Constantin SALAVASTRU Université « Alexandru Ioan Cuza » de Iaşi (Roumanie) L’i
Constantin SALAVASTRU Université « Alexandru Ioan Cuza » de Iaşi (Roumanie) L’idée de logique naturelle chez Jean-Blaise Grize ‒ essai de synthèse ‒ Abstract: The present text provides a general picture of Jean-Blaise Grize’s views regarding natural logic. The analysis of the Aristotelian anticipations regarding the concept of logic, of the modern (axiomatic) logic’s criticism towards the intuitive character of the Aristotelian traditional logic, of the contemporary reaction towards the artificiality and the arbitrariness of the axiomatic logic which led to the emergence of the natural logics represents the key point which the author relates to in the attempt to propose his own natural discursive logic. The latter is structured around several basic ideas which constitute its content of problems: discursive schematization, discursive operation, informal reasoning, credibility. Some developments of this system of logic are also pointed out. Keywords: natural logic, discursive schematization, discursive operation, informal reasoning 1. La leçon d’Aristote L’essai de donner une explication adéquate à nos actes de pensée spontanée connaît une vieille tradition. Son résultat s’est concrétisé dans une science aussi ancienne : la logique. C’est à Aristote que revient le mérite ‒ unanimement reconnu à présent ‒ de mettre à la disposition de la modernité un corpus d’écrits logiques (groupés par la tradition dans ce qu’on connaît sous le nom d’Organon) qui couvrent, sinon tous, alors, certes, la plupart des problèmes qui tracent le contour de ce qui représente même la logique classique d’aujourd’hui. Aristote n’a pas connu le terme logique. Ce que nous comprenons actuellement par ce terme, Aristote l’avait désigné à l’aide du terme analytique. Chez lui, le raisonnement (le syllogisme) et l’agencement des raisonnements (la démonstration) constituent l’objet de recherche des deux « analytiques » : les Premiers Analytiques et, respectivement, les Seconds Analytiques. Les deux ont pour but l’investigation du Constantin SALAVASTRU 70 raisonnement (du syllogisme). Les Premiers Analytiques visent l’étude du raisonnement en lui-même, c’est-à-dire une analyse de la forme du syllogisme comme instrument qu’on peut utiliser dans la construction de la démonstration ou de la dialectique. Les Seconds Analytiques proposent une investigation du syllogisme dans son utilisation pratique de la démonstration scientifique. Au début même de ses Premiers Analytiques, Aristote affirme, en se référant à l’objet d’intérêt de son ouvrage, que « son sujet c’est la démonstration, et c’est la science démonstrative dont elle dépend » (Aristote, Premiers Analytiques, 24a, 10 ; dans : Aristote 2001, 1). Dans les Seconds Analytiques, là où Aristote se propose d’analyser la nature et la production de la connaissance scientifique ‒ qui signifie « connaître par le moyen de la démonstration » ‒ le Stagirite nous dit de façon explicite ce qu’il comprend par démonstration : « Par démonstration j’entends le syllogisme scientifique, et j’appelle scientifique un syllogisme dont la possession même constitue pour nous la science » (Aristote, Seconds Analytiques, 71b, 15 ; dans : Aristote 1938, 8). L’assomption d’une analyse du syllogisme en soi (dans les Premiers Analytiques) pour l’utiliser à une investigation du syllogisme comme instrument de la démonstration (dans les Seconds Analytiques) justifie en grande mesure l’assertion de J. Tricot, le traducteur français de l’Organon, qui fait la remarque que les Premiers Analytiques ne sont qu’une introduction aux Seconds Analytiques1. L’Organon d’Aristote, si lu attentivement, nous fournit encore une information intéressante, voire essentielle dans le contexte de notre recherche. L’Organon nous dit que, pour Aristote et pour sa tradition, l’argumentation (en ses termes, la dialectique) constitue elle-même une partie de ce que la logique est à présent, à savoir la science de la pensée correcte dans une acception plus large et plus générale. L’Organon contient ‒ le savent très bien tous ceux qui ont eu la curiosité de le parcourir ‒ l’esquisse d’une théorie de la notion (dans les Catégories), une approche de la théorie du jugement (dans De l’interprétation), une vraie théorie du raisonnement ou du syllogisme (dans les Premiers Analytiques), une construction de la théorie de la démonstration (dans les 1 Dans la note (1) de sa traduction des Premiers Analytiques, J. Tricot écrit : « Les Premiers Analytiques, qui exposent la théorie formelle du syllogisme, ne sont en quelque sorte qu’une introduction aux Seconds Analytiques qui étudient, non plus le syllogisme en général, dialectique aussi bien que démonstratif, mais seulement le syllogisme démonstratif, c’est-à-dire celui qui s’adapte aux exigences de l’objet de la science » (Aristote 2001, 1). L’idée de logique naturelle chez Jean-Blaise Grize ‒ essai de synthèse 71 Seconds Analytiques), une investigation de ce qu’on appelle aujourd’hui la théorie de l’argumentation (dans les Topiques), enfin, une ébauche d’une théorie des sophismes (dans les Réfutations sophistiques). Quelle est la raison pour laquelle Aristote a conçu et sa tradition a introduit les deux derniers chapitres, l’argumentation et la sophistique, dans le corpus des écrits logiques ? A notre opinion, la motivation est bien soutenue. Aristote et ceux qui ont composé la substance de l’Organon ont facilement observé que, au moins les quatre livres qui traitent des opérations de la pensée correcte (Premiers Analytiques, Seconds Analytiques, Topiques, Réfutations sophistiques) ont un point commun et fondamental au centre de leur analyse : l’idée de syllogisme. Les Premiers Analytiques visent le syllogisme comme forme de raisonnement en général (soit le syllogisme scientifique, soit le syllogisme dialectique). Les Seconds Analytiques, nous l’avons souligné ci-dessus, représentent, également, une investigation du syllogisme mais comme instrument de la connaissance scientifique. Donc, à l’intérieur d’une démonstration comme réseau de syllogismes. Dans les Topiques, l’objet d’intérêt est toujours le syllogisme mais avec une observation intéressante : il ne s’agit pas du syllogisme démonstratif ou scientifique (comme dans les Seconds Analytiques) mais du syllogisme dialectique, défini comme un « syllogisme qui conclut des prémisses probables » (100a, 30 ; dans : Aristote 2004, 16). Enfin, le syllogisme reste l’élément essentiel des Réfutations sophistiques, avec la remarque que, en ce cas, il s’agit d’un autre type – le syllogisme éristique : « le syllogisme qui part d’opinions qui, tout en paraissant probables, en réalité ne le sont pas » (Topiques, 100b, 20 ; dans : Aristote 2004, 16-17 ; Réfutations sophistiques, 165b, 5 ; dans : Aristote 2007, 17). Qu’est-ce que l’argumentation chez Aristote ? On trouve la réponse dans ses Topiques. En fait, les Topiques portent sur le thème du vraisemblable. Au début même de son investigation, Aristote nous indique clairement le but de son recherche : « Le but de ce traité est de trouver une méthode qui nous mette en mesure d’argumenter sur un problème proposé, en partant de prémisses probables, et d’éviter, quand nous soutenons un argument, de rien dire nous-mêmes qui y soit contraire » (Topiques, 100a, 18-20 ; dans : Aristote 2004, 15). Ce but, dit Aristote, ne peut être accompli que seulement à partir du rôle du syllogisme dialectique dans l’analyse de ce qui vise les confrontations des interlocuteurs sur l’une et la même idée qui devient, en ces conditions, la thèse de l’argumentation. Pourquoi ? Parce que, nous suggère Aristote, le syllogisme dialectique (celui qui part des prémisses probables) ouvre une Constantin SALAVASTRU 72 alternative en ce qui concerne la thèse. Cette alternative a en vue les deux composantes absolument nécessaires pour qu’un débat autour d’une idée fonctionne normalement : la soutenance (il faut qu’il existe quelqu’un qui soutienne la thèse) et la réfutation (il faut qu’il existe quelqu’un qui réfute la thèse). Chacun d’entre eux fait cela sans ressentir une certaine négativité dans le fonctionnement de la pensée. La thèse (ou la conclusion) d’un raisonnement dialectique ouvre, nous l’avons affirmé, une alternative opinable, c’est-à-dire, elle garantit la liberté des interlocuteurs (le proposant et l’opposant) d’avoir des opinions différentes en ce qui concerne la valeur aléthique de la thèse : l’un la considère comme vraie, l’autre la considère comme fausse. De là découle cette possibilité de la controverse qui constitue la raison d’être d’une argumentation, d’un débat. Par conséquent, dans la conception d’Aristote sur la dialectique (l’argumentation), les propositions qui expriment la thèse et les prémisses qui la soutiennent sont de première importance pour comprendre le phénomène et pour découvrir ses fondements explicatifs. Qui serait à même d’accomplir le rôle de thèse et de prémisses dans une confrontation dialectique ? La réponse d’Aristote s’inscrit dans la ligne de sa conception logique : les prédicables. La thèse d’une argumentation et les prémisses qui la soutiennent ne peuvent être rien d’autre que l’un des quatre prédicables bien connus : la définition, le genre, le propre et l’accident (Topiques, 101b, 10-102b, 25 ; dans : Aristote 2004, 21-28). Une conclusion s’impose rapidement : si l’argumentation ne peut être construite qu’à l’aide de ces quatre prédicables (définition, genre, propre et accident), alors cela signifie qu’il est absolument nécessaire de rechercher avec toute l’attention ces quatre sources d’une thèse et de ses fondements pour découvrir quelles sont les règles de conduire adéquatement nos pensées (selon les termes de Descartes) pour trouver les arguments les plus forts, et, par cela, les plus profitables, qui nous assurent le succès contre l’opposant dans une confrontation quelconque. C’est ce qu’Aristote fait lui-même par la construction de sa théorie uploads/Philosophie/ 05-salavastru-tehno.pdf
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- Publié le Aoû 06, 2022
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