No. 75 NOTE, MESURE OU MESSAGE Nous considérons que l’attribution d’une note po

No. 75 NOTE, MESURE OU MESSAGE Nous considérons que l’attribution d’une note pour évaluer une performance en langue étrangère relève davantage du message que de la mesure au sens mathématique du terme. Rappelons brièvement notre raisonnement. Une mesure, pour être objective et consensuelle (on parle de validité et de fiabilité), repose avant tout sur une unité de mesure clairement définie, le mètre ou le pouce pour la longueur, le kilo pour le poids, le joule pour l’intensité lumineuse, etc. Ce n’est pas le cas en classe de langue où le « point » ne correspond à aucune réalité observable singulière et univoque qui serait acceptée par tous. Et le fait de créer des échelles sur 10, sur 100 ou sur 20, d’utiliser des lettres ou de coller des émoticons dans la marge du cahier des apprenants n’y change rien. Mais si l’on admet que la note n’est pas une mesure, il nous reste à définir ce que c’est. Nous considérons pour notre part que dans de nombreuses situations, en classe, lors d’un test de placement, dans le quotidien de l’évaluation formative et même souvent dans la formalisation d’une évaluation sommative, il s’agit d’un message qui constate, parfois, les acquis, souvent, les lacunes ou les déficiences par rapport à un état attendu. Il peut donc s’ensuivre d’inévitables malentendus. L’apprenant mexicain ne comprend pas la valeur sociale d’un 12/20 attribué par son professeur français, cette note étant considérée comme très mauvaise au Mexique alors qu’elle est tout à fait acceptable en France, ou l’élève déçu n’accepte pas d’être ajourné à un examen qu’il pensait avoir réussi. Tout message comporte sa part d’ombre et d’incertitude. UNE ÉVALUATION EXPLICITE AU SERVICE DU MESSAGE Depuis plusieurs décennies déjà les enseignants ont développé de nombreuses stratégies pour rendre plus explicites leurs messages, en veillant à mettre en place une Patrick Riba priba@martinique.univ-ag.fr Mots-clés : qualité en évaluation, modèles didactiques, outils d’évaluation, fiabilité, validité De la modélisation didactique à l’évaluation en contexte: Un processus dynamique Patrick Riba Université des Antilles 2 No. 75 évaluation dite argumentée. Ils ont eu recours pour cela à des grilles pondérées qui détaillent les éléments observables d’une performance (maîtrise de l’orthographe, de la grammaire, performance argumentative, structuration du texte, etc.). Dans un ouvrage à paraître (Mègre, B., Riba, P., 2015), nous proposons un certain nombre de mesures pour améliorer ces dispositifs en recourant au principe de contradiction qui permet à tout moment à chacun des acteurs du processus évaluatif de faire valoir un droit à la remise en question du jugement, à quelque niveau que ce soit, obligeant pour ce faire celui ou ceux qui en ont la responsabilité à argumenter chacune de ses étapes. Les enseignants peuvent ainsi mettre en place un processus de démarche qualité pour valider préalablement les tâches ou les exercices d’évaluation qu’ils ont créés en les soumettant à des pré tests visant par exemple à valider leur valeur discriminante ou à établir la pertinence de certains réactifs. Ils peuvent aussi établir collégialement une série d’exemplifications de performances révélatrices de tel ou tel niveau, et tenter d’atteindre une bonne corrélation inter jurys en s’entraînant à corriger de concert les mêmes performances. Ils peuvent enfin mettre en place des procédures de vérification des jugements émis en établissant par exemple des corrections multiples à l’aveugle. Ces démarches ont pour avantage de créer une synergie dans les équipes enseignantes, et il y a fort à parier que les apprenants apprécieront la congruence qui pourra en découler (nous savons qu’ils déplorent souvent les disparités qui peuvent exister en matière d’évaluation entre professeurs d’une même matière d’une classe à une autre). Les enseignants, ou l’institution qui les embauche, pourront aussi rendre public les attendus programmatiques du cours, sous la forme d’un syllabus ou d’un portfolio de compétence, afin d’impliquer les apprenants dans le processus d’évaluation. Mais pour louable qu’elle soit, cette attitude ne résoudra bien entendu pas tous les problèmes. L’une des difficultés majeures à laquelle se heurtent explicitement les équipes qui s’engagent dans cette démarche (les autres s’y heurtant aussi souvent de manière implicite, donc plus perverse) relève en effet d’un certain nombre d’implicites qui structurent à notre corps défendant notre conception de la langue. Or, pour définir explicitement ce qui sera observé et évalué, la mise en place d’évaluations argumentées impose la modélisation d’un système extrêmement complexe qui est de surcroit variant. Le Cadre européen commun de référence pour les langues (Conseil de l’Europe, 2001, p. 81) a ainsi opté pour une modélisation imaginée par Bachman (1990 :87) qui elle-même s’inspirait des travaux des Canadiens Canale et Swain, lorsqu’ils avaient défini la compétence communicative (1980). Ces différentes modélisations à usage didactique de l’objet langue permettent d’en décrire les différentes dimensions. Patrick Riba Université des Antilles 3 No. 75 Canale et Swain, 1980 Bachman, 1990 (traduction P. Riba) De la modélisation didactique à l’évaluation en contexte: Un processus dynamique compétence linguistique compétence sociolinguistique compétence socioculturelle compétence référentielle compétence stratégique 4 No. 75 Cadre européen commun de référence pour les langues, 2001 La liste des modèles existants ne se limite bien entendu pas à ces trois exemples qui sont cependant les plus connus et les plus utilisés aujourd’hui. Sur cette base, les évaluateurs peuvent établir les attendus programmatiques dans chacune de ces compétences en termes d’objectifs (« les apprenants seront capables de, présenter quelqu’un, conjuguer le verbe être au présent de l’indicatif, tutoyer ou vouvoyer à bon escient, etc ») – que l’on retrouve par exemple dans les portfolios des langues -, ou en termes de contenus – que l’on retrouve dans les « référentiels pour le français (Beacco, Bouquet, Porquier, 2004) -. Rédigés en termes observables, ces objectifs seront ensuite déclinables dans des consignes de tâches ou d’exercices (« présentez sans le nommer un des élèves du groupe »), et les performances des étudiants pourront être évaluées dans chacune de ces dimensions. De nombreuses grilles retiennent un condensé de ces modèles qui se résume aux trois dimensions suivantes. Compétences linguistiques Compétences sociolinguistiques Compétences pragmatiques Compétence lexicale Compétence grammaticale Compétence sémantique Compétence phonologique Compétence orthographique Compétence orthoépique Marqueurs des relations sociales Règles de politesse Expressions de la sagesse populaire Différences de registre Dialecte et accent Compétence discursive Compétence fonctionnelle Objectifs pragmatiques Objectifs linguistiques Objectifs sociolinguistiques Patrick Riba Université des Antilles 5 No. 75 Jusqu’ici, rien de bien nouveau, nous avons-nous-même évoqué ces sujets dans au moins deux publications au Mexique (Riba, 2008, 2010). Mais ce modèle multidimensionnel pose un certain nombre de problèmes dès que l’on demande à l’évaluateur un jugement qui résumera l’ensemble de ses observations. La société, ou l’apprenant lui-même, veulent en effet savoir si l’apprenant est capable de parler, argumenter, exercer une série d’activités professionnelles ou sociales en contexte exolingue, etc. Pour cela, l’institution exige souvent une note et une seule. Faute de mieux, les enseignants font alors la somme des valeurs attribuées à chaque dimension. Se pose alors le problème de la pondération entre les différentes dimensions. Il est en effet facile de comprendre que les choix qui seront faits impacteront le message final en termes de valeur chiffrée selon que l’on choisit la proposition 1 ou la 2 : Or, ces deux choix peuvent être parfaitement légitimes selon les contextes : la proposition 1 peut correspondre à une évaluation de niveau avancé pour futurs enseignants de français, la proposition 2 pouvant être utilisée avec des étudiants débutants. Ces modélisations constituent en effet des modèles dynamiques, ce que les schémas présentés supra ne mettent pas assez en évidence. Lors de séminaires consacrés à ce sujet, nous avions imaginé avec les collègues de l’École de langues de la Benemérita Universidad autónoma de Puebla une sorte d’équaliseur didactique qui permettrait à l’équipe enseignante d’expliciter des choix toujours faits, mais pas toujours de manière explicitement réfléchie, sur chacune de ces dimensions. Selon les contextes et/ou les finalités de l’enseignement de la langue, l’équipe enseignante peut ainsi décider de prioriser telle dimension en lui donnant une pondération supérieure aux autres, et elle peut décider, à la manière d’un équaliseur, de modifier cette pondération dans une autre contexte. Ainsi, aucun modèle didactique n’est in fine pertinent. Il le devient quand un consensus explicite s’établit entre les acteurs du processus, et il en découle des grilles d’évaluation peut-être plus logiques. De la modélisation didactique à l’évaluation en contexte: Un processus dynamique PROPOSITION 1 PROPOSITION 2 Objectif pragmatique 3 Objectifs linguistiques 15 Objectifs sociolinguistiques 2 Objectif pragmatique 15 Objectifs linguistiques 3 Objectifs sociolinguistiques 2 6 No. 75 Ce dispositif dynamique n’est pas exempt de défauts. Il nécessite en effet une constante adaptation des enseignants à l’utilisation de grilles différentes d’un niveau à l’autre, ce qui peut créer des difficultés en termes de fiabilité, mais cet effort est peut-être le prix à payer pour avoir une évaluation explicitement congruente avec les choix affichés. LA MODÉLISATION DU CADRE EST-ELLE LE MODÈLE ULTIME ? On peut naturellement s’interroger sur la pertinence même de ces modèles d’experts. Il y a fort à parier par exemple que la prise en compte didactique d’autres dimensions de la communication imposera une révision de uploads/Management/ de-la-modelisation-didactique-a-l-x27-evaluation-en-contexte.pdf

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  • Publié le Oct 01, 2022
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