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- 117 - Quelle est la place aujourd’hui des études contrastives en didactique des langues étrangères ? Cécile Desoutter Université de Bergame La comparaison interlangue occupe un rôle central dans la linguistique moderne. Des chercheurs appartenant à des époques et à des courants divers ont proposé différents moyens de comprendre et d’utiliser la comparaison. Centrée au début du 19e siècle sur l’analyse des rapports de parenté entre langues dans une perspective historique, l’approche comparatiste s’est ouverte au milieu du 20e siècle à la notion d’analyse contrastive, mettant en évidence les éléments non coïncidents entre langues dans un but essentiellement didactique. L’approche contrastive, née du structuralisme et du behaviorisme américain, analyse le recours à la langue première dans l’apprentissage des langues secondes ou étrangères sous l’angle des notions de “transferts” et “d’interférences”. Centrée dans un premier temps sur les divergences, elle s’est, par la suite, orientée vers une autre approche de la comparaison à des fins didactiques, celle qui se base d’abord sur les universaux langagiers et sur les convergences entre langues avant d’en explorer les différences. Dans les lignes qui suivent, nous présenterons en premier lieu les principes de l’analyse contrastive classique et les critiques qu’elle a suscitées avant d’explorer les nouvelles directions qu’elle prend, en particulier dans le cadre de la didactique des langues voisines. 1. L’analyse contrastive classique et la didactique des langues: bref historique L’analyse contrastive est une branche de la linguistique appliquée qui s’est surtout développée au milieu du 20e siècle aux Etats–Unis. Dans son ouvrage Linguistics across culture (1957), Robert Lado affirme pour la première fois l’exigence d’effectuer une analyse comparative dans un but didactique. Linguiste fort d’une solide expérience de l’enseignement des langues étrangères, il part du principe que : The student who comes in contact with a forein language will find some features of it quite easy and others extremely difficult . Those elements that are similar to his native language will be simple for him, and those that are different will be difficult. et il considère que : We can predict and describe the patterns that will cause difficulty in learning, and those that will not cause difficulty , by comparing systematically the language and culture to be learned with the native language and culture of the student (1). - 117 - - 118 - En substance, la thèse de Lado repose sur trois postulats rappelés par Giacobbe (1990 : 116) : - l’usage d’une langue dépend fondamentalement du système d’habitudes langagières que le sujet développe depuis son enfance. Apprendre une nouvelle langue exige donc de développer de nouvelles habitudes. - puisque dans les productions des apprenants apparaissent de nombreuses erreurs que l’on peut identifier comme des formes appartenant à la langue première, c’est qu’il existe un phénomène de transfert. - si la similitude entre deux langues aide à l’apprentissage, les différences vont au contraire créer des difficultés puisqu’elles seront sources d’interférences. Sa solution est donc de procéder à une comparaison “ terme à terme , rigoureuse et systématique de deux langues données, à tous les niveaux (phonologique, morpho- syntaxique et éventuellement sémantique), pour mettre en évidence leurs différences et permettre ainsi – dans un second temps (la linguistique contrastive ne se substitue pas à la didactique des langues)- l’élaboration de méthodes d’enseignement mieux appropriées aux difficultés spécifiques que rencontre une population scolaire donnée, dans l’apprentissage d’une langue étrangère” (Galisson, Coste 1979 : 125). Selon les principes de l’analyse contrastive, la progression pédagogique part certes d’une comparaison minutieuse entre langue source et langue cible, mais il n’est pas question de faire intervenir la langue première dans l’acte pédagogique. Elle n’a pas droit de cité dans le cours de langue étrangère puisque “l’utilisation de la langue maternelle ou le rappel constant de celle-ci ne peut en effet que favoriser les interférences entre les deux systèmes” (Bouton : 1974). Dans un article où elle retrace un bref historique de la comparaison interlinguistique, Pierini (1994 : 149) relève que l’intérêt des recherches de Lado est multiple. “ En premier lieu, il a le grand mérite d’avoir saisi la possibilité d’exploiter la comparaison interlinguistique jusqu’alors considérée dans une optique théorique et descriptive. En deuxième lieu il a relancé les études comparatives en général, parce que ses travaux ont stimulé des recherches empiriques et une réflexion vaste et approfondie sur les buts, les procédures et les principes théoriques de l’analyse comparative. Enfin en reprenant le filon anthropologique présent dans le courant linguistique américain, il a souligné l’exigence de comparer non seulement les systèmes linguistiques , mais aussi les cultures, entendues comme systèmes de comportements structuraux partagés par un groupe social donné”(2). L’impulsion est donnée et pourtant l’application de l’analyse contrastive à l’apprentissage/enseignement des langues n’a pas concrétisé les espoirs suscités. De nombreux chercheurs vont en effet démontrer les insuffisances de l’approche. II. Remise en question de l’analyse contrastive classique 2.1. Du principe de transfert/interférences à la notion d’interlangue On a reproché à Lado de focaliser l’analyse sur les différences entre langues et de ne pas rendre compte de la complexité et du dynamisme des processus d’apprentissage. Il a voulu à tout prix ‘prévenir’, aller au devant des difficultés, tout expliquer par la présence sous-jacente de la langue source, considérant “la faute comme une erreur à extirper” (Galisson, Coste, 1976: 125). Giacobbe estime que “l’amalgame entre une constatation linguistique et une explication psycholinguistique dérivée d’une conception behavioriste de l’activité langagière est responsable d’une confusion qui s’est installée dans les études sur le rôle de la langue première: l’identification entre influence de la langue première dans la construction de l’interlangue et une conception behavioriste du langage (1990 : 116). - 119 - Nombre de didacticiens et de pédagogues de la DLE s’accordent aujourd’hui à reconnaître que les lapsus, les fautes et les erreurs sont les traces de stratégies d’apprentissage mises en oeuvre par l’apprenant et manifestent une systématicité qui n’est pas due exclusivement à l’interférence des langues antérieurement connues ou au mécanisme de l’analogie induit par la langue cible. En fait, l’apprenant médiatise et construit sa relation à la langue selon des stratégies et des étapes qui lui sont propres. Les chercheurs ayant pris conscience de la complexité des processus qui constituent l’acte d’apprentissage vont donc remettre en cause la conception mécaniste de Lado. L’importance du phénomène de transfert ne sera pas totalement niée, mais on considèrera que tout n’est pas transférable et que la transférabilité peut varier d’un apprenant à l’autre. Pour Kellerman en particulier, c’est l’apprenant, en construisant son interlangue, qui doit traiter autant de données saisies dans la langue cible que celles qui proviennent de sa langue première (3). De son côté, Giacobbe (1990 : 123) juge “ fondamental le recours à la langue première en ce sens qu’il est un des fondements du nouveau système que construit l’apprenant” mais il ne se donne pas pour objectif d’expliquer pourquoi une forme est transférée et pas une autre. Son point de départ est l’activité de l’apprenant en tant que locuteur. Il cherche à expliquer les raisons qui poussent le sujet à avoir recours à sa langue première pour construire l’interlangue et produire son discours. 2.2. Les difficultés du recours aux études contrastives Les chercheurs vont donc s’éloigner de l’analyse contrastive classique pour lui faire assumer une fonction plus descriptive que prédictive: on ne lui demandera plus de vouloir tout expliquer. Il n’empêche que, même dans ces conditions, des problèmes d’application pratique se posent si l’on veut mettre les études contrastives au service de la DLE. La difficulté tient tout d’abord à la nature des publics apprenants, enseignants, chercheurs ou méthodologues. Alors que les méthodologies directe ou audio-orale préconisaient d’éviter, dans la pratique pédagogique, toute référence à la langue maternelle et proposaient des outils pédagogiques “universels”, l’analyse contrastive a au contraire stimulé la production de méthodes avec des versions adaptées localement. Toutefois, L. Dabène remarque “qu’il est difficile, voire impossible, de tenir compte de la langue de départ lorsque les publics sont linguistiquement hétérogènes (ce qui est de plus en plus le cas) ou lorsque les chercheurs en didactique ou les concepteurs de méthodes sont des natifs (ce qui a été souvent le cas)” (1996 : 394). La situation n’est pas moins complexe si l’on se réfère aux études contrastives disponibles. Après s’être dégagée d’un objectif exclusivement didactique, l’analyse contrastive a donné lieu à de nombreux travaux dans diverses combinaisons de langues et sur bien des aspects de ces langues. Mais la validité théorique des études contrastives n’est pas nécessairement proportionnelle à leur utilité didactique: le niveau d’abstraction est souvent tel qu’il rend impossible une application dans la pratique d’enseignement (Calvi : 166). Cela ne signifie toutefois pas que les études contrastives n’ont pas leur place dans la DLE. Ainsi, Willems (1997), parmi d’autres, estime qu’une connaissance - pour le moins chez l’enseignant – des convergences et différences essentielles sur le plan grammatical et lexical entre la langue maternelle de l’apprenant et les langues à enseigner ne peut qu’être profitable(4). Cependant, après avoir souligné l’importance de disposer de données contrastives fiables et exhaustives, il s’étonne que de tels uploads/Management/ desoutter.pdf
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- Publié le Fev 20, 2021
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- Langue French
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