Une éthique du discours médiatique est-elle possible ? revue Communication Vol.

Une éthique du discours médiatique est-elle possible ? revue Communication Vol.27, N°2, Éditions Nota Bene, Québec, 2009 Version imprimable Pour pouvoir répondre à une telle question, il convient d’examiner quelles sont les conditions de réalisation de ce discours, quelle place il occupe dans les pratiques sociales, quelles sont ses contraintes, quelles ses possibles stratégies de mise en scène. Sera donc envisagé ici, et successivement, les domaines d’activité qui structure la société, le dispositif et les contraintes propres au discours médiatique d’information, enfin, les dérives auxquelles il se livre engageant ainsi sa responsabilité. C’est alors que pourra être posée la question de l’éthique au regard de ce que sont les caractéristiques de ce type de discours. Société et domaines d’activité : Une société est comme une fourmilière (ou une ruche) organisée en divers secteurs d’activité qui se définissent selon leur but, la répartition des statuts et desrôles des acteurs qui s’y trouvent et les rapports d’influence qui s’instaurent entre eux. Voici donc une vue d’ensemble de quelques unes des sphères qui structurent la vie sociale : la sphère politique, la sphère économique, la sphère médiatique, la sphère judiciaire, la sphère éducative, la sphère scientifique, la sphère religieuse. Ces sphères interagissent plus ou moins les unes sur des autres, selon les types de société (aux Etats-Unis les rapports économie/politique sont différents de ceux d’autres pays européens), les époques (le poids de l’économie et des médias n’a pas été toujours le même), les cultures [1] (du Nord, du Sud, protestantes, catholiques, juives et islamistes). Chacune de ces sphères d’activité fonctionne selon une double logique : une logique symbolique qui définit le but idéal vers lequel doit tendre toute l’activité ; une logique pragmatique qui détermine un ensemble de comportements et de règles plus ou moins institutionnalisés pour atteindre ce but. Par exemple, la sphère économique fonctionne selon une double logique : celle idéale du profit sur le marché d’échange des biens de consommation, celle pragmatique de la gestion du travail cherchant la meilleurs rentabilité. Cette double logique n’est pas la même que celles qui définissent les sphères politique, juridique ou éducative. Quant à la sphère médiatique, elle fonctionne selon une logique symbolique qui est de s’inscrire dans une finalité démocratique en se mettant —idéalement— au service de l’opinion publique et de la citoyenneté en l’informant sur les événements qui se produisent dans l’espace public et en contribuant au débat social et politique par la mise en scène de la confrontation des idées ; elle fonctionne également selon une logique pragmatique de captation du public car pour pouvoir survivre, tout organe d’information doit tenir compte de la concurrence sur le marché de l’information ce qui l’amène à tenter de s’adresser au plus grand nombre en mettant en oeuvre des stratégies de séduction qui entrent en contradiction avec le souci de bien informer. On voit déjà là la contradiction dans laquelle se trouve le discours médiatique. 1. Le dispositif communicationnel et les contraintes discursives dans l’espace public Dans toute sphère sociale, cette double logique est mise en scène à travers un certain dispositif qui détermine un certain « contrat de communication » et certaines contraintes discursives. Mais avant de décrire les spécificités de chaque dispositif et contrat de communication, il convient de constater que du seul fait de se trouver dans un espace public, les différents dispositifs ont des caractéristiques communes : ) une instance de production qui représente toujours une entité collective, même quand elle se trouve configurée par une personne en particulier : une entité politique derrière tel homme ou telle femme politique ; une entité commerciale derrière telle affiche publicitaire ; une entité éducative derrière tel professeur, etc. Cette instance de production est légitimée par une norme sociale qui dit son droit, ici à vanter un produit (pour faire acheter), là à vanter un projet politique (pour faire voter), là encore à transmettre du savoir (pour instruire). Elle agit de façon volontaire, ce qui l’oblige à faire preuve de crédibilité. ) une instance de réception qui représente, sous des configurations diverses, un public, non homogène, composite et non captif à priori. C’est pourquoi l’instance de production doit construire ce public en destinataire-cible, plus ou moins segmenté, qui est présenté comme bénéficiaire d’un bien futur s’il se laisse persuader ou séduire. D’une façon ou d’une autre, l’instance cible est placée en position de devoir croire qu’elle peut être l’agent d’une quête qui lui sera bénéfique. De ces caractéristiques communes, il s’ensuit un certain nombre de contraintes discursives elles aussi communes aux dispositifs qui se trouvent sur la scène publique, dont la principale est la contrainte de simplicité. Car s’adresser à un public, c’est s’adresser à un ensemble d’individus hétérogènes et disparates du point de vue de leur niveau d’instruction, de leur possibilité de s’informer, de leur capacité à raisonner et de leur expérience de la vie collective. L’instance de production doit donc chercher quel peut être le plus grand dénominateur commun des idées du groupe auquel il s’adresse, tout en s’interrogeant sur la façon de les présenter : il lui faut simplifier. Simplifier la langue en usant d’une syntaxe et d’un vocabulaire simples ; simplifier le raisonnement ce qui conduit l’orateur à abandonner la rigueur de la raison au profit de sa force de persuasion ; simplifier les idées en mettant en exergue des valeurs qui puissent être partagées et surtout comprises par le plus grand nombre. Évidemment, simplifier n’est pas toujours aisé et surtout comporte un risque, celui de réduire la complexité d’une pensée à sa plus simple expression, et donc à son dévoiement. Le dispositif et le contrat médiatique Le contrat médiatique a été décrit dans mon ouvrage sur le discours d’information [2] et donc je me contenterai d’en rappeler les données essentielles. L’information médiatique est déterminée par un dispositif dont les caractéristiques sont les suivantes : ) une instance de production composite comprenant divers acteurs (journalistes, rédacteurs en chef, direction de l’organe d’information, etc.) ayant chacun des rôles bien déterminés, ce qui rend difficile l’attribution de la responsabilité des propos tenus. Cette instance se définit globalement à travers cinq types de rôles qui englobent tous les autres : de chercheur d’informations, ce qui la conduit à s’organiser pour aller aux sources de ces informations (réseau avec les Agences de presse, correspondants de terrain, envoyés spéciaux, relais d’indicateurs) ; de pourvoyeur d’informations, ce qui l’amène à sélectionner l’ensembles des informations recueillies en fonction d’un certain nombre de critères ; de transmetteur d’informations, ce qui la conduit à mettre en scène les informations sélectionnées en fonction d’un certain nombre de visées d’effet, et en jouant sur des manières de décrire et de raconter ; de commentateur de ces informations, ce qui l’amène à produire un discours explicatif tentant d’établir des relations de cause à effet entre les événements (ou les déclarations) rapportés ; enfin, de provocateur de débats destinés à confronter les points de vue de différents acteurs sociaux ; ) une instance de réception, elle aussi composite, mais sans détermination de rôles spécifiques, ce qui la rend on ne peut plus floue. Elle est difficile à saisir, ce qui n’empêche pas l’instance médiatique de tenter de la cerner à grands coups de sondages et enquêtes. Dès lors, l’instance-cible devient une construction imaginée à partir des résultats de ces sondages, mais surtout à partir d’hypothèses sur ce que sont les capacités de compréhension du public visé (cible intellective), ses intérêts et ses désirs (cible affective) [3]. Quant à la finalité de ce contrat, elle correspond à la double logique que l’on a définie plus haut : finalité symbolique de transmission d’informations au nom de valeurs démocratiques : finalité pragmatique de conquête du plus grand nombre de lecteurs, d’auditeurs, de téléspectateurs, puisque l’organe d’information est soumis à la concurrence et ne peut vivre qu’à la condition de vendre ou d’engranger des recettes publicitaires. La finalité éthique oblige l’instance de production à traiter l’information, à rapporter et commenter les événements de la façon la plus crédible possible : elle se trouve surdéterminée par un enjeu de crédibilité. La finalité commerciale oblige l’instance médiatique à traiter l’information de façon à capter le plus grand nombre de récepteurs possible : elle se trouve surdéterminée par un enjeu de captation [4]. Il convient cependant de ne pas confondre le dispositif socio- communicationnel avec l’acte de mise en scène du discours. Le dispositif fait partie des conditions contractuelles de production de l’acte langagier, avec les instructions qu’il donne au sujet, mais il n’en constitue pas la totalité. C’est pourquoi il convient de distinguer acte de communication (englobant) et acte d’énonciation (spécifiant), et donc situation de communication et situation d’énonciation [5]. Cette distinction n’empêche pas qu’il y ait un rapport de réciprocité non symétrique entre les deux. Si la situation de communication surdétermine en partie le sujet en lui imposant des instructions discursives, celui-ci dispose d’une certaine marge de liberté pour procéder à une mise en scène énonciative qui respecte ces instructions, mise en scène qui d’ailleurs peut avoir, à terme, une influence sur le contrat lui-même [6]. Ainsi uploads/Management/ une-ethique-du-discours-mediatique-est.pdf

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  • Publié le Nov 01, 2021
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