Presses universitaires de Rennes L'apprentissage de la lecture | Mohamed Nouri

Presses universitaires de Rennes L'apprentissage de la lecture | Mohamed Nouri Romdhane, Jean Emile Gombert, Michèle Belajouza La compréhension de l’énoncé et la structure syntaxique de la phrase arabe Alia Maaouia Belkadhi p. 143-160 1 2 3 4 Texte intégral Les études sur l’apprentissage de la lecture ont montré qu’au même titre que la reconnaissance des mots, l’analyse syntaxique est nécessaire à la compréhension de l’énoncé. Lire une phrase, c’est en effet, comme le souligne A. Bentolila dans son introduction au troisième rapport de l’Observatoire National de la Lecture « identifier les mots et en même temps reconnaître leurs rôles syntaxiques respectifs. Sans reconnaissance de l’organisation syntaxique de la phrase, il n’y a pas construction du sens, il n’y a pas lecture » (Morais & Robillard, 1998, p. 24). Cette idée est largement reprise par tous les travaux sur la lecture compréhension, elle est synthétisée par Gaonac’h et Golder (1998, p. 72) qui affirment que « le sens de la phrase est élaboré à partir d’une interaction étroite entre le sens des mots et les relations syntaxiques qu’ils entretiennent ». Les études sur le traitement (calcul) syntaxique de la signification de la phrase (cf. Fayol, Gombert, Lecocq, Sprenger-Charolles & Zagar, 1992) se sont intéressées à déterminer : d’une part, la taille de l’unité syntaxique traitée : proposition ? syntagme ? ou découpage automatique de tronçons de textes indépendamment de la structure grammaticale ? d’autre part, les indices syntaxiques pris en compte dans ce traitement. On a ainsi mis en évidence que la compréhension est déterminée par : 1. l’ordre des mots dans la phrase, 2. la catégorie grammaticale des mots (substantifs, verbes, adjectifs, prépositions, pronoms...) 3. Les morphèmes grammaticaux (flexions verbales, marques du genre et du nombre...) 4. La ponctuation/écrit ou prosodie, intonation / oral. La question qu’il fallait élucider concerne le fonctionnement de l’analyseur syntaxique : Sur cette question il n’y a pas d’unanimité. Selon Zagar (in Fayol et al., 1992), il n’existe pas de modélisation qui rende 5 6 7 8 compte de l’ensemble des opérations effectuées au cours de ce traitement. Différentes hypothèses sont cependant avancées : pour certains, « le sujet recherche toutes les structures syntaxiques possibles de la phrase puis utilise des informations du contexte pour éliminer toutes les structures possibles sauf une » ; pour d’autres, « le sujet ne prend en compte qu’une seule structure syntaxique et n’en recherche d’autre que si celle-ci s’avère inadéquate » (Gaonac’h & Golder, 1998, p. 75). C’est cette deuxième hypothèse qui a donné lieu à la théorie du « Garden Path » de Frazier qui « postule que l’analyse syntaxique de l’énoncé se fait en continu et que chaque nouvel item lexical est immédiatement intégré à la structure syntaxique en cours d’élaboration » (Zagar, ibid., p. 72). Dans le cas où la suite de la phrase ne correspondrait pas à l’attachement initial, il se crée l’effet dit de Garden Path, qui se manifeste par une augmentation des durées de fixation sur la partie ambiguë de la phrase et par une fixation sur les parties désambiguïsantes. L’intérêt de cette théorie, même si elle a été critiquée sur certains des principes sur lesquels elle est fondée notamment ceux d’attachement initial et de clôture tardive qui selon Cuetos et Mitchell (1988) ne peuvent être considérés comme universels, réside comme le souligne Zagar dans « son type d’approche qui associe les propriétés formelles des phrases au comportement du lecteur » (ibid., p. 72). Ainsi le lecteur ne subit pas le texte jusqu’à perception de sa signification mais élabore cette signification en interaction avec le texte. Nous essaierons quant à nous d’approcher le fonctionnement de l’apprenti lecteur tunisien dans son activité d’analyse syntaxique qui le mène à la compréhension d’énoncés lus ou entendus. La langue maternelle en Tunisie est l’arabe dialectal, c’est celle-ci que l’enfant utilise avant l’entrée à l’école. A 5 ans, il en maîtrise la syntaxe (à l’oral) et il comprend généralement les messages qui lui sont adressés. Or, 9 10 11 12 13 14 l’apprentissage de la lecture à l’école se fait en arabe standard. Ainsi, il y a un double passage de l’oral à l’écrit et du dialectal à l’arabe standard. Selon Salah Garmadi (1968), un linguiste tunisien, l’enfant doit apprendre à lire dans une langue très différente de sa langue maternelle. L’arabe dialectal tunisien écrivait-il, est pour « l’arabe classique, ce que le Français d’aujourd’hui est pour le vieux Français pré-Rabelaisien ». L’auteur ayant procédé à l’analyse du contenu linguistique d’un livre de lecture arabe utilisé en 1 année de l’enseignement primaire constatait que 75 % du lexique présenté à l’enfant diffère totalement ou partiellement de celui qui est utilisé dans sa langue maternelle. Il en conclut que « l’effort lexical imposé à l’élève apparaît comme trop lourd et de nature à l’empêcher d’acquérir la structure syntaxique et morphologique de l’arabe classique » (Garmadi, 1968a, p. 66). ère Ainsi, en plus des contraintes générales sur l’acquisition de la compétence lexique, il y aurait pour l’élève tunisien des contraintes locales ou spécifiques liées à cette situation de diglossie. En effet contrairement au Français ou à l’Anglais pour lesquels, comme le souligne A. Bentolila, « ce sont pour l’essentiel les mêmes conventions phonologiques, syntaxiques et sémantiques que l'enfant a déjà intégrées dans sa famille qui régissent le code écrit » (in Morais & Robillard, 1998, p. 191), pour l’arabe, il existe de grandes différences, notamment syntaxiques, entre l’oral et l’écrit, entre le dialectal et le standard. Les différences touchent l’ordre des mots dans la phrase, les désinences flexionnelles spécifiques à l’arabe standard, les marques du duel et du pluriel, l’accord en genre et en nombre, la désignation du temps accompli - inaccompli... La question qui nous intéresse ici est d’étudier le rapport entre la maîtrise des structures syntaxiques et la compréhension de l’arabe standard. Notre hypothèse est que les différences syntaxiques entre le dialectal et le standard gênent la compréhension d’énoncés chez les débutants lecteurs et 15 16 17 Méthodologie Epreuve de compréhension écrite qu’elles peuvent persister chez certains enfants faibles lecteurs tout au long de leur scolarité au niveau de l’école de base. Pour vérifier une telle hypothèse nous avons, dans un premier temps, mesuré les compétences des élèves en compréhension écrite et les avons mises en lien avec leur capacité métasyntaxique mesurée par une tâche de jugement de la grammaticalité d’énoncés contenant des structures syntaxiques spécifiques de l’arabe standard. Nous avons ensuite tenté d’identifier les difficultés métasyntaxiques qui gênent la compréhension d’énoncés chez les lecteurs débutants. Nous avons utilisé deux épreuves adaptées ou construites dans le cadre d’un travail de recherche (« Modèles d’acquisition de la lecture et évaluation de la compétence lexique : l’apport de l’arabe aux études interlangues » 1) réalisé par une équipe de chercheurs de l’Université de Tunis et de l’Université de Nantes : Cette épreuve a été adaptée à partir de l’épreuve E20 de Khomsi (1990). Elle est construite autour d’énoncés correspondant aux principales structures syntaxiques de l’arabe standard incluses dans des phrases verbales ou nominales (ce qui correspond à la différence morphologique principale entre le dialectal et l’arabe standard). Cette épreuve cherche aussi à identifier les stratégies de compréhension d’énoncés en situation de contexte imagé : l’enfant doit choisir l’image congruente avec un énoncé dans un ensemble de quatre images proposées. Les items sont de deux types : ceux pour lesquels la désignation correcte est obtenue à partir de la construction d’une image mentale correspondant à une scène unique, donc par utilisation d’une stratégie imagée (Ig) ; ceux dont la résolution nécessite un calcul de type inférentiel où l’enfant doit examiner les quatre images 18 19 20 21 22 23 24 Epreuve de jugement de grammaticalité pour parvenir à l’état final qui constitue la réponse correcte (If). En raison du problème de diglossie, il nous a semblé nécessaire d’éliminer toute difficulté lexicale : les mots retenus en standard sont, soit proches de leurs équivalents en dialectal, soit fréquemment utilisés dans les manuels scolaires. Nous avons également tenu compte des deux systèmes d’écriture de l’arabe, en proposant à nos débutants lecteurs une épreuve vocalisée. L’épreuve ainsi conçue compte 16 items, 13 de type imagé et 3 de type inférentiel. L’objectif de cette épreuve est d’explorer les compétences liées à la morphologie et à la syntaxe du langage standard oral. L’épreuve devait permettre d’évaluer la capacité de raisonnement des enfants sur les aspects morphologiques et syntaxiques ainsi que leur maîtrise des règles grammaticales. Elle comporte 26 énoncés dont 13 sont grammaticalement corrects et 13 incorrects. Pour chaque type d’énoncés, nous avons retenu 8 phrases verbales et 5 phrases nominales. Les énoncés corrects ont un rôle de distracteur, les énoncés incorrects comportent l’une des perturbations suivantes : perturbation de l’agencement des mots dans la phrase ; perturbation de la déclinaison finale du mot de la phrase ; perturbation de la concordance en genre et en nombre du verbe, du sujet et de l’adjectif. L’enfant est invité à juger de la correction de l’énoncé présenté oralement par l’expérimentateur, lorsqu’il le juge incorrect, il est appelé uploads/Litterature/l-x27-apprentissage-de-la-lecture-10-pdf 1 .pdf

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