- 1- MARKET MANAGEMENT Vol.3 – N°3 – Octobre 2006 Le cycle du renseignement : a

- 1- MARKET MANAGEMENT Vol.3 – N°3 – Octobre 2006 Le cycle du renseignement : analyse critique d’un modèle empirique Franck Bulinge Maître de conférences SIC, Laboratoire I3M, Université du Sud Toulon-Var, CERAM Sophia Antipolis bulinge@univ-tln.fr Résumé Le renseignement militaire a développé un modèle empirique de transformation de l’information en connaissance, appelé cycle du renseignement. L’avènement d’un marché de l’information au début des années 90, conjugué à une crise de la communauté du renseignement, a créé les conditions d’un transfert de ce modèle vers les entreprises, lequel est aujourd’hui considéré comme le cœur du processus de veille. Enseigné dans les écoles, le cycle du renseignement est censé donner aux étudiants un outil universel, à la fois méthodologique, fonctionnel et organisationnel. Son appropriation par les entreprises permettrait la mise en œuvre d’une démarche d’intelligence économique et conduirait idéalement à une logique de flux partagés d’information et de connaissance en vue d’acquérir un avantage stratégique ou concurrentiel. En étudiant de plus près l’origine de ce cycle, on s’aperçoit toutefois que son transfert vers l’IE relève d’une lecture partielle qui pourrait expliquer la difficulté qu’éprouvent les organisations à le mettre en œuvre, en particulier lorsque leur taille est importante et leur structure complexe. Cet article a pour objectif de porter un regard critique sur ce modèle d’exploitation d’information, à partir d’une expérience de terrain, et de poser les bases d’une réflexion sur les processus de construction de connaissance opérationnelle. En ce sens, loin de se limiter au renseignement et à l’intelligence économique, il pourra également intéresser les praticiens de la veille et de l’intelligence marketing. Mots clés : Cycle du renseignement – Management de l’information et de la connaissance– Intelligence économique – Exploitation de l’information - 2- Abstract Military intelligence has developed an empiric model to make information into knowledge versus intelligence, called intelligence cycle (IC). At the beginning of the 90s, even though the Intelligence Community experienced a crisis due to the end of the Cold war, business intelligence emerged as a promising market for many young retired intelligence officers. Business intelligence (BI) would become a new field of expertise as far as it was possible to transfer their knowledge (intelligence tradecraft) into the world of trade competitiveness. IC has become a paradigm for BI students who now learn it as well as a methodological, functional and organizational tool. The appropriation of this “Swiss knife” concept is supposed to give them the keys of BI, as the heart of information generation and flow sharing engine. However, if we consider the origin of IC, we can say that its transfer has been based on a partial interpretation of the military model. This could explain, from our point of view, the difficulty encountered by the firms to make it effective in a BI process. Moreover, we suppose that a wrong adaptation or a misunderstanding of the model could have bad consequences on the information and knowledge management. The purpose of this article is to develop a critical approach of IC applied to intelligence tradecraft and BI. We propose to study the intelligence process through IC model in order to define the limits in which it can be effective and useful, among others for marketing intelligence. Keywords: Intelligence cycle – Information and knowledge management – Business Intelligence – Intelligence analysis Introduction Le renseignement et l’intelligence économique utilisent un modèle d’exploitation fonctionnel appelé cycle du renseignement ou de l’information. Ce modèle empirique, issu du renseignement militaire, décrit à la fois le processus d’acquisition et d’exploitation de l’information ainsi que l’organisation qui le met en œuvre. Les nombreuses références au cycle du renseignement tant dans la littérature française qu’anglo-saxonne1, révèlent l’existence d’une véritable communauté de pratiques. Autrefois enseigné dans le secret des écoles de renseignement, le cycle du renseignement était au cœur d’un rite initiatique au terme duquel les acteurs devenaient membres de la communauté du renseignement2. Ainsi sacralisé et institutionnalisé, le cycle du renseignement s’est imposé comme un modèle 1 Voir notamment : Krizan L., « Intelligence essential for everyone », Occasional Paper N°6, Joint Military Intelligence College, Washington, DC, June 1999; Hassid L., Jacques-Gustave P., Moinet N., « Les Pme face au défi de l’intelligence économique, le renseignement sans complexe », Dunod, 1997 ; Baud J., Encyclopédie du renseignement et des services secrets, Lavauzelle, 1998. 2 F. Bulinge, « Renseignement français, les origines d’une culture négative », Revue de Défense nationale, n°12, décembre 2004 - 3- universel chez les occidentaux, alors que chez les orientaux, la littérature n’évoque aucun modèle de ce type. Ce constat est probablement lié à une différence culturelle du rapport individuel et collectif vis-à-vis de l’information. Le principe essentiel du cycle repose sur le postulat que toute information collectée doit être exploitée avant d’être diffusée aux décideurs sous forme de connaissance opérationnelle, ou élément d’aide à la décision. Cette notion d’exploitation est au cœur du processus de transformation de l’information en connaissance, elle introduit le principe économique de valeur ajoutée et de coût de l’information. Cette dernière est envisagée comme un bien immatériel, une ressource qui détermine l’état des connaissances mises à la disposition d’un individu ou d’une institution. De ces connaissances émergerait l’avantage stratégique ou concurrentiel qui permettrait au général ou au chef d’entreprise de dominer ses adversaires. Nous verrons dans cet article, que ce modèle est idéalement décrit, alors qu’il est en réalité confronté à la complexité des organisations, caractérisée par une multitude de facteurs : taille, structure, culture, environnement, temps, hiérarchie, facteur humain. A partir d’une description du cycle, nous montrerons ses limites opérationnelles, puis nous tracerons l’esquisse d’un management de l’intelligence collective centré sur la notion de projet. 1 - Le cycle du renseignement : description et analyse critique Généralement présenté comme le moteur du renseignement et de la veille, le cycle du renseignement comprend diverses phases plus ou moins détaillées par les divers auteurs : - l’identification et l’expression des besoins en information, phase au cours de laquelle les acteurs définissent un plan et une stratégie de recherche adaptés à l’organisation et aux ressources disponibles, dans le cadre d’un projet nécessitant des connaissances; - l’acquisition des informations à partir des sources exploitables, formelles ou informelles; - le traitement de ces informations, c'est-à-dire leur mise en forme, computation (croisement ou comparaison automatique), thématisation, historisation, stockage… - l’exploitation qui comprend l’analyse et la synthèse des informations. C’est la phase ou l’information est transformée en renseignement ou information élaborée, selon le vocabulaire couramment employé; - la diffusion du renseignement vers les décideurs. - 4- A chaque étape du processus, des boucles de rétroaction permettent théoriquement d’introduire une dynamique interrelationnelle dont la finalité est d’ajuster l’information à l’attente des décideurs (satisfaction). La figure n°1 constitue à notre avis, la version la plus aboutie du cycle appliqué au renseignement militaire. 1.1 L’expression des besoins La recherche d’information suppose une identification préalable des besoins en information de la part du décideur. Il s’agit en théorie de mesurer l’écart entre les connaissances acquises et celles nécessaires à la résolution d’une problématique décisionnelle. Trois situations peuvent se présenter : - La première repose sur la notion de stratégie construite. Elle induit une planification des besoins en information, illustrée par le plan de renseignement gouvernemental. La planification repose sur une rationalisation souvent excessive à l’origine d’un biais cognitif connu sous le terme d’illusion de contrôle. L’évolution économique et géostratégique montre la nécessité de passer d’un système de gestion planifiée à un système de management complexe. L’entité ou l’échelon décisionnel s’inscrit aujourd’hui dans un univers en constante évolution et parfois turbulent, qui engendre une incertitude et des questionnements permanents. Face à cette situation, et compte tenu de l’accélération des flux d’information, le plan de renseignement gouvernemental est-il encore un outil adapté ? Figure 1 : Le cycle du renseignement, d’après Maurice Faivre3 3 Faivre M., « Le renseignement militaire dans la guerre du Golfe », La guerre du Golfe , Stratégique n°51/52, 3è et 4è trimestre 1991, Paris, FEDN - 5- CELLULE RENSEIGNEMENT DECIDEUR DIRECTION BESOINS EXPRESSION PLAN DE RENSEIGNEMENT ANIMATION Relance de la recherche ORIENTATIONS MOYENS DE RECHERCHE RECHERCHE Traitement Evaluation - Plan de recherche - Ordres de recherche - Demandes de renseignement Sources DIFFUSION EXPLOITATION Interprétation Synthèse Analyse SATISFACTION Besoins extérieurs - 6- - la seconde concerne la résolution immédiate d’un problème et repose théoriquement sur les représentations du décideur en situation. Dans la réalité, on s’aperçoit que le décideur a) n’est pas seul, b) ne peut envisager et traiter qu’un ensemble limité d’informations (voir les travaux d’Herbert Simon, dès 1945), c) que sa décision ne dépend pas exclusivement des informations dont il dispose (contingences organisationnelles, financières). Il s’ensuit que l’expression des besoins en information est généralement limitée au strict nécessaire, autrement dit à l’information critique. Ce besoin est immédiat et quasi compulsif puisqu’il traduit une incertitude à laquelle le décideur fait effectivement face. Il peut également être le résultat d’une heuristique de confirmation : rechercher des armes de destruction massives afin de justifier une attaque. En focalisant ainsi la recherche, le décideur s’interdit volontairement des options diversifiées, au risque d’aggraver sa situation en uploads/Management/2006-marketing-communication-bulinge-pdf.pdf

  • 34
  • 0
  • 0
Afficher les détails des licences
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise
Partager
  • Détails
  • Publié le Dec 29, 2022
  • Catégorie Management
  • Langue French
  • Taille du fichier 0.1378MB