1 Extimité Jacques-Alain Miller 1985-1986 I - 13 novembre 1985 « Y aurait-il qu
1 Extimité Jacques-Alain Miller 1985-1986 I - 13 novembre 1985 « Y aurait-il quelque chose de réel dans cette science ? » Cette question - tout le monde l'aura reconnue - est lacanienne, puisque nous en sommes de nos jours à utiliser cet adjectif. Pourtant, cette question, vous ne la trouverez dans aucun écrit de Lacan ni dans aucun de ses séminaires. Singulièrement - je dis singulièrement parce que ça m'a frappé -, c'est une question que l'on trouve dans la bouche de Fabrice del Dongo, dans La Chartreuse de Parme, au moment où il marche de nuit clandestinement, vers le clocher de son village. Cette question: « Y aurait-il quelque chose de réel dans cette science ? », est une question qui consonne très bien avec les interrogations de Lacan à propos de la psychanalyse. Même si Fabrice del Dongo, lui, se la pose sur la validité de l’astrologie, il faut bien dire que l'ensemble de ce morceau est singulièrement d’une allure lacanienne. Vous allez voir qu'il fait valoir la disjonction du signifiant et du signifié, et précisément sur le point que le signifié n'a vraiment pas grand chose a voir avec le signifiant. C'est d'ailleurs ce que Stendhal appelle le romanesque. Voici le passage. Fabrice del Dongo se remémore le temps de son enfance: « Quelle n'était pas mon ignorance en ce temps-là. Je ne pouvais comprendre même le latin ridicule de ces traités d'astrologie que feuilletait mon maître, et je crois que je les respectais surtout parce que n’y entendant que quelques mots par ci par là, mon imagination se chargeait de leur prêter un sens et le plus romanesque possible. » Ça le conduit - on pouvait s'y attendre - à porter quelques doutes sur la validité de l'astrologie. Cette astrologie est pourtant un bâti de héros de fiction qui fait le support même de La Chartreuse de Parme, puisque Fabrice del Dongo croit aux présages. Ces indications de présages reviennent de façon récurrente tout le long du livre et elles se vérifient régulièrement dans la fiction. Disons que le présage majeur, le présage capital, c'est le titre lui-même, puisque c'est le lieu ou d'une façon singulière, Fabrice del Dongo achève son existence. Le titre lui- même est un présage. J'ai lu pour la énième fois cette Chartreuse de Parme pendant les vacances, et ça m'a fait penser à la psychanalyse. Aussi loin que l'on prenne les choses, il est difficile de s'extraire de la psychanalyse. Il y a donc spécialement dans cette page, celle que je vous lis, une définition stendhalienne sensationnelle des sciences non mathématiques. Stendhal parle des trois quarts des sciences non mathématiques où nous pouvons reconnaître sans difficulté ce que nous baptisons, nous, les sciences humaines. Je n'ai donc pas pu m'empêcher, à propos de la définition stendhalienne des sciences non mathématiques, de penser si elle convenait ou non à la psychanalyse. Stendhal se pose la question à propos de l'astrologie pour savoir si cette science ne serait pas simplement « une réunion de nigauds enthousiastes et d'hypocrites adroits et payés par qui ils servent ». A la première lecture, j’ai trouvé ça criant de vérité, au moins en ce qui concerne ces institutions analytiques, et peut-être même la pratique. Lacan ne dit pas autre chose quand il fait porter sa critique sur le fait que le psychanalyste précisément ne veut pas croire à l'inconscient pour se recruter. C'est à cela qu'il oppose la pratique de la passe. Si le psychanalyste ne veut pas croire à l’inconscient pour se recruter, on peut se demander s'il veut y croire pour analyser. Il n'y a aucune raison de tenir ça pour acquis. C'est même une façon de prendre les déterminations de la psychanalyse comme impostures. C'est ce que Lacan n'a pas hésité à avancer, au début avec un point d'interrogation dans Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, puis ensuite, dans une conférence qui a fait du bruit, d'une façon assertive en qualifiant la psychanalyse d'escroquerie. On n'y échappera pas en jetant un voile là-dessus. Il y a, en effet, une inquiétude qui porte sur le fait de savoir si l'analyste n'exploiterait pas la crédulité publique. C'est ce que pense, paraît-il l’Académie Française, puisqu'elle a décidé de purger la langue française des termes psychanalytiques. J'ai donc été enthousiasmé par cette phrase de Stendhal. J'étais tout à fait disposé à prendre pour titre: « Nigauds enthousiastes et hypocrites adroits ». Ça nous aurait ouvert une année voltairienne et épistémologique, afin de secouer la machine et de voir ce qu'il en tombe, c'est-à-dire décider de ne pas être dupe de ce que disent les analystes. Ne parlons pas de ce que disent les analysants sur la psychanalyse, puisqu'il est entendu que ça ne fait pas foi dans le discours psychanalytique. Je crois qu’à prendre ce titre, nous aurions pu peut-être vérifier ce qu'a pu être l'efficacité de Lacan dans la psychanalyse. Seule est la vertu de son enseignement, celle de ne pas s'en laisser conter, et cela, il faut le dire, sans don quichottisme. Lacan a tenu le coup suffisamment pour que nous ayons une chance de prendre le relais. Ce n’est pas nous mais lui qui aborde la question du discours - sans en excepter le discours analytique - en termes de semblant, allant même jusqu'à considérer le discours analytique comme pouvant faire vaciller les semblants. Il y a, chez Lacan, une inspiration des Lumières, et même, pourquoi pas, une inspiration voltairienne. Reste que les semblants, il les respecte aussi, mais tout en n'en pensant pas moins. Il les respecte pour une raison que nous pourrons reprendre au cours de l'année, à savoir que Lacan, pas plus que Freud, n'a été un révolutionnaire. À faire joujou avec les semblants, à les faire vaciller, il se produit dans l'histoire un certain 2 nombre de cataclysmes dont il faut savoir si on les veut. Il est certain qu'un Voltaire n'était pas non plus un révolutionnaire. S'il n'avait pas défunté avant l'explosion que l'on sait, on n’a pas de raisons de penser qu'il aurait rejoint les rangs des enthousiastes. J'ai pourtant renoncé à ce titre. J’y ai renoncé mais en laissant cependant une trace parce que ça m'avait tenté pendant au moins une journée. J’y ai renoncé pour plusieurs raisons. La première est une raison formelle. En effet je ne sais pas si vous avez remarqué que « nigauds enthousiastes et hypocrites adroits », ça fait quatre, et que j'avais déjà traité le quatre l'année dernière. J'en avais fait mon thème. Ce titre ne pouvait alors être destiné à apporter du nouveau cette année. Remarquons quand même que ce quatre de l'année dernière reste pour nous le pré carré de Lacan. Je veux dire que c’est ça que nous broutons et que nous ne nous en sommes pas sortis. Le jour où ça se fera, on pourra dire alléluia, mais, pour le moment, nous y restons. Il y a une autre raison, non formelle celle-là, qui m'a détourné de ce titre. C'est que, tout de même, ça ne va pas pour la psychanalyse. Ça ne va pas à la psychanalyse pour une raison simple exposée par Lacan et qui tient a une formule, à savoir que « la psychanalyse, les canailles, ça les rend bêtes ». C'est, selon Lacan, une vérité d'expérience, et, remarquons-le, dite dans un vocabulaire tout à fait stendhalien. Nous reviendrons peut-être sur la canaille cette année. Je laisse ça de côté pour l'instant. Évidemment, si la psychanalyse, les canailles, ça les rend bêtes, il vaudrait mieux parler des hypocrites nigauds qui me paraissent parfaitement qualifier l'Association Internationale de Psychanalyse. Il me paraît que l'on puisse aussi ici parler d’enthousiastes adroits. Enfin, pour finir ces variations, restent les hypocrites enthousiastes et les nigauds adroits. Les nigauds adroits, c'est aussi dans Lacan. C'est exactement que les « non dupes errent », c'est-à-dire ce qui enjoint précisément le sujet à rester dupe du discours. Remarquez que c'est, là encore, ce dupe, un terme de Stendhal bien que ce dernier tienne ferme, par le romanesque, à la position de ne pas être dupe. Stendhal analyse fort bien les raisons de la crédulité de Fabrice del Dongo ou de ce qu’il appelle sa demi- croyance : « C'est ainsi que Fabrice ne put parvenir à voir que sa demi-croyance dans les présages était pour lui une religion, une impression profonde reçue à son entrée dans la vie. Penser à cette croyance, c'était sentir, c'était un bonheur ». Voilà un thème qui est voué, il faut le dire, à un certain avenir Ŕ le thème que tout ça est dû à ce qui s’est passé à l'entrée dans la vie. Cette émergence très précise dans le XIXè siècle est liée à une des conditions - pourquoi pas ? - de la psychanalyse. C'est en effet à cette date que Lacan va chercher les présupposés de l'analyse, à savoir chez Kant et chez Sade : frémissement qui se produit dans la bascule entre le XVIIIe et le XIXe siècle. Chez Stendhal uploads/Management/ jacques-alain-miller-extimite-cours-1985-1986 1 .pdf
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- Publié le Mar 20, 2021
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