Sidi ASKOFARÉ LE GÉNIE DU SINTHOME* Du père, catégorie centrale dans la cliniqu
Sidi ASKOFARÉ LE GÉNIE DU SINTHOME* Du père, catégorie centrale dans la clinique et la doctrine psychanalytique, on pourrait aussi dire aujourd’hui, sans malice, ce que Freud avait soutenu à propos de sa propre vie – lui, le père de la psychanalyse - , à savoir qu’elle n’avait pas d’intérêt en dehors de son rapport à la psychanalyse. Si, en tant que psychanalystes, nous nous penchons sur le père et ses figures, le père idéal, le père jouisseur, le père mort ou le père increvable, c’est sans doute parce que nous supposons que l’existence, l’opérativité et l’efficience même de notre discipline en dépendent. En tout cas, il semblerait que Freud et Lacan, à tel ou tel moment de leur parcours, n’ont pas été loin de le penser. C’est pour mettre en question cette idée qui peut paraître évidente que j’ai pensé pouvoir placer ce que je souhaite proposer sous le titre : le génie du sinthome. 1. Partons du plus simple. Il ne manque pas de raisons fortes pour considérer que la question du père aura été celle qui a déterminé de part en part l’histoire, finalement assez courte, de la psychanalyse. Du Complexe d’Oedipe à L’homme Moïse et la religion monothéiste chez Freud, des Complexes familiaux au Séminaire XXIII, Le sinthome chez Lacan, le père et le symptôme, le père – symptôme, le symptôme – père, et les différents types de symptôme enracinés dans le père constituent les fils dont s’est tramée l’étoffe du discours et de la clinique psychanalytiques. L’œuvre de Freud aura consisté, d’une certaine manière, à introduire le Nom-du- Père dans la considération scientifique, selon la belle expression de Lacan. Le mouvement même de son élaboration , de l’Entwurf… au Moïse… en témoigne. La trajectoire de Lacan, nous le savons, est tout autre, de partir de ce père du Moïse…, le Nom-du-Père donc, vers le sinthome. Mais nous remarquerons d’emblée que ce sinthome – définissons-le assez grossièrement pour l’instant comme ce qui supporte la fonction de nouage du père et la fonction de jouissance de l’inconscient en se passant du Nom-du-Père – est un point d’arrivée, un point auquel Lacan ne parvient qu’après avoir pluralisé le Nom-du-Père. * Texte de l’intervention prononcée à Nantes le 8 Avril 2006 à la Journée d’étude organisée par Régnier Pirard sur le thème « Se passer du père … ». Depuis la disparition de Lacan, c’est moins le sinthome – point de capiton de son enseignement – que le déclin du père qui a été, par ses élèves, relevé et réélaboré. Peut-être y a-t-il là quelque chose digne d’être médité et interrogé. Ce qui est sûr, c’est qu’à croiser ce qui précède et l’idée relativement ancrée chez la plupart que la psychanalyse est consubstantiellement liée à la névrose – donc au père -, on est inévitablement conduit à la question : quelles incidences, quelles conséquences ce « déclin du père » peut-il avoir sur l’existence, la survie même de la psychanalyse entant que pratique ? La question se précise et comporte deux volets : 1) la psychanalyse, comme pratique, est-elle structuralement liée à la névrose et dépendante d’elle ? 2) la névrose elle-même est-elle concevable en dehors de sa détermination par le Nom-du-Père et ses coordonnées socioculturelles ? 3) Dès lors, de deux choses l’une : ou bien la psychanalyse est freudienne, exclusivement freudienne, c’est-à-dire fondée et « destinée » à explorer, déchiffrer et interpréter le seul inconscient freudien – à l’exclusion de tout autre -, ou bien son rapport historiquement déterminé à cet inconscient-là ne l’y réduit cependant pas, et lui donne chance, par conséquent, de survivre à certains changements culturels et socio-historiques. Mais avant de répondre à ces questions difficiles, il convient de faire un petit retour à ce fameux « déclin du père ». 2. Une seule interrogation motive ce retour au « déclin du père ». C’est que chez Lacan, le « se passer du père… » est lié à l’usage du père voire à son usure. Or l’usage du père comme son usure requièrent sinon son règne et sa présence, en tous cas son instance et son expérience subjective. Malgré justement l’usure du motif, il convient de s’arrêter sur le « déclin du père » pour déterminer ce qui, aujourd’hui, fait consensus et sur ce qui fait dissensus. L’accord, le consensus porte, me semble-t-il, sur le constat quasi sociologique du déclin de l’imago paternelle, de l’autorité sociale du père, donc du patriarcat et de ses incidences dans le champ social. Tout le monde s’accorde, que ce soit pour le regretter ou pour s’en réjouir, de ce changement réel qui s’apparente par certains aspects à une véritable mutation anthropologique. Nul besoin donc d’invoquer la fin d’un dogme paternel là où il s’agit simplement de prendre acte d’un changement d’ordre socioculturel. Peut-être que le malentendu et la mésentente commencent à partir de la manière de considérer et de lire le phénomène. En effet, il n’a pas le même sens et n’implique pas les mêmes conséquences selon qu’on le rapporte à un procès et à une continuité, ceux de la modernité – du Dieu des philosophes aux opérations freudiennes sur le père, en passant par « la mort de Dieu » chez Nietzsche – ou selon qu’on y voit un fait de discontinuité radicale, un évènement qui fait rupture dans l’histoire socioculturelle de l’Occident notamment. Au demeurant, Lacan, qui le souligne dès 1938 dans ses Complexes familiaux dans la formation de l’individu , voit dans ce déclin non seulement une crise psychologique – de psychologie collective s’entend – qui est l’exact contemporain mais aussi la raison probable de l’avènement de la psychanalyse elle-même. On se souvient que ce qu’il diagnostiquait c’est le « déclin social de l’imago paternelle », déclin qui conditionne la « grande névrose contemporaine ». Cette névrose, classique donc, « notre expérience, écrit-il, nous porte à en désigner la détermination principale dans la personnalité du père, toujours carente en quelque façon, absente, humiliée, divisée ou postiche. C’est cette carence qui, conformément à notre conception de l’Oedipe, vient à tarir l’élan instinctif comme à tarer la dialectique des sublimations. Marraines sinistres installées au berceau du névrosé, l’impuissance et l’utopie enferment son ambition, soit qu’il étouffe en lui les créations qu’attend le monde où il vient, soit que, dans l’objet qu’il propose à sa révolte, il méconnaisse son propre mouvement. » (In Autres écrits, p. 61) Autant dire qu’il s’agit avec cette thèse d’un Lacan, autant durkheimien que freudien, qui vise à mettre au jour les déterminants sociologiques de la névrose via un certain nombre de médiations : relâchement des liens familiaux, carence du père, division du sujet entre impuissance et révolte. On sait que c’est cette thèse, longtemps oubliée ou occultée, d’appartenir à ce que Lacan a appelé ses « antécédents », qui fera retour dans l’après-coup de sa disparition, sous la forme d’un « déclin du Nom-du-Père » voire de la fonction paternelle. Cette thèse, fort séduisante, et dont l’énonciation produisît un effet de réveil dans la communauté analytique, peut-on la maintenir aujourd’hui ? Si je pose la question en ces termes, c’est bien parce qu’elle me divise. En effet, d’une part j’adhère au diagnostic que cette thèse suggère sur l’état de notre lien social contemporain. Mais d’autre part, 1) je considère qu’elle reste dans la dépendance du même type de sociologisme que le Lacan de 1938 ; 2) je tiens pour problématique l’équivalence qu’elle induit entre imago sociale du père, Nom-du-Père et fonction paternelle. Les questions que suscite cette thèse sont massives et tout simplement vertigineuses : qu’est-ce que le Nom-du-Père ? qu’est -ce que la fonction paternelle ? Et surtout, pourquoi ces catégories viennent-elles se substituer, dans l’enseignement de Lacan proprement dit, à l’imago du père dont il diagnostiquait – et non pas prophétisait – le déclin social ? Inutile de dire qu’on ne saurait en la matière se satisfaire de définitions, tant Lacan soi-même les a multiplié au gré des problèmes et des approches qui se sont succédé dans son élaboration du thème. On ne peut que dresser le constat de l’écart énorme qu’il y a entre le Nom-du-Père comme « le signifiant qui, au lieu de l’Autre comme lieu du signifiant est le signifiant de l’Autre comme lieu de la loi », et le même concept défini comme le dire qui nomme et noue le Réel, le Symbolique et l’Imaginaire. J’ajouterais enfin, sur ce point, ce que Lacan a également affirmé et qui est, à mon sens, insuffisamment repris et médité : « Il est certain, dit-il à la fin du séminaire du 11février 1975, que quand j’ai commencé à faire le Séminaire Les Noms-du-Père, et que j’ai, comme certains le savent, au moins ceux qui étaient là, que j’y ai mis un terme, j’avais sûrement – c’est pas pour rien que j’ai appelé ça Les Noms-du-Père et pas Le Nom-du-Père ! J’avais un certain nombre d’idées de la suppléance que prend le domaine, le discours analytique, du fait de cette avancée par Freud des Noms-du-Père, ce n’est pas parce que uploads/Management/ skofare-le-genie-du-sinthome.pdf
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- Publié le Nov 27, 2021
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