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See discussions, stats, and author profiles for this publication at: https://www.researchgate.net/publication/330825393 Libre Pensée Chapter · December 2018 CITATIONS 0 READS 115 1 author: Some of the authors of this publication are also working on these related projects: Fear of crime in the urban environment View project Veiligheidszorg View project Hans Moors EMMA, Experts in Media and Society 63 PUBLICATIONS 178 CITATIONS SEE PROFILE All content following this page was uploaded by Hans Moors on 02 February 2019. The user has requested enhancement of the downloaded file. sous la direction d’Éliane Gubin et Catherine Jacques avec la collaboration de Claudine Marissal 328 Q Libre pensée Libre pensée Depuis le milieu du XIXe siècle, le mouvement des libres penseurs et la libre pensée organisée soutiennent l’émancipation et l’autono- mie sexuelle des femmes, qu’ils intègrent dans leurs combats. Pen- dant longtemps, leurs membres, leurs associations et leurs revues font même figure de précurseurs, ce qui se marque aussi dans l’évolution lexicologique des termes « pensée libre » et « libre penseur » en usage, aussi bien en français qu’en néerlandais, depuis la fin des années 1840. Déjà au début des années 1870, ils sont repris dans les dictionnaires, pratiquement d’emblée avec leur variante féminine spécifique, « libre penseuse », « vrijdenkster ». L’écrivain flamand August Snieders en fait un usage ironique dans Het zusterke der armen. Een verhaal uit onze dagen (La Petite Sœur des pauvres. Un récit contemporain). Dans le der- nier quart du XIXe siècle, le mouvement connaît une période d’éclat, qui vaut manifestement aussi pour les femmes. Même si l’historiographie du féminisme le souligne encore trop peu, l’influence du mouvement de libre pensée sur les conceptions de la condition et de l’identité féminines et des comportements sexués est considérable. Le féminisme belge a surtout été assimilé à un mou- vement libéral et bourgeois et les associations de femmes socialistes et catholiques ont longtemps été perçues dans le cadre d’une socia- bilité liée aux partis. Quant aux associations où les femmes se consa- craient à des questions d’éthique, comme la charité et la prostitution, elles ont été relativement occultées. Mettre en lumière le mouvement des libres penseurs brise ces séparations trop rigides. En Belgique, ce mouvement a été depuis les années 1850 un laboratoire d’idées où des libéraux, des radicaux, des socialistes ont échangé des considérations éthiques et se sont accordés dans leur critique sociale de la subordina- tion des femmes. De son côté, le féminisme s’est formé dans une nébu- leuse de revendications relatives à la condition sociale des femmes, au sein de laquelle, dans la pratique, des alliances divergentes ont pu être conclues. Ainsi, les radicaux et les socialistes ont souvent œuvré ensemble sur le terrain de la pensée féministe en gestation, comme à la Ligue de l’enseignement. Les associations de libres penseurs sont parmi les premières à s’ou- vrir aux femmes. Les statuts recèlent généralement une formulation du type « toute personne, quels que soient son sexe et son âge, peut être admise dans la société ». Mais il n’est pas précisé si les hommes et les femmes participent sur un pied d’égalité. En France, une clausule est souvent ajoutée aux conditions d’accès, selon laquelle les femmes 329 Q Libre pensée (comme les mineurs) paient une cotisation moins élevée, et de ce fait occupent une position mineure au sein de la société. En revanche, la société bruxelloise Les Cosmopolitains prend soin de préciser en 1875, sans doute avec raison, que « les femmes sont admises aux mêmes conditions que les hommes ; donc elles ont les mêmes droits que les membres effectifs quand elles sont de cette catégorie ». Dans la pre- mière association de libre pensée, L’Affranchissement, les femmes remplissent des fonctions dirigeantes. L’accueil très large fait par les associations de libre pensée aux femmes résulte sans aucun doute de ce qu’elles ont été créées, à l’ori- gine, pour organiser des enterrements civils, en opposition au mono- pole de l’Église catholique. Et la mort n’a pas de sexe. Néanmoins, la participation des femmes revêt aussi une signification émancipatrice dans la mesure où les sociétés de libre pensée s’engagent elles-mêmes, ou via des groupes de pression politique, dans le débat sociopolitique. L’organe de L’Affranchissement, Le Prolétaire, réagit en 1857 à la critique envers le mouvement démocratique, accusé d’avoir accordé jusque-là bien peu d’importance aux droits des femmes. Il fait remarquer que L’Affranchissement a déjà bien admis qu’« il était urgent de lutter pour la liberté de la femme ». Le message est en partie suivi. Comme en France, dans le dernier quart du XIXe siècle, les femmes représentent environ 10 % des membres. Souvent, il s’agit d’épouses ou de filles qui désirent un enterrement civil respectable. Mais les femmes sont aussi soutenues dans leur aspiration à une bonne formation et à l’amélioration de leur condition civile et économique. La Ligue de l’enseignement, créée par des membres de la société La Libre Pensée et la loge maçonnique pro- gressiste Les Amis philanthropes, se révèle un puissant groupe de pres- sion. Des femmes siègent dans son comité fondateur et la Ligue fournit un appui moral, personnel et financier à des militantes comme Isabelle Gatti de Gamond et Léonie de Waha, profondément impliquées dans l’enseignement laïque et neutre pour filles. Ces revendications de la phase « pédagogique » du féminisme belge, qui s’inscrivaient d’ailleurs déjà dans la mouvance du socialisme uto- pique et libéral radical des années 1840, refont surface dans la presse de la libre pensée. Le journal indépendant et libre penseur La Libre Recherche, par exemple, défend en 1857 l’épanouissement intellec- tuel des femmes : « Nous pensons, pour notre part, qu’il s’agit moins, pour élever la femme, de lui présenter des solutions toutes faites sur toutes sortes de questions, que de la mettre à même, en exerçant son jugement, d’arriver insensiblement à la découverte de la vérité. » Le journal consacre beaucoup d’attention aux livres de femmes et sur les femmes. La Liberté, porte-parole de La Libre Pensée, privilégie dans la L 330 Q Libre pensée seconde moitié des années 1860 la position des femmes sur le marché du travail, ce qui marque les quatre congrès que l’Association interna- tionale pour le progrès des sciences sociales (AIPSS) organise de 1862 à 1865. L’initiative de ce large forum de discussion sur des questions d’actualité socio-économique prend naissance dans des cercles pro- gressistes libéraux à l’intérieur de La Libre Pensée et des Amis philan- thropes. Ces congrès suscitent de nombreux débats, et la question des femmes y est pour beaucoup. En introduction au congrès de Gand, « cette Babel du rationalisme », le journaliste catholique Alexandre Delmer écrit par exemple : « Les libres penseurs y ont proféré d’hor- ribles blasphèmes ; on a glorifié M. Renan et Mlle Royer a encore fait des siennes. » La naturaliste et féministe française Clémence Royer n’est pas la seule oratrice à rencontrer du succès pendant ces congrès. Des femmes, en outre membres de l’AIPSS, imposent à l’ordre du jour des questions telles que le travail des femmes et leur éducation, et ce faisant, les intègrent dans le débat sur la question sociale. À partir des années 1870, il se produit néanmoins une rupture à propos de la condi- tion socio-économique des femmes. Au sein des nombreuses sociétés de libre pensée qui commencent à se profiler, comme des groupes de pression socialistes, ce thème est relégué au second plan. Les organi- sations de libres penseurs d’obédience anarchiste ou libérale-sociale restent en revanche résolument engagées dans la question féminine et soutiennent la naissance du mouvement féministe. Outre le fait qu’elles servent de plate-forme pour le développement et la diffusion des conceptions sur la condition sociale des femmes, les sociétés de libre pensée fournissent également une contribution impor- tante à la prise en considération du discours sur la citoyenneté, l’acqui- sition des droits, l’épanouissement et la liberté sexuelle des femmes. De nombreux tabous sont discutés et levés dès la seconde moitié du XIXe siècle dans des cercles de libres penseurs et cela se poursuit loin dans le XXe siècle. Quand, au tournant des XIXe et XXe siècles, la partici- pation des femmes à la vie sociale commence à devenir une question politique, le discours sur l’égalité des sexes, la citoyenneté et le droit à l’épanouissement des femmes refait surface. Des décennies aupara- vant, le mouvement libre penseur avait déjà ranimé ce feu qui couvait sous la cendre. Une référence ancienne à la femme comme citoyenne résonne par exemple en 1852 lors d’un grand banquet des « tailleurs » réunis de Bruxelles. Parmi les orateurs, un au moins regrette que les femmes n’aient pas été invitées : le maçon, libre penseur et radical Hen- ri Samuel, rédacteur en chef du journal socialiste utopique éphémère La Civilisation. Il porte un toast « à la CITOYENNE ! Qu’elle vienne à l’avenir […] honorer de sa présence ces banquets. Honorer la femme ! 331 Q Libre pensée Voilà le premier devoir de tout démocrate », affirme-t-il. « Ah ! N’imitons pas les gens “comme il faut” pour qui la uploads/Philosophie/ encyclopedie2018-librepensee.pdf

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