58 , , LA DEMIURGIE DU TIMEE - par Anne BALANSARD, Département des Sciences de
58 , , LA DEMIURGIE DU TIMEE - par Anne BALANSARD, Département des Sciences de 1'Antiquité, Maître de Conférences à l'Université de Provence, Présidente de l'AGAP Commentaire de la bibliographie: a) Traductions françaises: Platon, Timée, Critias, texte établi et traduit par Albert Rivaud, Paris, Belles Lettres, 1925 (1985): traduction qui a vieilli (qui utilise le vouvoiement de politesse entre les personnages !). Platon, Œuvres Complètes, Paris, Gallimard, 1950 : traduction très fidèle, mais d'une lecture difficile. Platon, Timée, Critias, traduction de Luc Brisson, Paris, GF-Flammarion, 1996: traduction agréable, avec des choix interprétatifs sujets à discussion (à utiliser pour lire le texte; les autres pour le travailler). b) Commentaires: Les commentaires d'A. E. Taylor et de F. M. Cornford sont des commentaires de référence, ainsi que ceux de G. Vlastos (cf. bibliographie). 1. Introduction Dans le Timée, Timée, expose dans un long discours la genèse du monde et de l'homme. Il fait l'hypothèse que le monde est né (yÉYOVEV) ; qu'il n'a pu naître que sous l'action d'une cause ('to aï 'ttov) : qui prend métaphoriquement la figure d'un artisan (0 OTll.Lto'Upy6ç) ; et que cet artisan, l'Intelligence, a pris pour modèle de sa création, un modèle (7tapaOEtYl.La) éternel: le vivant éternel (voir Annexe 1). À propos de ce récit, et une fois explicité son contexte, deux questions seront abordées: 1. En quel sens la démiurgie du Timée est-elle une création? Qu'est-ce qui la différencie de la création biblique? 2. Quelle est la place de l'homme ?1 1. Date de composition Le Timée est considéré comme un dialogue de la dernière période. Mais une lecture strictement chronologique des dialogues est une lecture pauvre. Et si le Timée appartient à la dernière période pour le style, le modèle politique que mentionne Socrate au début du dialogue rappelle la République et non les Lois. 2. Dramaturgie 1 L'exposé initial devait comporter une troisième partie sur les rapports de la physique et de la politique qui n'a pu être évoquée durant le stage. Le plan du résumé a donc été simplifié. . Le rimée se présente comme un dialogue direct entre quatre personnages: Socrate, Timée, Critias, Hermocrate. Ces personnages sont présentés par Socrate en 20a : ce ne sont ni des poètes, ni des sophistes, mais des gens "qui par leur nature et leur formation, participent à la fois de la politique et de la philosophie". C'est le cas de Timée de Locres, dont nous ne savons rien par ailleurs (philosophe pythagoricien ?). L'identification de Critias pose d'autres difficultés. S'agit-il du tyran, fils de Callaischros, cousin de Périctionè ? Ou s'agit-il du grand- père du tyran, grand-père également de Périctionè ? (Brisson, p. 328) Quant à Hermocrate, il s'agit vraisemblablement du général syracusain (Thucydide, VI 72). Le dialogue est présenté comme prenant la suite d'une conversation qui s'est tenue la veille; cette conversation portait sur le régime politique idéal et le résumé qu'en fait Socrate rappelle les thèses de la République. 3. Skopos Le rimée sera considéré par la tradition comme le seul dialogue physique de Platon (voir Diogène Laërce III, 50 "Comme exemple du type physique, citons: le rimée"). Mais la description de la genèse du monde et de l'homme est précédée: 1) d'un résumé, par Socrate, de la discussion de la veille qui portait sur la constitution idéale; 2) d'une narration partielle, par Critias, de la guerre qui opposa l'ancienne Athènes aux Atlantes (récit que lui rapporta son aïeul, Critias l'ancien, qui le tenait lui-même de Solon). Le dialogue inscrit donc la physique dans un horizon politique. 4. Description de l'exposé de Timée. L'exposé de Timée suit une progression complexe. Il se décompose en trois temps. Dans un premier temps, Timée décrit la constitution du corps et de l'âme du monde par l'Intelligence (voûç); dans un deuxième temps, il aborde rétrospectivement l'état du Tout avant son organisation par l'Intelligence. Cet état du Tout précosmique est le fait de la Nécessité (àVétYK,,). Dans un troisième temps, il analyse l'action conjointe de l'Intelligence et de la Nécessité dans la constitution de l'être humain: c'est à la fois une description de la physiologie du corps humain, qu'une analyse des parties de l'âme humaine. Voir le plan détaillé de l'exposé de Timée dans l'introduction de L. Brisson. L'ordre de l'exposé témoigne à lui seul de l'originalité de la physique platonicienne. L'explication des phénomènes y est secondaire. Dire "comment" une chose est faite ne nous dit pas "pourquoi" elle existe. La seule cause véritable, c'est la fin, le Bien que se fixe la divinité dans l'ordonnancement du monde. La physique du rimée est téléologique (voir Annexe 3). Il. En quel sens la démiurgie du Timée est-elle une création? bans la terminologie religieuse, on entend par "création", l'action de donner l'existence, de tirer du néant. La démiurgie du rimée est une création en un sens plus limité. Il ne faut pas se laisser induire en erreur par les définitions de la 7toi"mç que l'on trouve dans deux dialogues: le Banquet (205b-c) et le Sophiste (2 1 9a-b, 265b-e) (voir Annexe 3). Dans le rimée, l'Intelligence/la divinité, présentée métaphoriquement comme un "artisan" (ô,,~touPy6ç), ne crée pas le "monde" (K6Q'~oç) à partir de rien: elle ne crée pas l'existence. Trois sortes d'êtres "existent" préalablement à son action. Deux sont familières au lecteur de Platon: les Formes (ou Idées) et le sensible, ou encore "l'être qui est réellement" et "le devenir". La troisième n'est évoquée que dans le Timée, et de manière métaphorique: c'est la nourrice ('tt9ilvll), la xropa, - ce qu'A. Rivaud traduit par "lieu", J. Moreau, par "réceptacle, plac~", L. Brisson, par "matériau". Rappelons que pour un Athénien, xropa désigne le territoire de l'Attique. Cette troisième sorte d'être sera identifiée à la "matière" (üÀll) à partir d'Aristote. La matière n'étant pas simplement le substrat, mais plus largement la puissance antérieure à l'acte. Pourquoi introduire cette troisième sorte d'être? D'abord, pour s'opposer aux théories physiques qui font des corps élémentaires (feu, eau, air, terre) les principes et les éléments de toutes choses. En posant l'existence de la xropa, Timée affirme l'existence d'une substance antérieure au feu, à l'air, etc. Le feu, l'air, etc. ne sont que les formes que prend cette substance. Ensuite, parce que la xropa sert de soubassement aux Formes intelligibles. Sans la xropa, il n'y aurait pas de devenir, de sensible, puisque les Formes ne "s'imprimeraient" dans rien, ne "se reflèteraient" dans rien. La xropa est au service de l'ontologie des Formes. Timée recourt à plusieurs images pour faire comprendre son rôle de réceptacle des Formes: c'est l'or dans lequel on peut façonner toutes sortes de figures (50a-b); la cire molle qui reçoit les empreintes des réalités éternelles (50c) ; la mère qui, en s'unissant au père, donne naissance à un enfant (50d). Pour faire comprendre que la xropa est fondamentalement amorphe, il emploie deux autres comparaisons: en parfumerie, la substance humide qui doit recevoir le parfum doit être la plus inodore possible (50e) ; la surface qui reçoit des empreintes doit être la plus lisse possible (50e). Le Démiurge ne crée donc pas le substrat de notre monde (monde dont le statut ontologique est, de toute façon, inférieur à celui des Formes), il trouve dans la xropa un matériau qui obéit à des règles (la Nécessité) et qu'il assujettit à son projet. L'action du Démiurge est donc plus limitée que celle que l'on prête au Dieu de la Bible. Le Démiurge du Timée ne tire pas le monde du néant. Il agit sur le matériau qui préexiste à son intervention. Ce matériau a ses lois propres, des lois purement mécaniques qui relèvent de la Nécessité (car elles ne peuvent être autrement qu'elles ne sont). Le Démiurge fait du sensible un 1COO'flOÇ, un tout ordonné. Surtout, il le dote de la vie. Pour être vivant, il faut posséder une âme. Or c'est le Démiurge qui crée et l'âme du monde et l'âme des animaux qui le peupleront. Sans l'action du Démiurge, c'est-à-dire de l'Intelligence, le monde ne serait ni ordonné ni composé d'espèces vivantes. III. L'homme microcosme. Une autre singularité du discours de Timée, c'est la place réservée à l'homme dans le monde. L'homme n'est pas, dans le dialogue, un animal parmi d'autres. C'est l'animal par excellence, que l'Intelligence crée à l'imitation du monde: un microcosme à l'intérieur du macrocosme. 2.1. L'homme est au sommet de la hiérarchie des vivants mortels Timée explique que le monde, pour être parfait, devra contenir quatre espèces de vivants: l'espèce divine des astres, l'espèce ailée, l'espèce aquatique et l'espèce terrestre (voir Annexe 5). Mais il ne parle de manière détaillée que de deux espèces (ou plus exactement, d'une espèce et d'une sous-espèce) : les astres, les êtres humains. C'est que la perspective téléologique l'emporte sur le souci de décrire exhaustivement les vivants: il faut resituer l'être humain dans un ordre divin. En Timée 41d-42d, dans une allocution qu'il prête au Démiurge, Timée expose les lois qui régiront l'incarnation des âmes (voir Annexe 5). Toutes les âmes doivent d'abord s'incarner dans un être humain de sexe masculin. L'âme qui a su' vaincre uploads/Litterature/6-10-anne-balansard-timee-platon.pdf
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- Publié le Mai 12, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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