Romanica Cracoviensia 14 (2014): 71–80 doi: 10.4467/20843917RC.13.006.2708 www.

Romanica Cracoviensia 14 (2014): 71–80 doi: 10.4467/20843917RC.13.006.2708 www.ejournals.eu/Romanica-Cracoviensia Magdalena Mitura Université Marie Curie-Skłodowska de Lublin L’EXPLICITATION DES RELA- TIONS COHÉSIVES DANS LA TRADUCTION LITTÉRAIRE : LES OUTILS DE JONCTION INTERPROPOSITIONNELLE DANS LA TRADUCTION FRANÇAISE DU ROMAN WSZYSTKIE JĘZYKI ŚWIATA DE ZBIGNIEW MENTZEL INTRODUCTION L’amplification du texte au cours de la traduction est considérée comme une caractéris- tique intrinsèque de l’acte traductif (cf. Shuttleworth & Cowie 1997 : 55–56). Elle peut se manifester à travers les procédés et les techniques traductifs de nature variée. Ainsi, à côté de l’explicitation, rencontrons-nous dans la bibliographie du sujet l’ajout ou la surtraduction, qui sont des erreurs pures et simples, l’étoffement (Demanuelli & Dema- nuelli 1995 : 69–71, Tomaszkiewicz 2004 : 85) et la périphrase (Tomaszkiewicz 2004 : 73–74) conditionnés par les différences grammaticales et/ou stylistiques entre les deux langues, ou bien la note du traducteur. Dans son analytique de la traduction des œuvres, Antoine Berman (1999 : 56) reconnaît aussi le caractère inhérent de l’allongement dans la traduction, mais il souligne en même temps que les tendances déformantes telles que la rationnalisation, la clarification et l’allongement altèrent la façon de parler et de signifier du texte, elles faussent donc la lettre et la vérité de l’original. L’explicitation dans la traduction a été théorisée déjà dans les années cinquante du XXe siècle. Dans la Stylistique comparée du français et de l’anglais, J.-P. Vinay et J. Darbelnet (1958/1984 : 9) la définissent comme « procédé qui consiste à introduire dans LA [langue d’arrivée] des précisions qui restent implicites dans LD [langue de dé- part], mais qui se dégagent du contexte ou de la situation ». Depuis, la question ne cesse de susciter de vifs débats qui mènent aux études approfondies des différents vo- lets du concept. Marianne Lederer (1998 : 161) voit dans cette technique « un procédé d’adaptation au lecteur étranger ». La même orientation est visible chez Shoshana Blum-Kulka (1986 : 304) quand elle se sert du terme reader-focused shifts of coherence Magdalena Mitura 72 pour décrire les modifications survenues dans les couches textuelle et extratextuelle. Soulignons que cette visée peut se réaliser à des niveaux différents du texte traduit. Outre la division qui articule la dichotomie classique entre les relations cohésives de surface et les relations sémantiques de cohérence, à laquelle nous allons revenir, les chercheurs évoquent les divergences d’ordre stylistique et typologique comme facteur favorisant l’explicitation. Vue sous un autre angle, la problématique débattue opère la scission entre l’explicitation obligatoire dictée par des contraintes linguistiques (mor- pho-syntaxiques, sémantiques, stylistiques, pragmatiques) et l’explicitation facultative, introduite uniquement suite à une décision autonome du traducteur. Par exemple, Can- dace Séguinot (1988 : 108) postule que le terme explicitation soit réservé uniquement aux cas qui ne se laissent pas expliquer par les divergences structurales, stylistiques ou rhétoriques entre les deux langues. Une telle perspective permettrait de saisir les composantes propres au processus traductif et non pas aux conditions systémiques. D’autres approches de l’explicitation se concentrent strictement sur les aspects culturels, que nous n’abordons pourtant pas dans les analyses ci-dessous. Selon Jean et Claude Demanuelli (1995 : 72) l’explicitation désigne « l’une des stratégies de réponse face au phénomène de périlinguistique civilisationnelle ». Elle serait alors conditionnée par les facteurs qui se situent « autour » de la linguistique, comme les phénomènes civilisationnels ou culturels, la nature du public-cible, le genre du texte et la nature de l’écriture (ibid. : 136). Dans une pareille optique, Anthony Pym propose le terme pragmatic explicitations of implicit cultural information (Klaudy 2006 : 83) décrivant la technique traductive employée dans la situation où le savoir encyclopédique du public-cible peut s’avérer insuffisant pour détecter correctement certains aspects socio- culturels de l’original. Dans ses hypothèses d’explicitation, Shoshana Blum-Kulka (1986 : 300) exprime également la conviction que le texte traduit est très souvent plus redondant que son original. La raison en serait surtout l’immanence de l’acte interprétatif qui précède chaque processus de traduction. Aussi le traducteur aurait-il tendance à rendre la texture du texte cible plus dense du point de vue grammatical et sémantique. Le phénomène peut donc s’articuler à deux niveaux des liens textuels : celui des facteurs grammaticaux de surface assurant la cohésion et celui des relations discursives de dépendance sémantique qui concourent à la cohérence. Par ailleurs, la chercheuse rappelle l’observation de M.A.K. Halliday et de R. Hassan (développée par la suite dans le cadre de la linguistique textuelle) que la fonction des marqueurs de cohésion ne se limite pas à assurer la continuité grammaticale interphrastique. Ils participent égale- ment à la création de l’unité sémantique d’un texte donné. La délimitation précise de ces deux pôles n’est d’ailleurs pas toujours aisée car les éléments constitutifs de la cohésion tissent des effets appartenant à la cohérence. En plus, l’évolution de la lin- guistique reconnaît l’apport du lecteur dans la constitution de la textualité (cf. Dąmb- ska-Prokop 2012 : 72). L’objectif du présent article est l’analyse de l’explicitation des marqueurs cohésifs relevés dans la traduction française du roman Wszystkie języki świata de Zbigniew Mentzel. Notre choix, conditionné par le corpus choisi, porte sur un type de facteurs, notamment les outils de jonction qui marquent les relations grammaticales et logiques entre des propositions. L’explicitation des relations cohésives dans la traduction littéraire : les outils de jonction... 73 Il faut reconnaître que, dans les recherches linguistiques et traductologiques, ce groupe de relations cohésives est examiné avant tout à partir de corpus de textes non- littéraires : scientifiques, juridiques, publicitaires, qui se caractérisent par une forte structuration argumentative faisant ressortir le réseau de relations logiques. Il n’en reste pas moins vrai que la grammaire et la linguistique textuelles offrent toujours les outils d’analyse fort attrayants également pour les textes littéraires et leurs traductions. Urszula Dąmbska-Prokop (2000 : 221) rappelle que le texte littéraire est un espace du discours particulier parce qu’il se constitue à l’intersection des moyens formels communs à tous les utilisateurs de la langue et des choix subjectifs de l’auteur (et, à un certain degré, du traducteur) qui en font une organisation à chaque fois exceptionnelle. Ceci étant dit, nous sommes persuadée que l’examen des mécanismes cohésifs peut contribuer à la réflexion sur les motifs qui guident le traducteur dans son travail sur une texture-écriture enfermée dans le nouveau discours littéraire. Précisons encore que par outils de jonction interpropositionnelle nous comprenons les éléments à statut syntaxique différent (par exemple conjonction, adverbe, préposi- tion) et, en même temps, de dimension variable (mot, locution, proposition) qui ont en commun la fonction de lier deux propositions (coordonnées, subordonnées ou indépen- dantes) afin d’exprimer les relations logiques qui les unissent. Mona Baker (1992 : 191–192) constate une hésitation terminologique dans les travaux consacrés au phé- nomène de connexion (conjunction) au sein des procédés cohésifs. Elle observe no- tamment que certains linguistes, comme par exemple M.A.K. Halliday et R. Hassan, excluent les connecteurs intraphrastiques de la cohésion pour réserver ce statut unique- ment aux connecteurs liant deux phrases. Pour notre part, nous partageons la convic- tion de la chercheuse 1 que pour les besoins de l’analyse traductologique il est plus per- tinent de considérer la connexion au sens large, sans tenir compte des partis pris terminologiques qui ne constituent pas le noyau de la problématique abordée. Vu la richesse morphosyntaxique des occurrences observées dans le roman Toutes les langues du monde, nous considérons alors le terme outil de jonction (Gardes- Tamine 1990 : 38) comme suffisamment général et, par conséquent, plus opératoire que par exemple un connecteur 2 ou un mot-charnière. De façon globale, on peut dire que dans la traduction française les interventions de Maryla Laurent sont de deux types. La majorité écrasante de cas est constituée par l’addition de l’élément absent de la surface textuelle de l’original. En second lieu, il peut s’agir de la modification de la relation logique existant dans le texte source. 1 « [...] for the purposes of translation, it makes more sense to take a broader view of cohesion and to consider any element cohesive as long as it signals a conjunctive-type relation between parts of a text, whether these parts are sentences, clauses (dependent or independent), or paragraphs. To reiterate, subtleties of technical definition are not the main issue here and are not likely to prove directly relevant in translation » (Baker 1992 : 192). 2 Il est intéressant de noter que dans la catégorie des connecteurs J. Demanuelli et C. Demanuelli (1995 : 40) classent de surcroît les ponctèmes : « toute séparatrice que semble être leur fonction, ils jouent un rôle primordial dans la structuration ou la hiérarchisation des énoncés et l’établissement de rapports entre les différents éléments d’une même séquence linguistique ». Magdalena Mitura 74 LES RELATIONS EXPLICITÉES Comme nous l’avons signalé ci-dessus, la nature de l’outil de la jonction introduit est variable. L’analyse comparée a révélé les occurrences des conjonctions de coordi- nation et de subordination, des adverbes, des locutions conjonctives et préposition- nelles ainsi que des propositions. Commençons par les moyens les plus classiques de connexion, c’est-à-dire les conjonctions et, mais, donc. Ainsi la traductrice introduit-elle uploads/Management/ 9-mitura-rc-14.pdf

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  • Publié le Mai 10, 2022
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