Laval théologique et philosophique Document généré le 24 août 2017 17:39 Laval

Laval théologique et philosophique Document généré le 24 août 2017 17:39 Laval théologique et philosophique Anaximène Marcel De Corte Volume 18, numéro 1, 1962 URI : id.erudit.org/iderudit/1020018ar DOI : 10.7202/1020018ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Faculté de philosophie, Université Laval et Faculté de théologie et de sciences religieuses, Université Laval ISSN 0023-9054 (imprimé) 1703-8804 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Marcel De Corte "Anaximène." Laval théologique et philosophique 181 (1962): 35–58. DOI : 10.7202/1020018ar Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Laval théologique et philosophique, Université Laval, 1962 Anaximène Anaximène, fils d’Eurystrate, Milésien, « compagnon et auditeur » d’Anaximandre, naquit vers 586, si l’on en croit Apollodore qui fixe son akmé aux environs de la prise de Sardes par Cyrus (546). Nous ne connaissons rien de sa vie.* Le seul élément dont nous disposions est l’affirmation de Théo- phraste relative à un ouvrage qu’il aurait écrit en « dialecte ionien, simple et sans prétention ». Ce jugement de l’auteur des Opinions des physiciens doit évidemment être mis en rapport avec celui qu’il avait émis sur « le style poétique » d’Anaximandre. De fait, les doxographies qui dérivent de Théophraste nous le présente comme un esprit clair, ordonné, plus savant, au sens moderne du mot, que philosophe ou que sage. Le disciple d’Aristote le considère manifes­ tement comme le prolongement antithétique de son prédécesseur. Il occuperait, dans l’histoire de la philosophie, une place analogue à celle d’un cartésien du siècle des Lumières, infidèle à Descartes, « amoureux de la poésie » et ami des Roses-Croix. De fait, il semble­ rait, à lire les seules doxographies, qu’Anaximène ne soit que physicien. Les historiens modernes ont repris cette tradition. « Le premier », écrit Gomperz avec enthousiasme, « c’est en cela que consiste son titre de gloire impérissable, il a assigné une cause réelle à toutes les modifications de la matière. » Et Tannery, se plaçant dans la perspective positiviste qui régnait encore au début du xxe siècle, le juge manifestement supérieur à son maître. Abel Rey va jusqu’à prétendre qu’il construit le monde « par figures et mouvements », en pur adepte d’un mécanisme intégral ! L’examen attentif des documents va nous permettre de nuancer très fortement ces interprétations anachroniques. Les ruines de l’œuvre d’Anaximène sont moins nombreuses que celles du système d’Anaximandre. Un texte de deux lignes est signifi­ catif et sans doute central : « De même que notre âme (ψυχή), qui est air (αήρ), nous rassemble par sa force (συ'γκρατβ'ΐ ημάς), ainsi le souffle (πνεύμα) et l’air enveloppent-ils (ττβριέχα) l’univers entier ». Aétius, qui le cite, ajoute que le souffle et l’air sont pour Anaximène synonymes. Suivent quatre ou cinq débris, extrêmement menus, charriés par le flot des doxographies : « le relâché », à propos du souffle ; le soleil est plat comme une feuille d’arbre ou comme une feuille d’or battu (ùs πέταλον) ; le « petit bonnet de feutre » — la ronde des étoiles autour de la terre est comparée à une coiffure — ; les « clous » — les mêmes étoiles sont pareilles à des clous fixés dans * Cette étude est un fragment du cours d'histoire de la philosophie grecque que nous avons eu l’honneur de professer à l’université Laval en 1959. 36 LA V A L THÉOLOGIQUE ET PHILOSOPHIQUE la sphère céleste — ; le soleil « est voituré » par l’air. Ajoutons-y un fragment que Diels considère comme l’œuvre d’un faussaire, mais dont la teneur nous paraît cependant refléter la pensée d’Anaximène : « L’air est quasiment incorporel, et puisque son écoulement (inpoia) engendre les réalités de notre univers, il est nécessaire qu’il soit dé­ pourvu de tout lien qui en limite la puissance (a-irtipov) et que son abondance soit telle qu’elle ne puisse jamais faire défaut. » 1 C’est sur ces textes que nous fonderons, d’abord, notre interpréta­ tion, comme nous l’avons fait pour Anaximandre. L’historien et l’exégète doivent partir, en 'premier lieu, des documents authentiques ou considérés comme tels pour des raisons valables. S’ils commencent par « les alentours » des documents et, dans le cas des textes préso­ cratiques, par les doxographies, l’interprétation s’engage dans une voie qui aboutit fatalement à la falsification de l’histoire. Les doxographies représentent, en effet, un stade de la pensée grecque qui a presque totalement rompu avec la conception présocratique du monde. On chercherait en vain ce qu’il peut y avoir de commun entre Théophraste et ceux-là mêmes des Présocratiques qu’on serait tenté de qualifier de « scientifiques ». Le dernier des philosophes grecs qui ait compris la pensée présocratique en historien est Aristote, pour la raison para­ doxale qu’il la considérait comme le point de départ de la philosophie dont sa propre pensée était le couronnement. On le lui a vivement et sottement reproché. Nous avons vu, à propos de Thalès, combien cette critique est fausse. Aristote est parfaitement conscient du lien qui unit le mythos et le logos. Il le met souvent en relief. Il sait que le mythe est (( en quelque sorte » (rus) une connaissance dont la teneur n’est pas négligeable. Théophraste l’ignore totalement parce qu’il représente un nouveau point de départ de la philosophie grecque : l’exploitation d’un grand système, celui de son maître, par un type de raison fatiguée et vouée à la seule analyse du passé. L’intelligence, chez Théophraste, a perdu son caractère créateur. Pour employer ici le vocabulaire bergsonien, elle ne compose plus, elle n’a plus de « vision du monde », elle n’embrasse plus l’univers en sa totalité ; elle décompose. En d’autres termes, plus aristotéliciens, elle n’est plus capable d’édifier une métaphysique, elle se borne à extraire de la 1. Diels condamne ce fragment parce qu’il contient les mots άσώματο? et πλούσιοί qui n’appartiennent pas au vocabulaire présocratique de l’époque. Â ce compte, il faudrait également exclure le précédent qui contient le verbe avyκρατεί, absent de tous les textes présocratiques qui nous sont parvenus. Il est très vraisemblable que ce fragment, préten­ dument « gefälschtes », transmis par Olympiodore, contient des termes que les Ioniens n’ont jamais employés. Mais outre que l’idée qu’il exprime nous semble bien celle d’Anaxi­ mène, le mot ίκροία date de Phérécyde et l’expression finale : διά τό μη& Ιjtot« ixXdr«» est le pendant exact d’une raison qu’Aristote attribue à Anaximandre comme preuve de l’apei- ron, cf. le texte cité par D iels, t.l, p.8S, 1.24, μ -η ύτολείπαν ykvtaiv καί φθοράν. Il est vraisemblable que cette combinaison de termes « modernes » et de termes « archaïques » et due à la façon très lâche de citer d’Olympiodore et aux facilités de subs­ tituer un mot à un autre. AN AXIM ÈN E 37 construction philosophique antérieure les matériaux d’une physique, au sens presque moderne du mot, l’opposition de l’aspect ancien et qualitatif à l’aspect moderne et quantitatif se résolvant en fin de compte dans un commun accord sur la seule validité de la connaissance sensible et dans un commun oubli de l’être. Cette conception strictement analytique et critique de la réalité, propre à Théophraste, a profondément retenti sur la conception de l’histoire inhérente à la doxographie. On peut même dire qu’elle a inverti la vision présocratique du monde. Celle-ci, comme la vision mythique, part de l’origine (àpxrj). Elle est centrée sur le cycle de la génération et de la destruction universelles. C’est à l'intérieur du mythe que le logos se développe, à la manière de la théologie chrétienne au sein de la Révélation. L’histoire des « opinions des physiciens », selon Théophraste et selon ses successeurs, part au contraire du monde constitué. Elle est centrée sur les composantes de ce monde et sur la physique des quatre éléments. Le problème de l’origine subsiste sans doute pour Théophraste qui consacre un chapitre de son œuvre à l’àpxri des Présocratiques. Mais il n’est plus qu’une question parmi d'autres, plus essentielles selon lui. Les subdivisions de son histoire, telles que Diels les a reconstituées, le prouvent. Les titres en sont les suivants : principe, Dieu, monde, terre, mer, fleuves, Nil, soleil, lune, voie lactée, étoiles filantes, vent, pluie, grêle, neige, tonnerre, arc-en-ciel, tremblement de terre, animaux. Le De Sensu qui en subsiste, se présente sous le même aspect analytique qui non seulement refoule à l’extérieur la vision spécifique du mythe, mais la dénature en la plaçant au même niveau que les autres problèmes proprement « physiques ». Si l’on compare les données de Théophraste et celles des doxographies aux sources authentiques qui nous sont parvenues, les niveaux où se situent leurs substances respectives, sautent aux yeux les moins avertis. Ce n’est ni la même uploads/Philosophie/ anaximene.pdf

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