Babel 59 : 3 (2013), 257–273. © Fédération des Traducteurs (fit) Revue Babel do
Babel 59 : 3 (2013), 257–273. © Fédération des Traducteurs (fit) Revue Babel doi 10.1075/babel.59.3.01pee issn 0521–9744 e-issn 1569–9668 Comment optimiser la compétence (inter)culturelle des étudiants en traduction Un projet authentique prometteur Isabelle Peeters KU Leuven 1. Introduction La traduction de textes comportant des références culturelles constitue une pierre d’achoppement pour beaucoup d’étudiants.1 En effet, ils ne se rendent même pas toujours compte de la présence de ces références dans les textes qu’ils traduisent. González Davies et Scott-Tennent (2005: 166) ont montré que l’enseignement de la traduction attache trop peu d’importance à cette problématique. Pour com- bler cette lacune, ils ont proposé une approche socio-constructiviste, axée sur un enseignement explicite de la notion de référence culturelle et complétée par un en- traînement spécifique, qui apprend aux étudiants à détecter et à résoudre ce type de problème de traduction. Pour sensibiliser nos étudiants à la problématique de la traduction des réfé- rences culturelles, nous avons élaboré un cadre pédagogique, basé sur l’approche de González Davies et Scott-Tennent (2005) et de Scott-Tennent et González Da- vies (2008), afin d’améliorer cet aspect de leur compétence traductionnelle. Tout comme les auteurs, nous avons constaté que cette démarche a une influence posi- tive et immédiate sur la qualité des traductions produites. Toutefois, un enseignement explicite, qui aide les étudiants à reconnaître les références culturelles, d’une part, et à choisir une stratégie et des procédés de tra- duction efficaces, d’autre part, ne résout pas encore le problème de leur compé- tence (inter)culturelle insuffisante. En effet, les apprenants ne se rendent souvent 1. A l’instar de Scott-Tennent et González Davies (2008: 783), nous définissons la notion de ré- férence culturelle comme suit : « Any kind of expression (textual, verbal, non-verbal or audio- visual) denoting any material, ecological, social, religious or linguistic manifestation that can be attributed to a particular community (geographic, socio-economic, professional, linguistic, re- ligious, etc.) and would be admitted as a trait of that community by those who consider them- selves to be members of it ». 258 Isabelle Peeters pas compte du fait qu’ils ont une image simplifiée, voire stéréotypée, de leur culture et/ou de celle de la culture cible. En outre, ils rencontrent parfois dans des textes des ailleurs culturels opaques pour eux. Dans d’autres cas, les références explicites manquent et l’implicite culturel est encore plus difficile à aborder. Ils doivent par conséquent être sensibilisés de façon active à des cultures et à des différences de culture. Dans cet article, nous focaliserons notre attention sur l’importance de la com- pétence (inter)culturelle en traduction. A cet effet, nous proposerons un projet en collaboration avec le Kunstenfestivaldesarts, un festival d’art contemporain, orga- nisé annuellement à Bruxelles. Nous avons élaboré ce projet dans le cadre de notre cours, intitulé Traduction de textes culturels, pour améliorer cet aspect de la com- pétence de traduction des étudiants. En leur permettant d’entrer en contact avec la scène artistique internationale à Bruxelles, nous aiguisons leurs compétences (inter)culturelles. Plus un étudiant a de l’expérience (inter)culturelle, plus il sera facile pour lui d’identifier et d’interpréter correctement des éléments culturels et donc également de les traduire. Notre contribution comporte deux grands volets. Dans le premier, nous com- mencerons par définir les concepts de compétence traductionnelle et de compé- tence (inter)culturelle, avant de nous pencher sur le rapport existant entre les deux notions et de définir les composantes qui les constituent (section 2). Le second volet est consacré à la présentation détaillée de notre projet Kunstenfestivaldesarts. Nous mettrons également en lumière sa plus-value (section 3). 2. Compétence traductionnelle vs compétence (inter)culturelle ? Dans ce paragraphe, nous définirons d’abord les notions de compétence traduc- tionnelle (2.1.) et (inter)culturelle (2.2.), avant de nous interroger sur la relation existant entre les deux concepts (2.3.). Ensuite, nous définirons les composantes des compétences traductionnelle (2.4.) et (inter)culturelle (2.5.). Finalement, nous nous poserons la question de savoir si la dernière se révèle être une compétence problématique (2.6.). 2.1. Quelques conceptions de la compétence traductionnelle Nous rejoignons Pym (2003), quand il précise que les définitions de la notion de compétence traductionnelle sont très hétéroclites. En effet, à une extrémité du spectre, il y a ceux qui nient l’existence même d’une compétence traductionnelle (Wills 1976). A l’extrémité opposée, il y a ceux qui conçoivent la compétence tra- ductionnelle comme une hypercompétence vague, chapeautant différentes com- Comment optimiser la compétence (inter)culturelle des étudiants en traduction 259 posantes (Toury 1986; Koller 1992). Entre ces visions extrêmes, nous pouvons dé- celer toute une série de tendances. La première conçoit la compétence traductionnelle comme l’addition d’une série de compétences linguistiques acquises en deux langues et met donc l’accent sur le bilinguisme du traducteur (Wills 1982; Ballard 1984). La deuxième tendance positionne la notion de compétence du côté de la « per- formance » de Chomsky. Elle met en lumière que la traduction suit les tendances décelées en linguistique (Koller 1979; Schäffner et Adab 2000). La troisième approche relègue la linguistique à l’arrière-plan au profit d’une approche pluricomponentielle et interdisciplinaire de la compétence traduction- nelle en incluant des aspects culturels, technologiques et professionnels (Bell 1991; Hewson 1995; Lee-Jahnke 1997; Beeby 2000). Pym (1991, 2003) s’écarte des conceptions pluricomponentielles, comportant parfois un nombre interminable d’éléments, en présentant une définition minima- liste de la compétence traductionnelle, qui se résume à la production d’une série de traductions possibles, suivie d’un processus de sélection de variantes valables. Cette vision met donc en lumière l’importance de l’interaction, composante fon- damentale de la compétence traductionnelle. Sur ce point, Pym (2003) rejoint les modèles pluricomponentiels. L’auteur décrit le plus grand mérite de son approche en termes de ce que sa définition ne dit pas. Ainsi ne précise-t-elle pas de profil professionnel idéal du traducteur et ne part-elle pas non plus de l’idée que d’autres compétences majeures ne se combineront jamais avec la compétence traduction- nelle. Au contraire même, cette dernière ne se révèle souvent qu’une composante mineure dans l’éventail de compétences requises de professionnels interculturels. Avant de traiter plus à fond la compétence traductionnelle et ses composantes, nous présenterons la notion de compétence (inter)culturelle. Cette démarche en deux étapes nous permettra de mieux cerner le rapport entre les deux compétences. 2.2. La compétence (inter)culturelle 2.2.1. Une compétence actuelle L’intérêt grandissant, porté de nos jours à la compétence (inter)culturelle, résulte de l’évolution des approches pédagogiques. Notre système éducationnel, qui était longtemps axé sur les savoirs, a cédé la place à un modèle centré sur l’apprenant où les compétences occupent une place centrale. Le Cadre européen commun de réfé- rence pour les langues (CECR) a joué un rôle crucial dans cette (r)évolution, en ce sens qu’il prône une approche actionnelle de l’enseignement et de l’apprentissage des langues, ce qui signifie concrètement que l’apprentissage veut préparer l’ap- prenant à l’utilisation active de la langue à des fins communicatives. On apprend une langue en vue de s’intégrer dans une autre communauté et donc une autre 260 Isabelle Peeters culture, où on veut fonctionner comme un acteur social à part entière. Il s’ensuit que la compétence linguistique, qui a toujours constitué la raison d’être de l’ensei- gnement des langues (Lussier 2009: 146), passe de nos jours à l’arrière-plan, dans la mesure où de plus en plus de chercheurs préconisent le développement d’une compétence de communication interculturelle, au détriment de la compétence de communication langagière (Byram 1997; Galisson et Puren 1999; Lussier 2008, 2009; Lebrun 2009). 2.2.2. La compétence (inter)culturelle et l’enseignement de la traduction Nous constatons un glissement analogue vers les contenus (inter)culturels dans la pédagogie de la traduction. En effet, Kussmaul (1995: 71) a explicité que toute tra- duction se résume à de la communication interculturelle. Un traducteur ne doit donc pas seulement être un spécialiste en langues et en traduction, mais égale- ment en matière de culture : « Others may be experts in law, engineering and bu- siness; translators are experts in languages and cultures and in the production of texts » (Kussmaul 1995: 146). González Davies et Scott-Tennent (2005: 166) uti- lisent dans ce contexte la notion de cultural awareness, prise de conscience cultu- relle : « (. . .) cultural awareness enhanced by reflection and decision-making may bring to the forefront the whole issue of otherness and of the subjectivity of the translator when identifying and when constructing cultural references ». Tennent (2005:xxi) met l’accent sur le fait que la culture concerne la création de valeurs et que, par conséquent, la traduction est la recréation de ces valeurs dans un autre contexte. Pym (2003: 491) et Cronin (2005: 251) voient le traducteur comme un médiateur, un professionnel de la communication interculturelle. 2.3. Le rapport entre les compétences traductionnelle et (inter)culturelle Théoriquement, trois constellations se révèlent possibles entre les compétences traductionnelle et (inter)culturelle. Premièrement, il n’existe pas de rapport hié- rarchique entre les compétences citées, dans la mesure où elles se situent au même niveau. Deuxièmement, la compétence traductionnelle se décline en une série de sous-compétences, dont la compétence (inter)culturelle. C’est l’approche plu- ricomponentielle que nous avons mentionnée dans 2.1. et qui est défendue par, entre autres, Beeby (2000) et Eyckmans uploads/Management/ comment-optimiser-la-competence-inter-culturelle-des-etudiants-en-traduction.pdf
Documents similaires
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/Ksd2sr4qLs1dxbY7C2QIkPTsmwMymeWWfL4dVp2JA0gRJ89LWtU38Cfvvl3hDT7CzE2kOOxhFBne2j3AgdOK7voj.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/FlGqn9Ohaum3HYtfT9FJyjKYcWAevn1t6apbeuVGfnLhxN6EYJdNhOFNVAk0N3MasbztavRLWDfnAS7LeYDphoxK.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/34OAHvHPYviCdRv81Rw9JRlZ18t7puHr3moyTpnIdguRKVBdm9SP3HNFm8ZA10F8lMBOulv29dehwl2ZWpOcWc77.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/PufbDOPwztzZowCTzRoEDyCC0Z1T07pmsg5pzdFcb521zVJEpyndRQu06eyNyXQbgfxeZTAOUiJEr7U0QhkidB44.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/7ugMMGuQNdlEoNxOnJGqmgoclctLeRyh9GDPQozhvIxQA61LFDx330DU9w5SSJ7ob4uSJ60uCTQ6R33yNCWZ0tzk.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/TwlgYxXPCOyO5aM1Rlmcw1vCaceCbevHv0KnQqb58dHjvxdRjxBXifVIx9qdKWcuK82fgpZc5oO9p91EgRwzNC4V.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/DdH9EJhuSgyR6P25PzzBTSUABSdMd3BwiMGiAJxDx3tAc9cpceF75hmPLGTz5gezgv9laURzDCnJugWQZS6Nexsu.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/q0eECxiqfunHVhv8wQmeVGY0dipDLncqiQHdGJN4Mzw8J6czlNVJ9n0oleVBdUiT3WugSiWWAbTEhRsEByh5sxho.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/0IAwR8nAAY6SEIt3Q0Y8AwFFbABij5psh9bmwYuIQoFFqOCqCKLg5GFeEbjY4uXoNEpwjFEdkZMgJc2z3z5wzeQc.png)
![](https://b3c3.c12.e2-4.dev/disserty/uploads/preview/IGvZXXh20KLIoTZLBbPf1HLTNpYhwQJmsJgLqe6YXRrKw5dY52Bjgg8YqQ7yMXV25ntvERno14LAneMpF8HUSo2C.png)
-
22
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Dec 10, 2022
- Catégorie Management
- Langue French
- Taille du fichier 0.1355MB