui l'eût dit ? qu'un rivage à mes vœux si funeste, — u— UU— / UU— UU — Présenterait d'abord Pylade aux yeux d'Oreste ; UUU — U — / U — U— U — Qu'après plus de six mois que je t'avais perdu, и — - U — — / U UU — U — 1. « L'alexandrin est un type de vers mixte, reposant sur un principe tonique aussi bien que syllabique : la sixième syllabe et la douzième doivent être "accentuées" (...). En résumé, la structure métrique de l'alexandrin est comme suit : XXXXXA/ XXXXXA (a) où X = syllabe et A = syllabe accentuée. » (S. Paul Verluyten : L'analyse de l'alexandrin dans Le souci des apparences, neuf études de poétique et de métrique rassemblées par Marc Dominicy, Editions de l'Université de Bruxelles, 1989). 63 A la cour de Pyrrhus tu me serait rendu ? U U — U U — / U U U — U — J'en rends grâce au ciel, qui m'arrêtant sans cesse, u— — UU— / UUU — — — Semblait m'avoir fermé le chemin de la Grèce, U— U — U— / UU— UU — Depuis le jour fatal que la fureur des eaux и — U — U — / UUU— U — Presque aux yeux de l'Epire, écarta nos vaisseaux. UU— UU— / UU— UU — Combien dans cet exil ai-je souffert d'alarmes, U— UUU— / UUU— U — Combien à vos malheurs ai-je donné de larmes ? U— UUU— /uuu— U — Craignant toujours pour vous quelque nouveau danger, u— U— U— /— UU— U — Que ma triste amitié ne pouvait partager. UU— UU— / UU— UU — Surtout je redoutais cette mélancolie u— UUU— /— UUUU — Où j'ai vu si longtemps votre âme ensevelie. UU— UU— / U— UUU — Je craignais que le Ciel, par un cruel secours, UU— UU— / UUU— U — Ne vous offrit la mort, que vous cherchiez toujours. UUU— U— / UUU— U — Mais je vous vois, Seigneur, et si j'ose le dire, UUU— U — / UU— UU — Un destin plus heureux vous conduit en Epire. UU— UU— / UU— UU — Le pompeux appareil qui suit ici vos pas, UU— UU— / U — U — U — N'est point d'un malheureux qui cherche le trépas, u— UUU— / U — UUU — Hélas ! qui peut savoir le destin qui m'amène ? U— U— U— /UU— UU — L'amour me fait ici chercher une inhumaine. U— U— U— / U— UUU — Mais qui sait ce qu'il doit ordonner de mon sort, U — — UU— / UU— UU — Et si je viens chercher, ou la vie, ou la mort ?» uuu— U— /uu— UU — Le schéma dressé à la droite du texte met en évidence quatre niveaux distincts d'accentuation prosodique. La légende est la suivante : — note la syllabe proéminente d'un mot « plein » polysyllabique ; — note un mot « plein » monosyllabique ; — note la syllabe proéminente d'un instrument grammatical polysyllabique ; U note toute autre syllabe qui n'appartient pas aux classes précédentes. Remarque. Ne sont comptées que les syllabes métriques, l'élision réduisant le mot d'une unité : ainsi, charme compte pour deux syllabes dans charme le..., mais pour une dans charme un par élision ou charme en fin de vers, avec e surnuméraire. On a trouvé nécessaire d'opérer les distinctions ci-dessus afin de surprendre les règles régissant l'accentuation « syntagmatique » qui caractérisent le français 2, et dont on doit tenir compte dans la tentative de dénicher la matrice rythmique d'un alexandrin. En effet, la brièveté relative des mots français fait que souvent des syllabes accentuées entrent en contact. Or une série de deux ou plusieurs accents successifs n'est pas du tout facile à prononcer 3. C'est pourquoi dans de pareilles situations certaines syllabes, frappées d'habitude par l'ictus prosodique, arrivent à perdre leur accent usuel. La classification des accents en —, — et — s'avère utile puisque l'on constate que la rivalité accentuelle se tranche habituellement en conformité avec le tableau des rapports de force suivant : 2. « L'accent tonique français se rattache au groupe de mots étroitement liés ensemble plutôt qu'au mot en tant que tel » (VI. Volkoff : « D'Irtamène à Dieu ; la métrique de l'alexandrin hugolien » dans La Revue des Lettres Modernes, Minard, 1988). 3. En pratique, l'intercalation d'une pause nous permet souvent de dépasser cette difficulté mais quand il s'agit de poésie ce procédé risque de miner la mesure en mettant en péril le sentiment d'isométrie qui est fondamental pour la perception de la différence entre vers et prose. 64 un accent de type — s'efface dans le voisinage immédiat d'un accent de type — : « Tu vis naître ma flamme et mes premiers soupirs » (v. 40) и — — и и — / 1 и и — и и — « Hermione à Pyrrhus prodiguait tous ses charmes » (v. 50) и и - — и — I (v. 57) (acte III, scène VII, v. 4) и и — и и — — un accent — s'efface tant près d'un — que près d'un — « Voilà comme je crus étouffer ma tendresse » и ■- — и и — / I и - и и и — « Je ne fais contre moi que vous donner des armes » и и — — и — / ï и и — и и — « Mais quand je me souvins que parmi tant d'alarmes » (v. 49) и и — — и — I и и и — и — — à rang égal la tendance est d'accentuer le second membre du groupe, ce qui entraîne la désaccentuation du premier : « Que le fils seul d'Achille a pu remplir sa place » (v. 150) и и — — и — / I и и и — и •- Le statut privilégié des syllabes — par rapport à — et — est confirmé aussi par leur distribution préférentielle dans les positions fortes du vers (la sixième et la douzième). On remarque dans le tableau 1, dressé pour l'ensemble des premiers 200 vers ďAndro- maque, que ces positions sont occupées pour deux tiers par des syllabes de type — et seulement uploads/Litterature/ vers-chez-racine.pdf

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