© 2014 Communication, lettres et sciences du langage Le journalisme de communic
© 2014 Communication, lettres et sciences du langage Le journalisme de communication dans la presse écrite québécoise : étude comparée du Devoir et de La Presse Sarah Saïdi Université de Sherbrooke Résumé Cet article a pour objectif d’observer les caractéristiques du paradigme du journalisme de communication dans la presse écrite québécoise en comparant 22 articles tirés des rubriques « faits divers », « politique », « international » et « environnement » des quotidiens Le Devoir et La Presse. Les bouleversements causés par les nouvelles technologies ont profondément transformé la manière de traiter l’information journalistique, si bien que les chercheurs Jean Charron et Jean de Bonville parlent d’un changement de paradigme – du journalisme d’information vers le journalisme de communication. En nous basant sur cette théorie, nous avons retenu une série de caractéristiques propres au journalisme de communication à repérer au sein de notre corpus. Notre étude démontre que les caractéristiques du journalisme de communication occupent une place prépondérante dans la presse écrite, sans pour autant évacuer complètement les caractéristiques du journalisme d’information. Mots-clés : rédaction journalistique, journalisme, presse écrite québécoise, mutations du journalisme, médias. 1. Introduction « Crise », « déclin », « mort », voilà autant de mots utilisés pour décrire la situation de la presse écrite à travers la planète au cours des dernières décennies. Cette tendance n’épargne pas la presse écrite québécoise, qui « connaît depuis 30 ans un lent et inexorable déclin, lequel semble d’ailleurs s’accélérer depuis les années 2000 » (Watine, 2006, p. 2). Pour éviter la faillite, les médias traditionnels ont dû s’adapter aux changements liés à la démocratisation d’Internet, car « s’ils voulaient survivre, ils devaient mettre à profit ces nouvelles formes de communication, investir ces nouveaux territoires » (Sormany, 2011, p. 9). Aujourd’hui, tous les quotidiens québécois ont leur pendant informatisé et les journalistes endossent aussi le rôle de blogueurs. En avril 2013, La Presse a même lancé La Presse+, une plateforme d’information exclusivement conçue pour la tablette iPad. 5 Vol. 8, no 1 – Septembre 2014 Cette évolution dans la manière d’écrire des journalistes est au cœur de cet article, dans lequel nous exposons les résultats d’une étude comparée entre Le Devoir et La Presse. Nous présentons d’abord un aperçu général des mutations observées dans la presse écrite en Amérique du Nord et en Europe. Nous abordons ensuite la question de changement de paradigme journalistique mise de l’avant par les chercheurs Jean Charron et Jean de Bonville (2004). Puis, nous expliquons de quelle manière nous avons monté notre corpus et analysé les articles choisis. Enfin, à la lumière des résultats obtenus, nous proposons quelques pistes de réflexion sur les changements en matière de rédaction journalistique au Québec. 2. De l’information à la communication On attribue souvent le mauvais état de la presse écrite – et de tous les autres médias traditionnels – aux importantes innovations en matière de technologies de l’information. Celles-ci modifient la donne économique dans les entreprises médiatiques d’Amérique du Nord et d’Europe et bouleversent la manière de transmettre les nouvelles. C’est notamment la progression fulgurante d’Internet, que le journaliste d’origine espagnole Ignacio Ramonet (2011, p. 11) compare à la météorite qui a fait disparaître les dinosaures, qui « provoque un changement radical de tout "l’écosystème médiatique" ». « La révolution numérique […] ébranle tous les groupes médiatiques. […] Ceux-ci connaissent le pire moment de leur histoire [c]ar l’heure est à la dématérialisation des supports » (Ramonet, 2011, p. 23). Les jeunes lecteurs délaissent les journaux sur papier au profit de l’information en ligne. « Leur univers culturel et leurs nouvelles habitudes de consommation obligent [les journaux] à repenser le médium » (Watine, 2006, p. 2). 2.1 Le retour de la subjectivité En raison de cette transformation fondamentale – et obligée – dans la manière de livrer les nouvelles au public, on passe d’un journalisme centré sur les faits à un journalisme centré sur la relation avec le public (Charron et de Bonville, 1997). Dans le but de renforcer leurs liens avec l’auditoire, les médias ont désormais tendance à mêler certains genres de discours médiatiques généralement contraires : « reportage et commentaire, […] information et divertissement, […] réalité et fiction ». Ce « nouveau » journalisme privilégiera aussi un travail journalistique empreint de créativité. D’après Yves Lavoinne (1990, p. 161), le journalisme a connu une véritable mutation au cours des trois dernières décennies : « […] à côté du modèle séculaire du reporter, s’est développé celui du communicateur, figure éminente de la postmodernité ». Auparavant, les faits constituaient le cœur de l’information journalistique. « Dans la rhétorique de la Communication, en revanche, prime la relation entre le journaliste et l’auditeur. […] La nouvelle, son intérêt cessent de s’imposer d’eux-mêmes; désormais, il faut signifier au destinataire qu’il est concerné » (Lavoinne, 1990, p. 164). Pour Ramonet (2011, p. 36), il y a une « confusion permanente entre communication et information […] Entre ces deux sphères, les digues commencent à sauter. Il est de moins en moins facile de distinguer un communicant d’un journaliste ». Il constate aussi la propension des 6 © 2014 Communication, lettres et sciences du langage entreprises médiatiques à rassembler les activités liées à la culture de masse, à la communication et à l’information (Ramonet, 2011, p. 49). Tout comme Ignacio Ramonet et Yves Lavoinne, François Demers observe un flou entre information et communication. La recherche sur le terrain montre […] que les pratiques signalant aux consommateurs les différences entre les trois catégories de contenus (publicité, information, divertissement), sont souvent abandonnées ou manipulées. […] Le contexte de la fin du siècle a poussé plutôt à expérimenter en jouant de ces conventions, à tester des « identités plurielles » et à « hybrider les genres ». Les contenus qui marient publicité et information, sans l’afficher vraiment, augmentent. D’autre part, le traitement de l’information emprunte les formes du divertissement. (Demers, 2006, p. 41-42) En d’autres termes, la sphère de la communication – qui privilégie la relation avec le destinataire – envahit graduellement celle de l’information – qui met l’accent sur les faits –, au point où l’une et l’autre se distinguent de moins en moins facilement au sein des médias écrits (Ramonet, 2011, p. 36). Pour cette raison, nombre de chercheurs relèvent une prédominance de la subjectivité dans les médias, car elle « permet la nécessaire distinction sur un marché sursaturé; c’est un puissant outil pour attirer et fidéliser un public extrêmement sollicité » (Charron et de Bonville, 1997, p. 78). Pour Thierry Watine (2006), il ne fait aucun doute que le traitement des nouvelles au Québec regorge aujourd’hui de marqueurs de subjectivité : opinions, jugements, états d’âme, etc. « [L]e reporter ne se contente plus du témoignage des autres; il s’infiltre lui-même dans le monde qu’il observe, il devient acteur, il se met en scène! Le point de vue rapporté est alors, nécessairement, subjectif » (Sormany, 2011, p. 516). L’espace grandissant accordé aux marques d’énonciation dans un type d’écriture traditionnellement défini par la quête de l’objectivité « témoigne bien de ce virage professionnel qui en dit long sur les ajustements – sinon les remises en question – auxquels le journalisme doit consentir » (Watine, 2006, p. 3). Dans l’ensemble, les chercheurs d’Amérique et d’Europe tirent une conclusion similaire : des traits caractéristiques de la communication interpersonnelle s’immiscent dans l’information journalistique au point où il devient difficile de bien discerner la frontière entre information et communication. 3. Un changement de paradigme Jean Charron et Jean de Bonville, fondateurs du Groupe de recherche sur les mutations du journalisme de l’Université Laval, proposent une réflexion théorique élaborée et approfondie des mutations du journalisme qui repose sur l’idée d’un changement de paradigme. Nous l’utilisons comme assise théorique principale pour interpréter nos données. Dans l’histoire de la presse écrite au Québec, Charron et de Bonville identifient quatre paradigmes : journalisme de transmission, journalisme d’opinion, journalisme d’information et journalisme de communication. 7 Vol. 8, no 1 – Septembre 2014 Dans cet article, nous nous penchons plus particulièrement sur les caractéristiques du paradigme du journalisme de communication en opposition à celles du journalisme d’information. Nous enrichissons la théorie de Charron et de Bonville avec les observations plus récentes de leur collègue de l’Université Laval, Thierry Watine. Nous incluons également dans nos outils méthodologiques des notions tirées des recherches de la linguiste française Catherine Kerbrat- Orecchioni, car nous travaillons avec un concept intimement lié au domaine de la linguistique : la subjectivité. 3.1 Le journalisme d’information Le journalisme d’information repose sur le principe d’objectivité, autrement dit, tout élément qui pourrait révéler la subjectivité du journaliste est à proscrire. Pour tenter d’atteindre cet idéal, le journaliste doit se centrer sur l’objet du message, soit les événements, les déclarations ou les états de fait qu’il choisit de rapporter (Charron et de Bonville, 1997, p. 71 et 66). Le vocabulaire utilisé par les journalistes suit aussi la règle d’objectivité. « [L]e journalisme d’information traditionnel se caractérise par une écriture réglée, standardisée – le prêt-à-écrire –, un vocabulaire limité, des énoncés univoques et dénotatifs, un projet de communication clair uploads/Management/ saidi-s-2014-le-journalisme-de-communication-dans-la-presse-ecrite-quebecoise-etude-comparee-du-devoir-et-de-la-presse.pdf
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- Publié le Jan 22, 2022
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