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Cette œuvre est protégée par une licence Creative Commons Attribution-Noncommercial-Pas de travaux dérivés 3.0 United States License. Cette revue est publiée par le University Library System de l'Université de Pittsburgh dans le cadre de son programme d'édition numérique D-Scribe, et est coparrainée par l'University of Pittsburgh Press. Le rôle épistémique de Lacan dans la relecture de Freud par Ricœur Vinicio Busacchi Professeur associé de philosophie théorique, Département de pédagogie, psychologie et philosophie, Université de Cagliari (Italie) Résumé : Dans cet article, l'auteur reconsidère le rôle joué par Lacan dans la philosophie de la psychanalyse de Ricœur en reconstruisant l'histoire de la relation entre psychanalyse et philosophie, et en se concentrant sur certains aspects importants de la réception de l'œuvre de Ricœur en France. La réception de son œuvre est directement liée à l'École de Lacan et au rôle joué par ses partisans, qui étaient contre Ricœur. Certains documents inédits conservés au Fonds Ricœur devraient permettre de clarifier certains points à cet égard. Ces documents devraient permettre de montrer comment l'incompatibilité de l'interprétation de Ricœur avec la perspective structurale de Lacan a été déterminée davantage par leur incompatibilité personnelle et leurs intérêts différents que par une véritable incommensurabilité de leurs théories. Mots-clés : Psychanalyse, herméneutique, structuralisme, langage, épistémologie. Résumé : Dans cet article, l'auteur revient sur le rôle joué par Lacan dans la philosophie de la psychanalyse de Ricœur en reparcourant l'histoire de la relation entre psychanalyse et philosophie, et en revenant sur certains des aspects importants de la réception de l'œuvre de Ricœur en France. La réception de l'œuvre ricœurienne est directement liée à l'école lacanienne et au rôle joué par ses disciples, dans leur opposition à Ricœur. À ce titre, certains des documents inédits conservés au Fonds Ricœur aident à clarifier plusieurs points concernant cette confrontation. Selon l'auteur, ces documents démontrent comment l'incompatibilité de l'interprétation de Ricœur avec la perspective structuraliste de Lacan a été davantage déterminée par leur incompatibilité personnelle et leur divergence d'intérêts que par une distance théorique effectivement incommensurable. Mots-clés : Psychanalyse, herméneutique, structuralisme, langage, épistémologie. Études Ricœuriennes / Ricœur Studies, Vol 7, No 1 (2016), pp. 56-71 ISSN 2155-1162 (en ligne)DOI 10.5195/errs.2016.352 http://ricoeur.pitt.edu Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 7, No 1 (2016) ISSN 2155-1162 (en ligne) DOI 10.5195/errs.2016.352 http://ricoeur.pitt.edu Le rôle épistémique de Lacan dans la relecture de Freud par Ricœur Vinicio Busacchi Professeur associé de philosophie théorique, Département de pédagogie, psychologie et philosophie, Université de Cagliari (Italie) Il ne fait aucun doute que la relation entre Ricœur et Lacan constitue aujourd'hui l'un des chapitres les plus intrigants de l'histoire de la psychanalyse française, même si la philosophie de la psychanalyse de Ricœur n'a pas été très pertinente en France. Ce qui est significatif, c'est le fait que Roudinesco, dans sa vaste Histoire de la psychanalyse en France (2 vol., 1982-1986), présente la contribution de Ricœur comme un "intermezzo" dont l'orientation est plus biographique que théorique. En effet, au moment où Ricœur rédigeait son De l'interprétation. Essai sur Freud (1965), une synthèse critique et spéculative dans une clé herméneutique, la vie culturelle française était sous l'influence de la linguistique, plutôt que de l'herméneutique. Il s'agit là d'un aspect important à considérer pour évaluer la fonction jouée par la philosophie de Ricœur dans la psychanalyse française, et une évaluation similaire doit être faite en considérant l'histoire personnelle et professionnelle des relations et des coalitions intellectuelles. En effet, celle-ci a profondément marqué l'évolution de la psychanalyse en France, comme l'a bien montré Roudinesco. Ce qui est particulier et commun à chacune des perspectives théoriques et pratiques psychanalytiques en France, c'est le fait que, presque depuis le début, l'histoire de l'évolution de la psychanalyse a été entrelacée avec la philosophie ; et, au sein de l'Europe, un cas similaire ne peut être trouvé qu'en Allemagne. Même si mon intérêt dans cet article est théorique - je veux reconsidérer le rôle joué par la théorie de la psychanalyse de Lacan dans la philosophie de la psychanalyse de Ricœur -, il est essentiel de (1) reconstruire (de la manière la plus concise possible) l'histoire de la relation entre la psychanalyse et la philosophie, et (2) d'étudier certains des aspects importants de la réception de l'œuvre de Ricœur en France. En effet, la réception de l'œuvre de Ricœur en France est directement liée à l'École de Lacan - une partie importante du monde psychanalytique français dans les années 1960 et 1970 - et au rôle joué par ses disciples contre Ricœur. Certains documents inédits conservés au Fonds Ricœur devraient nous aider à clarifier certains points à cet égard. Il s'agit d'une étape importante car elle permettra de montrer comment l'incompatibilité de l'interprétation de Ricœur avec la perspective structurale de Lacan a été davantage causée par leur incompatibilité personnelle et leurs intérêts personnels que par une distance théorique sans fond. De manière assez surprenante, cette longue histoire de tensions biographiques et idéologiques a empêché les deux parties de clarifier l'influence positive et théorique mutuelle. Avec cet article, je vais essayer de thématiser le rôle épistémique joué par la théorie de Lacan dans l'interprétation de la psychanalyse par Ricœur après son De l'interprétation. Essai sur Freud. Vinicio Busacchi 57 Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 7, No 1 (2016) ISSN 2155-1162 (en ligne) DOI 10.5195/errs.2016.352 http://ricoeur.pitt.edu L'entrée de la psychanalyse en France : Le choix de Ricœur et Lacan entre herméneutique et structuralisme L'une des voies d'accès privilégiées à la psychanalyse en France était le monde culturel de la littérature et de l'art, notamment le surréalisme, un monde dans lequel l'intérêt et le lien avec la philosophie et la science étaient l'une des principales caractéristiques de la psychanalyse. En fait, certaines des analyses les plus intéressantes et les plus favorables à la psychanalyse sont apparues dans Le disque vert, une revue surréaliste, dans les années 20. Mais c'est le premier professeur de philosophie de Ricœur, Roland Dalbiez, qui a produit le premier livre (La méthode psychanalytique et la doctrine freudienne, 1936, 1949) sur la psychanalyse, après un long travail de recherche théorique et clinique. Après Dalbiez, la prochaine référence principale dans les études philosophiques françaises sur la psychanalyse a été L'Être et le Néant de Jean-Paul Sartre (1943), une œuvre dans laquelle la psychanalyse atteint la fonction supérieure d'une composante spéculative et procédurale d'une construction philosophique. Plus tard, à partir de perspectives différentes et avec des intérêts disciplinaires différents, Merleau-Ponty et Lévi-Strauss ont poussé la psychanalyse vers de nouveaux usages et développements théoriques. D'un côté, Merleau- Ponty a relié la psychanalyse de Freud à sa phénoménologie, comme une source spéculative parmi d'autres sciences pour sa phénoménologie de la perception ; Ricœur suivra cette ligne de recherche, la reliant à son sentiment réflexif et "spirituel". De l'autre côté, les recherches et la conception théorique de Claude Lévi- Strauss s'avéreront favorables à l'ouverture du structuralisme à la psychanalyse (et vice versa), notamment à travers les recherches et la pratique de la psychanalyse comme thérapie de Jacques Lacan, liée théoriquement à la leçon de langue de Ferdinand de Saussure. Si le structuralisme, caractérisé par des ouvrages comme Tristes tropiques (1955), Anthropologie structurale (1958) et La pensée sauvage (1962) de Lévi-Strauss, a marqué la fin de l'hégémonie spiritualiste en France, alors la contre-position de Lacan à Ricœur doit être considérée et comprise dans ce contexte, comme faisant partie d'une "guerre" entre idéologies. Lévi-Strauss, plus que d'autres, a contribué à transformer le structuralisme en une approche méthodologique généralisée pour les sciences humaines, ainsi qu'en une vision ou une doctrine générale sur l'être humain. En tant que doctrine philosophique, il était le pendant de l'idéalisme, de l'historicisme et de l'humanisme ; ainsi, contre cette conception "spirituelle" variablement embrassée par Ricœur, passant par l'existentialisme (Jaspers), la philosophie réflexive (Marcel, Nabert), la phénoménologie (Husserl, Merleau-Ponty), et le personnalisme (Mounnier), et philosophiquement enracinée dans la conception moderne cartésienne de l'auto-certitude du Cogito, il est un sujet de volonté avec une visée pleinement épistémique et éthique. Le structuralisme a réfuté cette conception en déclarant la dissolution de l'être humain et sa mort (Lévi-Strauss, Foucault). Il se réfère à la découverte de l'inconscient par Freud, pour démontrer que le moi n'est qu'une partie déformée de la vie psychique, et que "das Ich ist nicht Herr im eigenen Haus" (Freud). Lacan, Althusser et d'autres soutiendront de diverses manières la thèse selon laquelle ce n'est pas la devise "cogito ergo sum" qui révèle la quintessence de la réalité humaine et de la compréhension de soi, mais la devise "Je pense où je ne suis pas ; donc je suis où je ne pense pas." Ricœur a relevé le défi posé par l'idée de l'inconscient de Freud dès les années quarante, en l'intégrant de manière critique et spéculative dans le premier livre de sa Philosophie de la volonté, Le volontaire et l'involontaire. Dans les années soixante, sa décision de reconnaître et de mettre en œuvre l'approche de Gadamer dans sa phénoménologie est devenue plus qu'une remodulation Vinicio Busacchi 57 Études Ricœuriennes / Ricœur Studies Vol 7, No 1 (2016) ISSN 2155-1162 (en ligne) DOI 10.5195/errs.2016.352 http://ricoeur.pitt.edu uploads/Philosophie/ 352-1283-1-pb-fr.pdf