Faire résonner la voix de Freud Clotilde Leguil « Triméthylamine. Je vois en rê
Faire résonner la voix de Freud Clotilde Leguil « Triméthylamine. Je vois en rêve la formule chimique de cette substance, ce qui en tous cas témoigne d’un gros effort de ma mémoire, et la formule, en outre, est imprimée en gras, comme si l’on voulait faire ressortir du contexte une chose qui serait particulièrement importante ». Freud1 Pourquoi et comment retraduire Freud au XXIe siècle ? Pour qui, et dans quel but ? Les Éditions du Seuil par le choix qu’elles proposent de trois nouvelles traductions d’œuvres majeures de Freud s’engagent dans une politique de diffusion de la pensée de l’inventeur de la psychanalyse en proposant d’en redécouvrir les enjeux. L’interprétation du rêve, Totem et tabou, Le malaise dans la civilisation, font l’objet de traductions à la fois littéraires et claires, respectivement de Jean-Pierre Lefebvre, traducteur de Hegel, de Dominique Tassel, traducteur de Andréas Mayer, et de Bernard Lortholary, traducteur de Kafka. Tous trois, germanistes éminents, amoureux de la langue allemande et de ses poètes, nous offrent un Freud vivant, qui écrit avec autant de simplicité que l’on parle, se questionnant en même temps qu’il raisonne, lecteur de Goethe et de Heine, mais aussi héritier des Lumières et précurseur de la pensée anthropologique du XXe siècle. Ainsi, la première bonne surprise, c’est de pouvoir lire Freud en français en se sentant proche de la langue qu’il parle, tout comme Freud en son temps s’exprimait dans une langue à la fois limpide et personnelle. C’est l’énonciation de Freud qui est retrouvée dans ces traductions, comme si cette équipe de germanistes, travaillant de concert depuis de nombreuses années, avaient su relire Freud en restituant quelque chose de sa présence. Ce choix va donc à l’encontre de toute technicisation de la langue freudienne et redonne au texte freudien cette dimension d’hospitalité qui fait partie du style de l’inventeur de la psychanalyse. Ainsi pour qu’il ne nous arrive pas avec la langue de Freud ce que lui-même redoutait qu’il ne nous arrive avec la vie psychique de l’enfant, à savoir que nous en sous-estimions « la richesse et la subtilité2 », il est nécessaire de faire résonner de nouveau cette langue au XXIe siècle de façon à retrouver l’atmosphère effervescente qu’accompagnaient les premières formulations de la théorie psychanalytique. « Je devine pourquoi la formule triméthylamine a pris toute cette importance dans le rêve : il y a tellement de choses importantes rassemblées dans ce seul mot. Triméthylamine n’est pas seulement une allusion au facteur sexuel et à sa toute-puissance, le mot concerne aussi une personne dont je suis content d’évoquer l’approbation qu’elle me témoigne chaque fois que je me sens abandonné, moi et toutes mes vues.3 » Freud est là, on entend sa voix lorsqu’il *Clotilde Leguil a rédigé la préface des nouvelles traductions, Le Malaise dans la civilisation et Totem et tabou. Elle est l’auteur de Les Amoureuses. Voyage au bout de la féminité, Seuil. Lire son interview sur le site Œdipe.org, suite à la sélection de son livre pour le prix Œdipe 2010. On pourra voter en ligne, la première semaine de mars. http://www.oedipe.org/fr/prixoedipe/2010/sommaire 1 Freud S., L’interprétation du rêve, Paris, Le Seuil, 2010, p. 154. 2 Freud S., Totem et tabou, Paris, Points, Le Seuil, 2010, p. 196. 3 Freud S., L’interprétation du rêve, Paris, Le Seuil, 2010, p. 155. s’interroge en ces termes sur le rêve de l’injection faite à Irma. Tant de choses importantes sont en effet rassemblées dans ce seul mot, qui surgit là à la façon d’un Euréka. Triméthylamine, voilà la formule magique… Mais voilà aussi Freud et sa solitude, Freud et son sentiment d’être parfois abandonné dans ses efforts pour accéder à ce nouveau continent, Freud et son désir de transmettre ses vues à quelques uns qui pourraient les partager. On saisit à lire cette nouvelle Interprétation du rêve ce que Freud découvrait en même temps qu’il cherchait à dire ce qui se produisait en lui, l’effet en quelque sorte performatif de son écriture. Le statut de L’interprétation du rêve dans l’œuvre de Freud est en effet singulier, car c’est via ce travail d’écriture que Freud s’auto-analyse, afin de transmettre cette chose étrange qu’est l’inconscient qu’il perçoit au cœur de ses propres pensées. Le choix de Jean-Pierre Lefebvre, de traduire le titre de l’ouvrage en faisant valoir le singulier « du rêve », plutôt que le pluriel « des rêves », met en exergue la dimension symbolique de la méthode interprétative, dévoilant la fonction même du rêve, dont cet ouvrage exhibe les ressorts cachés. Et ce singulier résonne aussi bien avec un rêve, un seul, le rêve qui lui a en quelque sorte ouvert les portes de ce domaine inaccessible : le rêve de l’injection faite à Irma. Lacan, après Freud, analysera ce rêve dans le Séminaire II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, en affirmant que : « Ce qui fait la véritable valeur inconsciente de ce rêve, quels que soient ses échos primordiaux et infantiles, c’est la recherche du mot, l’affrontement direct à la réalité secrète du rêve, la recherche de la signification comme telle.4 » Ces trois œuvres nous permettent alors d’entrer dans Freud en redécouvrant trois temps logiques de son élaboration. Le premier temps, 1900, est celui de l’âge d’or des commencements. Freud a mis la main sur l’inconscient, phénomène étrange qui écrit des lettres dont on se souvient au réveil alors que nous croyions avoir cessé de penser tant que nous avions les yeux fermés au cœur d’une nuit silencieuse et paisible. Le second temps, 1912, c’est celui de l’exploration et de l’extension de la psychanalyse à d’autres champs d’études, révolutionnant à la fois l’approche du psychisme mais aussi de la civilisation. Le troisième temps, 1930, est celui d’un Freud s’interrogeant sur la pulsion de mort, menaçant à la fois le processus analytique et la civilisation. « Je ne songe nullement, pour toutes sortes de raisons, à fournir une évaluation de la civilisation humaine. Je me suis efforcé de me tenir à égale distance de l’enthousiaste préjugé qui voudrait que notre civilisation soit le bien le plus précieux que nous possédons ou pouvons acquérir, et que sa voie doive nous mener nécessairement à des sommets de perfection insoupçonnée. 5» Ce désir freudien de ne pas se leurrer sur ce qui est à la fois inscrit dans la civilisation comme son envers et qui pourtant ne cesse de s’équiper en charge libidinale jusqu’à menacer les fondements même de la communauté humaine, parvient jusqu’à nous et prend un sens renouvelé au XXIe siècle: cette nouvelle traduction du Malaise dans la civilisation répond au bon moment aux idéologies du progrès qui, au nom du bien-être pour tous, nous invitent à renoncer à notre inquiétante singularité à laquelle bien souvent, seul notre malaise nous donne un accès, précaire mais réel.6 4 Lacan J., Le Séminaire, livre II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Paris, Le Seuil, 1978, p. 191. 5 Freud S., Le Malaise dans la civilisation, Points, Le Seuil, 2010, p. 172. Freud et l’Institut de Berlin Laura Sokolowsky Introduction : Freud et la thérapeutique Alors qu’il tentait de s’opposer aux Américains qui voulaient réserver la pratique analytique aux seuls médecins, Freud fit état du « sombre avenir de la psychanalyse si elle ne parvient pas à se créer une place en dehors de la médecine7 ». Son refus du cadrage médical de la psychanalyse. Le refus du cadrage médical de la psychanalyse, selon la juste expression de Jacques-Alain Miller, s’inscrivait dans le droit-fil du texte sur l’analyse profane qu’il avait rédigée deux ans auparavant8. Cette mise en garde vis-à-vis de la déviation et de l’assujettissement de la psychanalyse à la thérapeutique médicale n’était cependant pas contradictoire avec le souci de guérir - l'expression est de Lacan - dont Freud se faisait le devoir9. Son célèbre discours sur les voies nouvelles de la thérapeutique prononcée à Budapest à la fin de la première guerre mondiale avait prévu que la demande de psychanalyse ne cesserait de croître dans les décennies à venir et que l’on ne pourrait plus restreindre la psychanalyse aux seules classes aisées. La création d’institutions psychanalytiques pour traiter les personnes les plus démunies était la perspective alors envisagée. L’extension des applications thérapeutiques fut conceptualisée différemment par Freud à huit ans d’intervalle. La première scansion de cette réflexion accompagna la création de l’Internationale Psychoanalytische Vereingung au congrès de Nuremberg en mars 1910. La deuxième survint peu avant la fin de la première guerre mondiale en septembre 1918. Entre ces deux moments, la guerre fit intrusion dans le débat à travers la question du traumatisme à l'échelle collective. Le résultat de cette inflexion aboutit à la création de la première institution psychanalytique, à Berlin, au début des années vingt. S'adapter aux conditions nouvelles L'extension de 1910 Freud livra sa première conception de l’extension des applications thérapeutiques de la psychanalyse au moment de l'internationalisation du mouvement en 1910. Il fallait envisager une diffusion à large échelle de la psychanalyse uploads/Management/ la-voix-de-freud-php.pdf
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- Publié le Jul 08, 2022
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