1 PREFACE Personne d'autre que le général Beaufre, à l'époque contemporaine, n'

1 PREFACE Personne d'autre que le général Beaufre, à l'époque contemporaine, n'aurait pu écrire un ouvrage sur la stratégie avec une expérience pratique plus étendue. Aucun général de son grade n'a rédigé sur ce sujet une étude théorique d'une telle envergure et d'une telle maîtrise. Quand je l'ai rencontré pour la première fois, en 1935, il était le plus jeune officier servant à l'étatmajor général de l'Armée ; mais déjà à cette époque, il me fit une impression si profonde, que je le notai comme l'un des quatre officiers d'avenir que j'avais eu l'occasion de rencontrer pendant mon séjour en France - et sur ces quatre, les trois qui survécurent atteignirent l'échelon le plus élevé de la hiérarchie dans l'armée française. André Beaufre devint, la dernière année de la guerre, le chef des opérations à l'état-major de la 1 `° Armée française. Lorsque je le retrouvais en 1950, il était sous-chef d'état-major des Forces terrestres de l'Europe occidentale, puis il partit pour l'Extrême-Orient en qualité d'adjoint au commandant en chef, le maréchal de Lattre de Tassigny. A son retour en Europe, il fut désigné comme chef du Groupe d'études tactiques interallié. Au cours des visites que je lui fis à son Quartier général de Bad Neuenahr, je pus constater combien il contribua à renouveler les concepts susceptibles de répondre à l'éventualité d'une invasion soviétique de l'Allemagne occidentale. II devint ensuite chef de la 2e Division d'Infanterie mécanisée avec laquelle il réalisa avec succès la nouvelle organisation pentagonale - basée sur la subdivision en cinq unités -que j'avais longtemps recommandée et que l’armée française fut la première à adopter à titre d'expérience. En 1955, il fut envoyé en Algérie pour commander une zone opérationnelle, et l'année suivante, il fut choisi pour commander le Corps d'Armée français dans l'expédition de Suez. En 1958, il devint chef d'état-major adjoint du SHAPE et deux ans après, il fut nommé représentant de la France au groupe permanent de l'OTAN à Washington. Cette extraordinaire variété d'expériences fournit au profond penseur qu'est ce soldat une base exceptionnelle de réflexions pour étudier la conception et i l'application de la stratégie à des situations et à des opérations réelles. Aussi est-il de la plus grande importance que, depuis sa récente et regrettable retraite, alors qu'il est au sommet de sa force intellectuelle, il ait orientée celle-ci vers la production d'un ouvrage sur ce sujet, d'une vaste portée. Il intitule son livre : « Introduction à la Stratégie », mais ce titre est beaucoup trop modeste ; cela saute aux yeux de tout lecteur ou chercheur informé. En réalité, son ouvrage est le traité de stratégie le plus complet, le plus soigneusement formulé et mis à jour qui ait été publié au cours de cette génération - sur bien des points, il prime tous les traités antérieurs. Il a toutes les chances de devenir un classique, un manuel de cette discipline. Si parfois je m'éloigne de lui sur certains détails d'interprétation ou de formulation, sur beaucoup d'autres, je suis pleinement d'accord, et je salue avec grand plaisir (avènement d'une si remarquable contribution au domaine de la pensée sur les éléments fondamentaux de la guerre. Capitaine B.H. LIDDELL HART, 1963 2 INTRODUCTION Présenter en 1963 un ouvrage sur la stratégie peut paraître une gageure. On ne croit plus aujourd'hui au génie des stratèges. Les guerres catastrophiques et le café du commerce les ont tués, avec toutes les naïvetés de l'imagerie d'Épinal aux couleurs brillantes de la civilisation ancienne en cours de disparition. Dans notre âge devenu positif, industriel et populaire, les problèmes de la guerre et de la paix paraissent relever de techniques de plus en plus compliquées : d'une part, celles de la technologie scientifique qui gouverne la course aux armements nucléaires ouvertes par les États-Unis, d'autre part, celles plus mystérieuses de la technologie psychologique que les Soviétiques ont tirée de leur révolution. Si le mot de Stratégie continue à être employé souvent, à tort et à travers d'ailleurs, la science et fart stratégiques sont rangés avec les vieilles lunes entre la tabatière de Frédéric II et le chapeau de Napoléon. Seul Clausewitz - que très peu de gens ont lu - garde quelque prestige, surtout à cause des notes élogieuses que Lénine lui a données, ce qui lui vaut encore quelques pèlerinages intellectuels. Cependant, notre monde est en gésine d'événements considérables. Avec la lenteur majestueuse de l'Histoire, se déroule sous nos yeux l'un des plus formidables bouleversements humains depuis la chute de Rome. Malgré l'heureuse inconscience des peuples, sans doute voulue par la pitoyable nature pour nous aider à traverser ces longues épreuves, on commence ici et là - avec beaucoup de retard sur les événements d'ailleurs -, à chercher à comprendre le phénomène et si possible à le diriger. L'économie, dont Marx avait proclamé la primauté, sort des limbes où elle dormait et commence à devenir une science - ou au moins une technique capable de résultats plus assurés. La sociologie se développe rapidement et défriche avec ardeur son immense domaine. Les problèmes de défense, dont l'importance saute aux yeux, attirent un nombre croissant d'analystes qui, en Amérique surtout, sont en train de chercher à réunir l'ensemble de connaissances dont le besoin se fait sentir. Mais, dans cette progression laborieuse des sciences humaines, manquent l'idée générale et l'opérateur commun, la philosophie et la stratégie qui sont justement deux disciplines démodées et délaissées, malgré un regain récent d'intérêt. Or, mon expérience de quarante années, pendant lesquelles j'ai été témoin ou acteur de la plupart des événements importants qui se sont produits, m'a convaincu que c'est par l'absence de ces deux guides que nous avons si régulièrement rencontré l'échec. Faute d'une idée générale, d'une philosophie, nous avons flotté au gré des vents adverses, subissant les assauts des philosophies dynamiques qui nous étaient opposées. Leur valeur intrinsèque, souvent faible on l'a bien vu, importait moins que leur cohérence. De même, faute d'une stratégie, nous avons été constamment incapables de comprendre les manœuvres par lesquelles on cherchait à nous réduire, et nous avons régulièrement fait porter nos efforts sur des impasses. De 1936 à .1939, Hitler quia vérifié notre inaptitude en mars 1936, progresse par bonds. On le laisse faire, jusqu'à ce que, lassés, nous répondions en déclenchant une catastrophe qui ne pouvait que nous être fatale, d'autant plus que tout notre système de guerre était faux, parce que fondé uniquement sur des tactiques, et qui en outre étaient périmées ! La France s'effondre entraînant avec elle l'Europe. Le redressement de 1942 à 1945 est l’œuvre d'Anglo-saxons, forts d'une philosophie et d'une stratégie. Mais dès la victoire, nous sommes de nouveau désorientés par le grand mouvement de décolonisation. L'Indochine est perdue à coups de tactiques excellentes, vaincues par la stratégie adverse à laquelle nous n'avons su opposer aucune stratégie digne de ce nom. L'Algérie, malgré cette expérience, ne fait que reproduire en les exagérant les mêmes erreurs. Suez, victoire tactique, débouche sur un épouvantable échec politique, faute d'avoir eu la plus petite notion des conditions stratégiques nécessaires au succès d'une semblable entreprise. Je n'ai choisi ici que des exemples français. Mais je pourrais tracer un tableau semblable, en noir ou en blanc, pour la Corée, Cuba, Berlin et l'OTAN. La conclusion qui pour moi s'impose, c'est que, pour une grande part, l'ignorance de la stratégie nous a été fatale. 3 Les raisons de cette ignorance sont intéressantes. Je les indiquerai au passage dans cette étude. Mais ce qu'il est important de bien voir c'est que la désaffection pour la stratégie des vainqueurs de 1918 provenait de ce qu'on ne leur avait pas enseigné la stratégie, mais une stratégie, présentée comme l'alpha et l'oméga de l'Art. Or cette stratégie particulière s'était révélée fausse. On enterra l'idole sans s'apercevoir que les reproches qu'on lui adressait provenaient de ce qu'elle avait déjà été trahie. C'est qu'en effet, on le verra, la stratégie ne doit pas être une doctrine unique, mais une méthode de pensée permettant de classer et de hiérarchiser les événements, puis de choisir les procédés les plus efficaces. A chaque situation correspond une stratégie particulière ; toute stratégie peut être la meilleure dans l'une des conjonctures possibles et détestable dans d'autres conjonctures. C'est là la vérité essentielle. Dans le choix des procédés, je ne me suis naturellement pas limité aux procédés d'ordre militaire, car chacun sait qu'aujourd'hui la guerre est devenue ouvertement totale, c'est-à-dire menée simultanément dans tous les domaines, politique, économique, diplomatique et militaire, et que la guerre froide, que j'appelais Paix-Guerre en 19391, présente le même caractère avec des intensités différentes. Il ne peut donc y avoir de stratégie que totale. Cela soulève avec plus d'acuité le problème des rapports entre la politique et la stratégie, mais cela permet aussi de mieux comprendre le domaine propre à chacune d'elles. Il en résulte également que la stratégie ne peut plus être l'apanage que des militaires. Je n'y vois pour ma part que des avantages, car lorsque la stratégie aura perdu son caractère ésotérique et spécialisé, elle pourra devenir ce que sont les uploads/Management/ beaufre-pdf.pdf

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  • Publié le Dec 17, 2021
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