La physique de Spinoza Albert Rivaud Spinoza n'a pas voulu être un physicien, c
La physique de Spinoza Albert Rivaud Spinoza n'a pas voulu être un physicien, comme Boyle ou Descartes. L'objet de son œuvre, on l'a répété souvent avec raison, depuis Pollock et Delbos, est avant tout moral, religieux et politique. Il n'a touché à la physique que par occasion, en passant, de façon brève, et, par là même, souvent obscure. Cependant les axiomes, définitions, postulats et lemmes qui figurent dans l'Éthique, après la proposition 13 de la seconde partie, contiennent l'esquisse d'une théorie du corps très particulière, et qui mérite de retenir l'attention. Peut- être même, en l'étudiant de près, a-t-on quelque chance de mieux entendre la portée véritable de toute la philosophie de Spinoza. I. On sait par la correspondance, que Spinoza avait consacré aux sciences de la nature des recherches approfondies et détaillées. En octobre 1661, Oldenburg lui communique le curieux traité de Boyle, de redintegratione Nitri. Spinoza répond par une longue dissertation, dans laquelle il discute, point par point, les allégations de Boyle. La discussion n'est pas seulement théorique : Spinoza propose diverses expériences nouvelles, et la précision avec laquelle il les décrit oblige à croire qu'il les avait lui-même effectuées. Ailleurs, il critique, avec figures à l'appui, la théorie proposée par Descartes, dans la Dioptrique, pour expliquer la marche des rayons lumineux dans le globe de l'œil. Plus tard, en 1669, il proposera à Jarig Jelles une intéressante expérience d'hydrostatique, destinée à déterminer les conditions dans lesquelles les pressions se transmettent dans les liquides. Comme il est naturel, les problèmes d'optique occupent fréquemment ce constructeur émérite de télescopes et de lunettes astronomiques. Sur la courbure à donner aux miroirs, la manière de les polir, sur certaines difficultés pratiques de construction des lentilles, Spinoza énonce des opinions qui manifestent son expérience consommée en ces matières techniques. Nous avons par ailleurs sur ce point le témoignage d'un bon connaisseur, Christiaan Huygens, qui avait pu apprécier l'habileté de Spinoza. Expérimentateur ingénieux, fabriquant réputé d'instruments délicats, Spinoza ne raisonne pas de physique en profane. Comme Descartes, Pascal, Huygens, il parle en homme de métier de choses qui lui sont familières. Le soin avec lequel est rédigée la seconde partie des Principia Philosophiae cartesianae, suffit d'ailleurs à attester l'étendue et la précision des connaissances de Spinoza en fait de mécanique. Or, la physique doit évidemment occuper dans son système une place importante. Une des propositions fondamentales de l'Éthique porte que l'âme est l'idée du corps, en sorte que pour connaître l'âme humaine, il faut préalablement connaître le corps, et même, si cela est possible, en avoir la connaissance adéquate. L'âme et le corps ne forment qu'une même réalité exprimée de deux façons différentes, et, seule, l'étude précise du corps est susceptible de donner un contenu positif à la notion vague et confuse que nous obtenons de notre âme par la conscience. Mais, quelle que soit l'importance de la physique, il reste vrai que Spinoza a été surtout préoccupé des réalités 1 spirituelles : la médecine du corps semble l'avoir intéressé beaucoup moins que Descartes ou son propre disciple T schirnhaus. T oujours, il revient aux conditions du salut, à la vie intérieure, au renouvellement moral. C'est de l'âme, siège des passions et, par suite, cause du bonheur et du malheur de l'homme, qu'il entend s'occuper : il ne traitera du corps, que dans la mesure où cela est nécessaire pour apprendre à connaître l'âme. Dans ces conditions, la physique ne peut être qu'une étude auxiliaire, à laquelle la place reste mesurée dans l'Éthique. La certitude des propositions relatives à l'âme n'en dépend pas moins, pour une grande part, des résultats obtenus, en ce qui touche le corps. Les propositions relatives à la physique sont citées plus de vingt fois dans l'Éthique; plusieurs théorèmes s'y réfèrent, et c'est même, on le verra, une des raisons de penser que Spinoza ne tient pas ces propositions pour de simples hypothèses. Mais les textes qui résument cette physique ne se suffisent pas. On a souvent l'impression qu'ils ont été extraits de quelque travail plus étendu, et, qui sait? peut-être incorporés tels quels dans l'Éthique, sans que Spinoza ait toujours pris le temps de leur apporter certaines corrections utiles. Par exemple, entre toutes les lois du choc, comment se fait-il que l'axiome 2 retienne seulement le principe de l'égalité des angles d'incidence et de réflexion, dont il ne sera d'ailleurs fait aucun usage dans la suite? De même, on le verra, Spinoza semble attribuer au repos une réalité propre, quand sa théorie devrait le mener plutôt à traiter le repos lui-même, comme un mouvement infiniment petit. Vers la fin de sa vie, Spinoza écrira à T schirnhaus que le temps lui a manqué jusqu'ici pour mettre en ordre les principes de sa physique. Nous avons affaire dans l'Éthique à une esquisse, dont il nous faudra plus d'une fois compléter les indications. Mais telle quelle, cette esquisse est vigoureuse et le dessin général en est nettement visible. [...] II. Pour commencer, Spinoza, on ne le remarque pas toujours assez, abandonne à peu près complétement la théorie cartésienne du corps.[...] L'analyse cartésienne, encore que grossièrement exacte, est superficielle à ses yeux. Dire que l'essence du corps en général, c'est l'étendue, c'est, en fait, n'expliquer aucun corps particulier. Ce qui nous intéresse, ce n'est pas tant la nature commune à tous les corps, que ce qui individue tel ou tel corps, ce qui fait qu'il ne ressemble à aucun autre. Descartes, dans l'ordre de l'étendue, ne connaît qu’une substance commune; il ne connaît pas d'essences individuelles, ou il veut les ignorer. Pour Spinoza, la distinction des corps individuels ne concerne pas leur substance, qui est partout étendue; elle concerne leur essence. Pour n'être que des modes, les corps particuliers n'en sont pas moins complétement distincts les uns des autres, et c'est précisément de cette distinction qu'il faut rendre compte. Or, l'étendue n'y suffit pas : il faut pénétrer plus profondément dans la nature des essences individuelles. Ces essences seront, dans le langage de Spinoza, des modes. Mais ce terme signifie seulement que les individus corporels n'ont pas de réalité par soi, qui est le propre de la substance : il n'implique pas une réalité apparente ou diminuée, simplement phénoménale. Un mode n'est pas seulement une détermination, une manière d'être : c'est une chose, une réalité aussi complète, aussi positive qu'on peut la concevoir. Au fond, le mode spinoziste est bien plus près de la substance individuelle des 2 philosophies classiques, que du mode ou de la façon dont parlent les cartésiens. La substance spinoziste unit en elle, sans rien perdre de son unité, une infinité d'attributs infinis. De même, l'individu est un mode, qui peut unir en lui, sans se diviser, une pluralité de modes subalternes ; et, de même que l'attribut n'est pas une qualification de la substance, une détermination logique, mais un être réel et souverainement positif, de même un individu, un mode, est constitué par une multitude de modes subordonnés, dont chacun demeure aussi réel, aussi concret que l'individu qu'il contribue à constituer. C'est ce principium individuationis qu'il faut expliquer, aussi bien pour le corps que pour l'âme. III. Spinoza, dans l'Éthique, distingue trois sortes de corps, les corps les plus simples, les individus et les individus composés. Il passe rapidement sur la première catégorie. Au fond, les deux dernières l'intéressent seules vraiment, parce qu'il s'agit alors des corps humains. 1. Les corps très simples. Les principes relatifs à ces corps très simples sont contenus dans les deux premiers axiomes, qui précèdent le lemme 4 et résument la mécanique proprement dite. Ces corps se distinguent les uns des autres uniquement par le repos et le mouvement, par la vitesse ou la lenteur de leur mouvement. À la différence de Descartes, Spinoza ne définit ni le repos, ni le mouvement, ni la vitesse, ni la lenteur. [...] Les changements de chaque corps très simple s'expliquent par la nature de ce corps lui-même et par la nature des corps voisins, qui agissent sur lui. L'axiome 2 énonce comme corollaire, la loi de l'égalité des angles d'incidence et de réflexion dans le choc. Mais, ces affirmations impliquent une mécanique plus détaillée, à laquelle Spinoza se réfère parfois dans ses lettres. Dans une lettre à Oldenburg, du 20 novembre 1665, il déclare que, pour lui, les lois du mouvement énoncées par Descartes sont toutes correctes, à l'exception de la sixième. Il ajoute que, sur ce point, tous les physiciens, même Huygens, font erreur. Cette sixième règle de Descartes se trouve dans l'article 51 de la seconde partie des Principia. Lorsque deux corps égaux, l'un en repos, l'autre en mouvement, viennent à se rencontrer, le corps en mouvement transmet au corps immobile une partie de sa vitesse, mais en même temps il rejaillit sur lui. Or, il doit conserver de sa vitesse propre plus qu'il n'en communique. [...] Spinoza ne dit pas pour quelle raison il rejette cette règle, alors qu'il accepte les autres. Sans doute lui a-t-elle paru contraire à l'expérience. Mais elle a aussi une conséquence, qui, nous allons le voir, uploads/Philosophie/ a-rivaud-la-physique-de-spinoza.pdf
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- Publié le Mai 31, 2022
- Catégorie Philosophy / Philo...
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