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HAL Id: halshs-00994773 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00994773v2 Preprint submitted on 26 Jun 2014 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. ” Concurrence ”, de quoi parlons-nous ? David Cayla To cite this version: David Cayla. ” Concurrence ”, de quoi parlons-nous ? : Préciser le concept économique pour clarifier le débat politique. 2014. halshs-00994773v2 1 « Concurrence », de quoi parlons-nous ? Préciser le concept économique pour clarifier le débat politique David CAYLA1 Résumé Rarement concept économique n’a été autant diffusé et autant mal défini que le concept de concurrence. Selon les écoles de pensée la concurrence relève soit d’un processus dynamique porteur d’innovations, soit d’une structure de marché garantissant des prix faibles et des produits homogènes. Or, ces deux visions, contradictoires entre elles, sont utilisées ensemble pour vanter les bienfaits d’une norme qui fait de la concurrence le pivot d’une autorégulation harmonieuse des marchés. Il y a là cependant un véritable « triangle d’incompatibilités », puisque les trois objectifs assignés à la politique de la concurrence que sont l’émulation productive, l’autorégulation performante et la maximisation du bien-être des consommateurs apparaissent incompatibles entre eux. Aussi la clarification du concept de concurrence pourrait être l’occasion d’une remise en question de la conception néoclassique des marchés et de sa courbe d’offre. Mots clés : concurrence, économie de la concurrence, politique de la concurrence, microéconomie, économie industrielle, économie hétérodoxe. Abstract Rarely an economic concept has been so much ill-defined and yet promoted than the concept of competition. Depending on the school of thought, competition means either a dynamic process that creates innovations or a market structure that assures low prices and homogeneous products. But these various conceptions, mutually contradictory, are used together in order to praise the benefits of a norm that makes competition the pivot for a harmonious self-regulation of markets. There is however a clear “impossible trinity” in this vision, as the three objectives of productive emulation, effective self-regulation and consumer maximization appear mutually incompatible. Moreover, clarifying the concept of competition may help to question the Neoclassical conception of markets and its supply curve. Key words: Competition, Economics of Competition, Competition policy, Microeconomics, Industrial Economics, Heterodox Economics. 1 Economiste et chercheur au GRANEM : Groupe de Recherche ANgevin en Economie et Management, Université d’Angers. 2 1. « Concurrence » : norme ou concept ? Lorsque paraît le livre de Joan Robinson La concurrence imparfaite (1933), l’un des principaux objectifs de l’auteur est de montrer que, dans son fonctionnement habituel, l’économie n’est pas tant gouvernée par les principes de la concurrence parfaite tirée des manuels, mais plutôt par ceux du monopole qui expliqueraient en particulier le comportement des grandes entreprises. Joan Robinson tente ainsi d’attaquer le paradigme marshallien et de contrarier ses principaux résultats. En montrant la généralité du monopole, Mme Robinson démontre aussi que le système économique ne produit pas un équilibre naturellement bienveillant pour toutes les parties et que le marché n’est pas un simple lieu d’optimisation des ressources, mais également un lieu d’affrontements dans lequel les différents acteurs sont dans des situations asymétriques et qui produit gagnants et perdants. Le livre de Joan Robinson va plus spécifiquement démontrer deux choses. D’abord que l’hypothèse de concurrence parfaite n’est pas réaliste et doit être sérieusement amendée pour rendre compte de la réalité ; ensuite que l’imperfection de la concurrence a des aspects néfastes qui altèrent le bon fonctionnement de l’économie, engendrant l’apparition de pouvoirs de marché, une sous-optimalité du système productif et une répartition inégale des richesses indépendante des performances des agents. Le livre de Robinson connaît rapidement un important succès dans le monde anglo-saxon, mais il est aussi immédiatement contesté par les libéraux, tant dans sa méthodologie marshallienne que dans ses conclusions. Ainsi, Joseph Schumpeter, tout en qualifiant son travail d’« admirable », désamorce préventivement les critiques adressées par Joan Robinson aux économistes : « On ne répètera jamais assez que le concept de concurrence parfaite tient son caractère fondamental […] dans la théorie économique à certains aspects de ses propriétés et non à une quelconque tendance des faits à s’y conformer ou à la ‘‘désirabilité’’ de l’état économique qu’il représenterait » (Schumpeter 1934, p. 249). Pour Schumpeter, tout le monde sait bien que l’hypothèse de concurrence n’est pas réaliste et ne constitue qu’un concept abstrait à partir duquel s’amorce la réflexion économique. De même, souhaiter qu’un régime de concurrence soit le plus parfait possible ne serait qu’une « nouvelle illustration de la difficulté qui existe dans notre champ disciplinaire à acquérir un mode de pensée scientifique » (ibid.). En effet pour Schumpeter, l’économiste n’a pas à se pencher sur le caractère désirable ou non d’une hypothèse mais à établir, pour sa discipline, « l’autonomie logique de son champs de recherche » (ibid. p. 250). Le principe de concurrence n’est-il qu’un concept abstrait et propre au raisonnement économique ou au contraire peut-il être un instrument au service d’une politique économique qui promet plus de justice et d’efficacité ? Quatre-vingts ans après l’expression de ces deux conceptions, force est de constater que c’est celle de Joan Robinson qui domine les débats politiques et économiques. La vision contemporaine de la concurrence est en effet à la fois normative, dans le sens où elle défend le principe d’une concurrence la plus parfaite possible, et en même temps pragmatique dans le sens 3 où elle vise à mettre effectivement en place un « ordre concurrentiel »2 par le biais d’un puissant système administratif spécialement dédié : les autorités de régulation de la concurrence. Tout le problème réside dans le fait que, en passant du statut de concept au statut de norme, le mot « concurrence » est devenu porteur de confusions tant normatives que conceptuelles. On ne sait plus quels rôles joue exactement la « concurrence » dans les théories économiques et on ne sait pas non plus comment les politiques de la concurrence sont censés accomplir les objectifs qu’elles s’assignent. Ainsi, d’un point de vue conceptuel, le mot « concurrence » peut désigner deux choses bien différentes. Dans sa version néoclassique, la concurrence exprime une structure du marché (Mc Nulty 1968), puisque les quatre hypothèses généralement attribuées à l’état de concurrence parfaite3, concernent le marché et non ses acteurs. À l’inverse, dans les sciences de gestion ou pour des économistes dont les raisonnements s’écartent du paradigme microéconomique, la concurrence est vue comme une force qui pousse les producteurs à développer des stratégies complexes d’adaptation au marché. Or, ces deux visions sont profondément contradictoires entre elles. Comme le souligne Paul Mc Nulty, « c’est l’un des plus grands paradoxes de la science économique que tous les comportements concurrentiels de la part d’un entrepreneur sont une preuve, en théorie, d’un certain pouvoir de monopole, alors que les concepts de monopole et de concurrence parfaite ont cet important point commun : ce sont deux situations dans lesquelles tout comportement concurrentiel a été écarté par définition. » (Mc Nulty 1968, p. 461). Ce constat fera dire à cet auteur qu’ « il n’y a probablement aucun concept, dans les sciences économiques, qui soit à la fois aussi fondamental et généralisé, et en même temps développé de manière aussi peu satisfaisante, que le concept de concurrence » (ibid. p. 639). De fait, les économistes doivent trancher entre deux visions contradictoires de la concurrence. Soit la concurrence exprime la structure d’un marché dans lequel les comportements concurrentiels sont devenus impossibles. Dans ce cas on considère que les prix sont déterminés exclusivement par le marché et qu’il n’y a pas d’innovation possible de la part des producteurs. Soit la concurrence exprime le comportement d’acteurs qui disposent d’un certain pouvoir de marché. Dans ce cas, l’innovation des entreprises est possible, mais on ne peut plus affirmer que les prix sont déterminés par le marché et que les acteurs de marché (offreurs et demandeurs) se trouvent dans des situations symétriques. La même confusion s’exprime de manière empirique, lorsqu’il s’agit de définir une politique de la concurrence. Depuis le Sherman Anti-Trust Act promulgué aux Etats-Unis en 1890, les gouvernements ont intégré, dans leurs politiques économiques, l’objectif de préserver une « libre concurrence » assimilée à un bon fonctionnement du marché, c’est-à-dire un marché compatible avec un certain ordre social fondé sur l’égalité des chances. Le sénateur Sherman, initiateur de cette législation, expliquait ainsi la nécessité de prendre de telles mesures : « La conscience populaire est troublée par l’émergence de problèmes nouveaux qui menacent la stabilité de l’ordre social. Le plus 2 L’expression « ordre concurrentiel » renvoie en particulier aux travaux du juriste Antoine Pirovano (2001). 3 A savoir une information parfaitement transparente, l’homogénéité des produits, l’atomicité des agents et la libre uploads/Marketing/cayla-2014-concurrence-de-quoi-parlons-nous.pdf
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- Publié le Sep 18, 2021
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