Recherche et Applications en Marketing 2015, Vol. 30(4) 4 –24 © l’Association
Recherche et Applications en Marketing 2015, Vol. 30(4) 4 –24 © l’Association Française du Marketing, 2015 Reprints and permissions: sagepub.co.uk/journalsPermissions.nav DOI: 10.1177/0767370115584882 ram.sagepub.com RAM Introduction En 2013, 80% des enseignes françaises disposaient d’un programme de fidélité1. En offrant des bénéfices exclusifs qui récompensent un comportement passé, ces enseignes distinguent leurs clients fidèles des clients plus occasionnels. Comme le soulignent cependant plusieurs recherches, l’octroi de tels bénéfices ne crée pas forcément les conditions d’une relation satisfaisante (Wendlandt et Schrader, 2007). Un bénéfice est un avantage qui peut varier en sélectivité (il peut être proposé à tous les clients ou à Se considérer comme un client fidèle affecte-t-il l’évaluation des bénéfices reçus ? Gwarlann de Kerviler IESEG School of Management, France Raphaëlle Butori ESSEC Business School, France Résumé Cette recherche propose 1) d’approfondir la notion de fidélité perçue envers une marque en la distinguant de la fidélité mesurée par l’entreprise, et 2) d’étudier la façon dont la fidélité perçue influence l’évaluation des traitements préférentiels accordés par les entreprises. Deux études (qualitative puis quantitative) identifient d’abord les quatre caractéristiques prototypiques du client fidèle qui déterminent la fidélité perçue : continuité de la relation, exclusivité envers la marque, confiance et recherche d’informations. Prenant appui sur la théorie de la justice, une troisième étude (quantitative) teste ensuite l’effet de deux bénéfices d’intensités différentes sur la légitimité perçue et la satisfaction à l’égard du traitement préférentiel. Les résultats indiquent que le fait d’être trop récompensé au regard de sa fidélité perçue suscite un sentiment d’iniquité qui génère une insatisfaction immédiate. Par contre, ne pas être suffisamment récompensé à un instant t ne génère pas nécessairement d’insatisfaction à cet instant donné, les consommateurs ayant l’habitude de recevoir des récompenses étalées dans le temps. Mots-clés auto-catégorisation, équité, fidélité perçue, marketing relationnel, satisfaction Auteur correspondant : Gwarlann de Kerviler, IESEG School of Management, Socle de la Grande Arche, 1 Parvis de La Défense, Paris La Défense cedex, F-92044, France. Email : g.dekerviler@ieseg.fr 584882 RAM0010.1177/0767370115584882Recherche et Applications en MarketingDe Kerviler et Butori research-article2015 Article De Kerviler et Butori 5 un nombre limité d’entre eux) et en valeur perçue (il peut être plus ou moins important). Dès lors, un bénéfice peut générer de la frustration, soit parce qu’il semble difficile à obtenir, soit parce que sa valeur est perçue comme trop faible (Stauss et al., 2005). Par ailleurs, les programmes de fidélité cherchent parfois à orienter les clients vers certaines catégories de produits et à augmenter leurs dépenses par un mécanisme de récompense des achats. Cette incitation peut être considérée comme contraignante pour la liberté individuelle. La présente recherche s’intéresse à une autre source d’insatisfaction à l’égard du traitement préférentiel : le sentiment d’iniquité que peuvent susciter les bénéfices reçus. Le principe d’équité permet d’évaluer la légitimité des bénéfices obtenus, qui sont comparés aux contributions consenties par chaque partie. En cas d’équilibre, le bénéfice paraît légitime et génère de la satisfaction (Goodwin et Ross, 1992). En cas de déséquilibre, il est perçu comme illégitime. Recevoir moins que la valeur perçue de ses contributions génère ainsi un sentiment d’injustice et de frustration. Recevoir davantage peut être interprété négativement comme une pratique manipulatoire : en rendant le consommateur redevable, l’entreprise l’incite à un comportement non voulu initialement, tel qu’acheter davantage (Sherry, 1983) ou bien donner accès à des informations personnelles (Rowley, 2004). Les valeurs des bénéfices et contributions consenties par chaque partie étant perçues, des décalages peuvent exister entre ce que chaque partie souhaiterait recevoir et ce que l’autre veut bien lui donner. Ainsi, si l’évaluation qu’un consommateur fait de son investissement auprès d’une entreprise ne correspond pas à l’évaluation qu’en fait l’entreprise, alors ce qu’il reçoit peut ne pas correspondre à ses attentes, créant ainsi un sentiment d’iniquité. Etant donné la diversité et l’opacité des critères de sélection utilisés par les entreprises pour identifier les clients fidèles, de tels décalages ne sont pas rares. Par exemple, une marque peut tout à fait considérer qu’un client contribue peu à son chiffre d’affaires alors que sa part de portefeuille est en réalité très importante. Dans ce cas, le client se sent très fidèle (il se tourne le plus souvent vers la marque) mais il n’est pas reconnu comme tel par l’entreprise. A contrario, un client peut générer un chiffre d’affaires très important en comparaison d’autres clients sans pour autant se considérer comme particulièrement fidèle. La façon dont le client détermine son degré de fidélité envers une marque et les facteurs qui lui permettent de répondre à la question « suis-je fidèle à cette marque ?» n’ont pas été clairement définis dans les recherches en marketing relationnel. Si plusieurs recherches ont souligné que la nature des bénéfices pouvait ne pas correspondre aux attentes individuelles (Butori et De Bruyn, 2013; Odekerken- Schröder et al., 2003) la question de savoir si les clients identifiés comme « fidèles » par l’entreprise se catégorisent comme tels et jugent que les bénéfices reçus sont équitables n’a pas été abordée. Dans une démarche de marketing relationnel, il semble pourtant important d’intégrer la perception que les clients ont de leur propre fidélité avant de leur octroyer des avantages particuliers. Notre objectif est de proposer des pistes pour améliorer l’efficacité des programmes relationnels en étudiant : 1/ les déterminants de la fidélité perçue, et 2/ l’influence de la fidélité perçue sur l’évaluation des bénéfices reçus dans le cadre de traitements préférentiels. Cadre théorique La catégorisation de soi comme client fidèle d’une marque Les apports de la théorie de l’auto-catégorisation permettent de comprendre comment les individus se catégorisent comme clients fidèles d’une marque. Selon cette théorie, les individus peuvent catégoriser des objets extérieurs et également se catégoriser eux-mêmes comme faisant partie d’un groupe ou d’une catégorie (Turner, 1985). Cette catégorisation dépend de la ressemblance perçue au prototype de la catégorie (Chattopadhyay et al., 2004), c’est-à-dire à une représentation partagée des caractéristiques des membres du groupe. Pour se catégoriser soi-même (auto-catégorisation), l’individu compare ses propres caractéristiques avec les attributs du prototype afin d’en évaluer le degré de similarité. Si le degré de similarité est fort, alors il se considère comme membre de la catégorie (Chattopadhyay et al., 2004). 6 Recherche et Applications en Marketing 30(4) La théorie de l’auto-catégorisation a été mobilisée pour montrer comment l’individu s’identifie comme une personne extravertie (Cantor et Mischel, 1979), intelligente (Neisser, 1979), ou encore amoureuse (Davis et Todd, 1985; Fehr et Russel, 1991; Hassebrauck, 1997). Chattopadhyay et al. (2004) démontrent par ailleurs que le sentiment d’appartenance d’un employé à un groupe de travail dépend d’une évaluation sur sa proximité au prototype représentant un membre du groupe. Plus récemment, l’approche prototypique a été utilisée par Batra et al. (2012) pour étudier le concept d’amour de la marque. La définition implicite que les consommateurs utilisent quand ils disent aimer une marque dépend de la similarité de leur relation à la marque avec celle du prototype de l’amoureux. Nous proposons ici d’appliquer la théorie de l’auto-catégorisation au concept de fidélité perçue à la marque. La fidélité perçue résulterait ainsi d’une évaluation subjective de sa similarité au prototype du client fidèle d’une marque, permettant de pouvoir dire ou non « J’appartiens au groupe des clients fidèles ». L’appartenance à la catégorie se faisant sur un continuum (elle peut être plus ou moins élevée, Rosh, 1973), la fidélité perçue ne serait pas simplement binaire, mais pourrait présenter différents degrés selon les individus et la marque – de « peu fidèle » à « très fidèle ». Enfin, la fidélité perçue pourrait être différente de la segmentation de l’entreprise. En effet, les entreprises ont souvent recours à une hiérarchisation des clients selon des scores mesurés à partir de données comportementales (comme l’index de Récence, Fréquence, Montant – RFM) ou de projections de comportements (comme la Valeur à Vie du Client). Cependant, le client peut évaluer sa position dans la hiérarchie des clients de l’entreprise en fonction de critères propres. L’étude des antécédents de la fidélité perçue permettrait de comprendre la définition implicite que les individus utilisent quand ils considèrent qu’ils sont ou non clients fidèles d’une marque. Fidélité perçue et attente de traitement préférentiel Les recherches en marketing relationnel soulignent que l’échange entre deux parties doit être mutuellement satisfaisant pour se maintenir (Ganesan, 1994; Morgan et Hunt, 1994) et que pour cela, un principe de justice doit être respecté. Trois grands types de justice ont été distingués en psychologie sociale : la justice distributive (Adams, 1963, 1965; Swan et Oliver, 1989), la justice procédurale (Lind et Tyler, 1988; Thibaut et Walker, 1975) et la justice interactionnelle (Folger et Cropanzano, 1998; Tyler et Bies, 1990). La justice distributive fait référence au fait que les sacrifices et les bénéfices sont jugés comme équivalents (Bolton et al., 2003). Cette forme de justice étant reconnue comme particulièrement importante pour assurer la satisfaction (Prim-Allaz et Sabadie, 2005), c’est elle que nous privilégions dans cette recherche. Les individus évaluent ainsi l’équité d’un échange en comparant ce qu’ils apportent (« input ») et ce qu’ils reçoivent (« output ») pour en tirer un score global (Adams, 1963). Des recherches ayant montré que uploads/Marketing/ kerviler-g-et-butori-r-2015-se-considerer-comme-un-client-fidele-affecte-t-il-l-x27-evaluation-des-benefices-recus.pdf
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- Publié le Jan 21, 2022
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