Histoire Épistémologie Langage Sur l'épistémologie de la poétique Marc Dominicy

Histoire Épistémologie Langage Sur l'épistémologie de la poétique Marc Dominicy Citer ce document / Cite this document : Dominicy Marc. Sur l'épistémologie de la poétique. In: Histoire Épistémologie Langage, tome 13, fascicule 1, 1991. Épistémologie de la linguistique. pp. 151-174; doi : https://doi.org/10.3406/hel.1991.2328 https://www.persee.fr/doc/hel_0750-8069_1991_num_13_1_2328 Fichier pdf généré le 16/01/2019 Abstract ABSTRACT : The aim of this paper is to provide an epistemological analysis of Jakobson' s poetics. I claim that, although poetics deals with norms, it is no more committed to any variety of subjectivism than Gricean pragmatics. I also claim that Jakobsonian poetics was originally reductionist, in that the basic dichotomy between metaphor and metonymy was assumed to account for the two artistic uses of verbal structures, namely literary prose and poetry. This reduction is shown to be illusory, since it relies on a confused notion of "parallelism". However, Jakobson' s failure sheds some light on the (historical and conceptual) relationships between formalism and functionalism, and in particular on the controversial notion of "dominant". Résumé RESUME : Dans cet article, j'analyse la poétique jakobsonienne d'un point de vue épistémologique. Je soutiens que, tout en traitant de normes, la poétique n'est pas plus condamnée à l'un ou l'autre subjectivisme que ne l'est la pragmatique gricéenne. D'autre part, je tente de montrer que la théorie de Jakobson est, dans sa forme originelle, authentiquement réductionniste, en ce sens que la dichotomie de base entre métaphore et métonymie doit rendre compte des deux variétés essentielles de l'art verbal, à savoir la prose littéraire et la poésie. Il apparaît que cette réduction est illusoire, car elle se fonde sur un concept erroné ou ambigu du "parallélisme". Cependant, l'échec de Jakobson jette quelque lumière sur les rapports (historiques et conceptuels) qui relient le formalisme et le fonctionnalisme, ainsi que sur la notion controversée de "dominante". Histoire Épistémologie Langage 13/1 (1991) SUR L'EPISTEMOLOGIE DE LA POETIQUE Marc DOMINICY ABSTRACT : The aim of this paper is to provide an epistemological analysis of Jakobson' s poetics. I claim that, although poetics deals with norms, it is no more committed to any variety of subjectivism than Gricean pragmatics. I also claim that Jakobsonian poetics was originally reductionist, in that the basic dichotomy between metaphor and metonymy was assumed to account for the two artistic uses of verbal structures, namely literary prose and poetry. This reduction is shown to be illusory, since it relies on a confused notion of "parallelism". However, Jakobson' s failure sheds some light on the (historical and conceptual) relationships between formalism and functionalism, and in particular on the controversial notion of "dominant". RESUME : Dans cet article, j'analyse la poétique jakobsonienne d'un point de vue épistémologique. Je soutiens que, tout en traitant de normes, la poétique n'est pas plus condamnée à l'un ou l'autre subjectivisme que ne l'est la pragmatique gricéenne. D'autre part, je tente de montrer que la théorie de Jakobson est, dans sa forme originelle, authentiquement réductionniste, en ce sens que la dichotomie de base entre métaphore et métonymie doit rendre compte des deux variétés essentielles de l'art verbal, à savoir la prose littéraire et la poésie. Il apparaît que cette réduction est illusoire, car elle se fonde sur un concept erroné ou ambigu du "parallélisme". Cependant, l'échec de Jakobson jette quelque lumière sur les rapports (historiques et conceptuels) qui relient le formalisme et le fonctionnalisme, ainsi que sur la notion controversée de "dominante". 152 Marc Dominicy Au plus fort des polémiques déclenchées par sa Lettre aux directeurs de la Résistance, Jean Paulhan se prit à affirmer, non sans quelque provocation : "Je suis un simple grammairien". L'auteur des Fleurs de Tarbes ne pouvait ignorer qu'il endossait ainsi l'image que l'opinion commune se forge volontiers du grammairien, faussement modeste et vétilleux, toujours enclin à accabler ses congénères de préceptes et d'interdits. La caricature que je viens d'esquisser s'appliquerait aisément aux rapports qu'entretiennent aujourd'hui "linguistes" et "littéraires". Le linguiste -ou celui qui s'intitule tel- se veut porteur d'une "méthode" objective et générale dont l'énoncé abstrait paraît satisfaire aux exigences de la scientificité la plus saine. Face à cette "leçon" qui le laisse souvent sans réaction, le littéraire pourrait ressentir quelque honte à pratiquer, presque innocemment, des disciplines aussi "molles" que l'analyse thématique ou l'étude des influences. Fort heureusement pour lui, il existe un butoir contre lequel bien des proclamations théoriques et bien des ambitions globales viennent se disloquer : le texte. On ne compte plus les cas où une approche qui se disait "linguistique", "formelle", voire "sémiotique", a conduit son auteur à des contresens patents, que les techniques traditionnelles de l'histoire littéraire auraient permis d'éviter. Mais à s'arrêter ici, nous courrions le risque de ne pas apercevoir des problèmes beaucoup plus profonds, et qui sont, je crois, de nature authentiquement épistémologique. Il faut en effet se demander si les malentendus et les mésaventures que j'ai sommairement décrits ne constituent pas les manifestations superficielles et inarticulées d'une difficulté fondamentale tenant à la justification même d'une description linguistique de l'oeuvre littéraire. Car il ne suffit pas de constater qu'un poème, un roman, une pièce de théâtre, sont faits de "mots" pour se voir autorisé, de ce seul fait, à accumuler, à propos de tels objets, tous les fragments de savoir qu'ils illustrent. Il y aurait là une dérive vers un encyclopédisme du détail qui, sans jamais connaître de terme, ne déboucherait sur aucune théorisation -un peu comme la sophistique d'Hippias reconstruite par Platon. Dans cet article, je vais essayer d'appliquer une réflexion épistémologique à l'une des tentatives les plus exemplaires qui aient Poétique et épistémologie 153 été faites pour fonder en principe l'étude linguistique de la poésie : je veux parler de la "poétique" jakobsonienne, telle qu'elle est théorisée dans le (trop) célèbre article de 1960 et telle qu'elle est mise en pratique dans les "microscopies" de Jakobson et de ses disciples. En choisissant ce thème particulier, j'obéis à plusieurs impératifs. Celui, tout d'abord, de traiter un thème que je connais bien. Ensuite, la volonté de mettre à nu les limites de tout "impérialisme linguistique" sur le terrain qui lui est, a priori, le plus favorable -puisque nombre de grammaires contiennent, depuis longtemps, des abrégés de métrique, et que les poètes sont, de tous les créateurs, les plus enclins à proclamer qu'ils ne manient que des "mots". Enfin, le fait même qu'une entreprise de ce genre n'a de sens que si elle est menée par un linguiste de grand format, qui s'appuie sur des présupposés formulés ou formulables quant à la nature et au fonctionnement du langage1. Je diviserai mon exposé en trois parties, qui ne correspondent en rien aux articulations internes de l'article de Jakobson, mais bien plutôt à une série de débats, récurrents en épistémologie, concernant le statut normatif ou non normatif d'une discipline, la réduction d'une branche du savoir à une théorie plus générale, et enfin la nature fonctionnelle ou non fonctionnelle d'une explication. 1. L'objet normatif de la poétique L'objet de la poétique, c'est, avant tout, de répondre à la question : Qu'est-ce qui fait d'un message verbal une oeuvre d'art ? Comme cet objet concerne la différence spécifique qui sépare l'art du langage des autres arts et des autres sortes de conduites verbales, la poétique a droit à la première place parmi les études littéraires (p. 210). Je me fonderai essentiellement sur l'article-programme "Linguistique et poétique", traduit par Nicolas Ruwet dans le premier volume des Essais de linguistique générale (1963 ; les références à ce livre se présenteront comme un simple renvoi au numéro de page). Je ferai également un usage abondant des Questions de poétique (1973). On trouvera en bibliographie un tableau plus complet (mais non exhaustif) des publications pertinentes de Jakobson. De manière générale, je m'efforcerai de confiner dans les notes toutes les données de détail qui ne pourraient qu'obscurcir ou compliquer le développement de mon exposé. Sur l'oeuvre de Jakobson en général, on lira, entre autres, Holcnstein (1974) et Waugh (1976). 154 Marc Dominicy A travers son usage inattendu d'un vocabulaire scolastique et ses brusques glissements lexicaux, ce passage illustre d'emblée l'obscurité qui entoure certaines des thèses de Jakobson. On se demandera, en premier lieu, comment une même "différence spécifique" peut séparer l'art du langage à la fois des autres arts et des autres "conduites verbales". Je supposerai provisoirement que ce qui caractérise cet art est une paire de propriétés {P{, P2} telles que la taxonomie suivante soit établie : conduites non verbales et non artistiques : — Pj , — P2 conduites non verbales et artistiques : - P^ + P2 conduites verbales et non artistiques : + Pj, — P2 conduites verbales et artistiques : + P j , + P2 Grâce à cette glose, qui paraît presque un pastiche du binarisme jakobsonien, on peut espérer rendre compte des similitudes souvent signalées, dans "Linguistique et poétique" (p. 210) ou ailleurs, entre les procédés poétiques et ceux des autres arts. Malheureusement, on voit mal ce qui vaut, selon Jakobson, pour "l'art verbal" pris dans son ensemble ou pour la seule poésie. Ici aussi, je vais recourir à uploads/Litterature/dominicy-marc-sur-l-x27-e-piste-mologie-de-la-poe-tique.pdf

  • 20
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager