1 Le texte ci-dessous a paru, et peut être cité avec les références suivantes :

1 Le texte ci-dessous a paru, et peut être cité avec les références suivantes : Simone BONNAFOUS et Alice KRIEG-PLANQUE (2013), “L’analyse du discours”, dans Stéphane OLIVESI dir., Sciences de l’information et de la communication. Objets, savoirs, discipline, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, coll. La communication en plus, 302 p. ; pp. 223-238. L’ANALYSE DU DISCOURS Simone BONNAFOUS Professeure des universités, Université Paris-Est Créteil (UPEC), CEDITEC (EA 3119) Alice KRIEG-PLANQUE Maîtresse de conférences, Université Paris-Est Créteil (UPEC), CEDITEC (EA 3119) L’analyse du discours s’intéresse aux formes et aux modalités d’expression des messages médiatiques, politiques, publics, organisationnels, etc. en rapport avec des cadres sociaux (le contexte historique, le média, le parti politique, le gouvernement, l’entreprise, etc.). Il s’agit d’une démarche fondée sur la linguistique, mais qui insiste sur le lien entre le discours et le social, entre le verbal et l’institutionnel, entre les mots, les figures, les arguments et ceux qui les énoncent et les interprètent. Par la nature de cette articulation entre les sciences du langage et les autres sciences humaines (histoire, science politique, sociologie, etc.), l’analyse du discours se différencie d’autres disciplines du discours, comme les théories de l’argumentation, la grammaire des textes, les études conversationnelles. Ces dernières ont en commun avec elle de travailler sur l’au-delà de la phrase et sur des énoncés attestés, mais leurs intérêts ne sont pas les mêmes. Les spécialistes d’argumentation s’intéressent à la nature des arguments et à leurs enchaînements, les conversationnalistes étudient les règles des échanges verbaux, et les spécialistes de la grammaire des textes travaillent sur les phénomènes de cohérence et de cohésion textuelles. Bien sûr, l’analyse du discours peut mobiliser les ressources de ces disciplines, mais elle s’en distingue par l’intérêt qui la gouverne, à savoir une préoccupation pour l’intrication entre un texte et un lieu social, à travers un dispositif d’énonciation spécifique. L’analyse du discours se distingue en particulier de l’analyse de contenu, qui est une technique de recherche fondée sur la précatégorisation thématique des données textuelles, alors que l’analyse du discours travaille à partir de l’analyse du matériau linguistique. L’analyse de contenu pourra ainsi négliger les différences entre les expressions « travailleurs immigrés », « immigrés » ou « étrangers », puisque les personnes ou les situations auxquelles référent ces expressions peuvent être les mêmes. A l’inverse, c’est justement ce que ces différences de désignation indiquent comme différences d’attitude des locuteurs par rapport à l’objet de leurs discours qui intéresse l’analyse du discours. Cela ne signifie pas que l’analyse thématique ne puisse pas être utilisée parallèlement ou préalablement à l’analyse du discours, mais elle ne peut pas s’y substituer. 2 LES DEUX PERIODES DE L’ANALYSE DU DISCOURS Ici, l’objectif n’est pas d’entrer dans les détails des écoles et des courants, mais de faire saisir aux lecteurs ce qui, au-delà des différences nationales et d’époque, caractérise l’analyse du discours comme approche des textes et des discours. L’école du dévoilement : 1960-1980 En France en tout cas, la première analyse du discours naît dans un contexte original sur le plan politique, philosophique, intellectuel et épistémologique. Sur le plan politique, la période est marquée par la reconfiguration des forces de gauche, l’alliance conflictuelle entre Parti socialiste et Parti communiste, le succès des mouvements gauchistes, le développement de la critique de la société de consommation : en somme, une effervescence politique et contestataire qui se résume alors dans l’affirmation que « tout est politique ». Cette effervescence va de pair avec l’importance de la pensée critique d’origine philosophique et l’influence de penseurs comme Theodor Adorno ou Herbert Marcuse dans les milieux étudiants, mais aussi dans les milieux universitaires de Louis Althusser et de Michel Foucault. Sur le plan épistémologique, le paradigme structuraliste s’étend de la linguistique à l’histoire, la psychanalyse, l’anthropologie, la littérature. C’est dans ce contexte que se développent en France, au carrefour des sciences du langage, de l’histoire et de la philosophie, des théorisations et des pratiques d’analyse du discours qui, malgré de nombreuses différences d'un espace à l'autre de leur genèse, ont pour particularité de considérer le « discours » non pas comme l’expression d’un sujet parlant et de son intention, mais comme l’expression d’un complexe idéologique et politique qui transcende le sujet. Il n’est pas question alors de chercher à savoir comment un sujet autonome s’exprimerait au moyen du langage, mais plutôt de chercher à montrer comment un sujet « est parlé » par une idéologie. La notion de « formation discursive », proposée par le philosophe Michel Foucault, et retravaillée par l’analyste du discours Michel Pêcheux et d’autres figures emblématiques de l’Ecole française d’analyse du discours, contribue à penser cet assujettissement idéologique à travers le langage. L’analyse du discours ne consiste donc pas à étudier comment parlent X ou Y en tant qu’individualités, mais à analyser les manifestations de l’extérieur de la langue, institutionnelles et idéologiques, dans le discours. Pour dire les choses autrement, l’analyse du discours ne se dit pas « politique » car ce serait pléonastique, et elle cherche à articuler discours, langue et idéologie. Aujourd’hui, ce que l’on appelle la critical discourse analysis (Norman Fairclough, Ruth Wodak, Teun A. Van Dijk…) est l’une des héritières de cette tradition critique, notamment à travers l’étude des dimensions discursives des discriminations (racisme, sexisme…). Dans les années 1960-80, compte tenu des objectifs et des théories du discours à l’œuvre, les corpus sont d’ordre politique et institutionnel : le vocabulaire de la guerre d’Algérie, le discours jauressien, le discours des sans-culottes, la parole ouvrière, le congrès de Metz du 3 Parti socialiste, le discours de L’Humanité, le vocabulaire syndical, les tracts de mai 68... On notera que les corpus étudiés sont très souvent puisés dans les appareils de gauche ou dans la parole populaire de gauche, dans un acte de choix qui est en même temps un acte d’édification. Quant aux méthodes, elles sont cohérentes avec le propos : il ne s’agit pas de traquer les singularités de la subjectivité, la surface des discours, ou les tactiques et les mises en scène individuelles, mais de mettre au jour la façon dont le politique et l’idéologique imprègnent la vie des mots et la structure des textes et des énoncés. Les méthodes utilisées sont donc toutes celles qui peuvent briser la linéarité du texte, parce que celle-ci dépend en partie de l’activité organisatrice du sujet, celles qui permettent d’aller à la recherche des répétitions et des schémas invisibles à l’œil nu, des associations de mots qui échappent à la conscience du sujet, ou encore des tours syntaxiques redondants. C’est le sens de la mise au point d’une forme d’ « Analyse automatique du discours » (AAD) qui ne survivra pas à son créateur, Michel Pêcheux, mais aussi de l’analyse distributionnelle, inspirée de Zellig Harris, qui consiste à segmenter le texte et à travailler sur des classes de propositions construites par l’analyste autour de « mots-pivots » sélectionnés pour leur pertinence historique. Quant à la lexicométrie, développée au « Laboratoire de lexicométrie et textes politiques » de l’ENS de Saint-Cloud sous la houlette de Maurice Tournier, qui fondera ensuite en 1980 la revue Mots (Mots, Ordinateurs, Textes, Société), elle transforme le texte en une série de données chiffrées sur les mots, les segments, les catégories grammaticales et permet de découvrir des évolutions, des régularités et des ruptures, qu’une simple lecture cursive ne permet pas de déceler. Elle prolonge ainsi, en lui donnant l’assurance des mesures informatisées et des calculs statistiques, la tradition des études de lexicologie politique dont Jean Dubois avec sa thèse sur Le vocabulaire politique et social en France de 1869 à 1872 (1962) et Maurice Tournier avec ses recherches sur Des tracts en mai 1968 (1975) ou sur Des mots sur la grève (1992) ont été les fondateurs en France. L’analyse du discours aujourd’hui Le paradoxe de l’analyse du discours est que, née et portée par un contexte fortement structuraliste, elle connaît aujourd’hui un regain d’intérêt, qu’on peut attribuer à une évolution de la théorisation du sujet. Les années 1980 et 1990 voient en effet en France un reflux historique et idéologique du marxisme qui s’accompagne sur le plan épistémologique d’un déplacement de paradigme dans l’ensemble des sciences sociales. Il ne s’agit pas d’un retour au sujet plein et souverain, mais de faire de l’impensé un point d’arrivée plutôt qu’un point de départ. Réhabiliter en sociologie les logiques d’acteurs, prendre au sérieux les prétentions et les compétences des gens ordinaires, au lieu de renvoyer leurs propos à l’expression d’une illusion idéologique. Bref, ne pas faire du sujet un individu uniquement soumis aux contraintes sociales extérieures et à ce qui se dit en lui, malgré lui, mais un être qui négocie des marges d’action au sein des structures et des institutions dans lesquels il agit. Cette conception de l’action trouve ses fondements à la fois dans la sociologie compréhensive inspirée de Max Weber, et dans l’ethnométhodologie et l’interactionnisme qui naissent aux Etats-Unis dès les années 1960 et 1970. Ces courants de la sociologie du 20ème siècle, en rupture avec la tradition sociologique française inspirée d’Emile Durkheim et du 4 structuralisme, uploads/Management/lanalyse-du-discours-2013-avec-simone-b-pdf.pdf

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  • Publié le Oct 03, 2021
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