Collège International de Philosophie Les langues de Wittgenstein Author(s): Ala
Collège International de Philosophie Les langues de Wittgenstein Author(s): Alain Badiou Source: Rue Descartes, No. 26, Ce que les philosophes disent de leur langue (Décembre 1999), pp. 107-116 Published by: Collège International de Philosophie; Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40979878 Accessed: 16-04-2018 06:57 UTC JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at http://about.jstor.org/terms Collège International de Philosophie, Presses Universitaires de France are collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Rue Descartes This content downloaded from 194.27.72.50 on Mon, 16 Apr 2018 06:57:59 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms Alain Badiou Les langues de Wittgenstein Decrire materiellement les langues de Wittgenstein, je ne le peux pas. II faudrait mesurer ce que Tanglais inflige a Tallemand, penser Tecart de la singularity autrichienne et de sa surdetermination par Texil. II faudrait surtout evaluer dans le detail le rapport, propre a tout antiphilosophe, mais exacerbe dans le cas qui nous occupe, entre la transmission orale et Tecrit. Pour Wittgenstein, il y a un paradigme didactique, une figure de Socrate pressant et autoritaire, dont son voeu d'etre instituteur - et la realisation tres brutale de ce voeu, un temps - flit le phantasme moral. La langue ecrite, a partir de Tepoque-Cambridge, dans sa scansion la plus intime, est marquee par ce paradigme. Elle est fake de notes, ou de notations. Tout est dans la forme du cahier : Tinstituteur Wittgenstein, ecolier de lui-meme. Je m'en tiendrai done a un point plus limite. Disons : les rhetoriques de Wittgenstein. Soit la variation interieure de sa stylistique philosophique, ou antiphilosophique. Ce qu'examinee a partir des dispositions du discours signifie la classique opposition entre deux periodes de sa pensee (tres gros- sierement, un le Tractatus, deux les Investigations). Cet examen est deja fort complique par trois remarques factuelles dont la platitude ne doit pas dissimuler qu'elles constituent aussi bien Tentree la plus essentielle dans notre question. a) II n'existe qu'un livre controle et publie du vivant de Wittgenstein, qui est le Tractatus. Ce livre contient en outre sa clause de cloture dans Tenonce fameux de son avant-propos : « La verite des pensees que je publie ici me parait intangible et definitive. Je crois aussi avoir, pour l'essentiel, resolu une fois pour toutes les problemes consideres. » Disons que le seul « livre » de Wittgenstein enonce explicitement Tinutilite de tout autre. II est, conformement a un reve qu'on peut bien dire mallarmeen, le Livre. b) Le deuxieme texte referentiel, les Investigations, ne peut etre tenu pour complet et satisfaisant, ni en soi, ni, moins encore, aux yeux de son auteur. This content downloaded from 194.27.72.50 on Mon, 16 Apr 2018 06:57:59 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms 108 ALAIN BADIOU c) Tout le reste releve du document. II s'agit de redactions preparat pour des cours. Ou bien de notes prises lors de lefons ou de confere Ou encore d'anecdotes, entretiens et recits edifiants, tout a fait dans le s des biographies antiques. fividemment, meme s'il s'agit la d'une sorte de limite (un seul valide, extremement bref et centre sur quelques sentences ; tout le re chantier aux lisifcres de l'oral), nous touchons a une singularity eter le statut toujours diagonal et incertain de l'ecrit philosophique. Jac Derrida a dit lk-dessus des choses fort importantes, marquees toutef dont ici je me separe) d'un esprit pol^mique contre la preeminence Voix. II est indiscutable que de toujours, la strategic philosophique, c strategic de Maltrise, privilegie le face-k-face oral avec ceux qu'elle a a devenir des disciples (ce qui veut dire : a devenir, dans la pensee, plines). Le propos, le seminaire, l'ficole ou le cours, sont des vecteurs natu pour cet office de persuasion rationnelle. D'Aristote k. Lacan, en pa par une bonne partie du massif h^gelien, on ne sait pas trop qui a ec quc nous lisons sous les noms propres les plus solennels de la bibliot speculative. Nous ne voyons que trop, au fil des pages, que se donne cours la devotion obscurcissante du disciple fanatise. Et meme quan philosophe opere intimement par l'ecrit, on a le phenom&ne d'un tr infini, d'un noircissement de pages sans autre destin que l'avancee inte de l'analyse, pages illisibles par leur ressassement ou leur obscur enra ment dans le dedale subjectif, comme on le voit k 1'impuissance oil sommes d'apprehender quoi que ce soit qui ressemble aux oeuvres com de Leibniz ou de Husserl. Le philosophe, le plus souvent, ou laisse ec par d'autres les paroles par lesquelles il a soumis son auditoire, ou tie interminables cahiers d'une pensee sans satisfaction. Disons que la langue-mere du philosophique est la le^on, voire l'exer au mieux le manuel (le manuel est le gout de Descartes). Le livre, au de l'oeuvre, est toujours second. Les consequences de cette secondarite du livre sont d'abord syntaxi Le discours philosophique - et qu'il s'agisse d'Aristote, de Descartes Heidegger ne fait, sur ce point, nulle difference - est agence en vu effet d'assentiment, qu'il faut extorquer y compris en anticipant, autant faire se peut, toutes les objections possibles. D'oii une syntaxe to massive, au sens suivant : enfoncer sans relache le meme clou, ou, p precisement, faire valoir que de quelque fa^on qu'on tienne le marte c'est le meme clou qu'on enfonce. Li-dessus, plus une philosophic se d « ouverte », d^construisante, voire sceptique, plus les artifices de son sement sont rigoureux. Rien de plus syntaxiquement monotone que exhortations a vous liberer du Destin ou a vous defaire de la metaphy This content downloaded from 194.27.72.50 on Mon, 16 Apr 2018 06:57:59 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms Les langues de Wittgenstein 109 La philosophic organise son discours de telle sorte qu'elle ne laisse (quelles que soient par ailleurs ses trompettantes declarations sur la liberte des esprits) ni d'ouverture par oil passerait l'heterogene, ni de decouvert par oil s'infiltrerait la deception. Mais les consequences semantiques sont tout aussi pregnantes. Les mots, si usuels soient-ils parfois (et aprfcs tout Dieu, ou l'eternite, ou Tame, ou les idees, sont des mots tout a fait ordinaires), sont toujours deplaces par leur destination persuasive, assignes a des torsions et a des voisinages inconnus, puisqu'ils doivent servir d'etendards au ralliement universel des esprits. Les mots prennent en philosophic un sens imperieux et troublant. Us sont a la fois axiomatises par l'effort systematique, et poetises par l'energie rhetorique. Et il est vrai que s'ils resistent trop, on en fabriquera de nou- veaux. Qui n'eprouve, a seulement entendre « transcendantal », « effecti- vite », « noumene » ou « objet petit a » le sentiment paradoxal d'une pro- messe de rigueur absolue, melee a celle, delicieusement contradictoire, d'une profondeur insondable ? La destination didactique de la philosophic conjoint une syntaxe toujours tentee par les mathematiques, et une semantique toujours tentee par la poesie hermetique. Elle aspire d'un meme mouvement a l'univocite cristal- line et a l'equivoque absolue. S'agissant de Wittgenstein, l'effet syntaxique de massivite est experiment^ en une seule fois par le Tractatus. II s'agit de produire une ceuvre sans exterieur (sinon ce qui, ne pouvant etre dit, ne saurait prendre la forme de Toeuvre). Russell notait en 1912 a propos de son ami : « II voit les choses comme un artiste qui veut creer une oeuvre parfaite ou rien. » La syntaxe du Tractatus, comme massivite infinie, releve de deux prin- cipes : 1. Un principe d'integrale affirmation. II n'y a pratiquement pas une seule phrase interrogative dans tout le texte. Cest le contraire de toute la rhetorique platonicienne de Tetonnement, du doute, du dialogue aporeti- que, du suspens interrogatif. Cest une stylistique de Taphorisme, qui ne doit qu'a lui-meme sa consistance. On y dechiffre un trait subjectif qui, quoique pris tout autrement dans Tecriture, subsistera chez Wittgenstein, voire s'amplifiera : ce que, si on est aimable, on appellera son aplomb, et que, si Ton a, comme Lacan, la morgue du psychanalyste, on nommera sa psychose. Soit la certitude d'etre 1'organe du Vrai, souvent impurifiee par la conscience d'etre moralement indigne de cette fonction. 2. Un principe de montage, code par les numerations. Ce n'est pas un principe d'enchainement argumentatif (il n'y a rien qui ressemble a un probleme a resoudre par etapes, le style tranche de tout dans l'instant) ; et ce n'est pas non plus un principe de subordination, car pour le Wittgenstein This content downloaded from 194.27.72.50 on Mon, 16 Apr 2018 06:57:59 UTC All use subject to http://about.jstor.org/terms 110 ALAIN BADIOU du Tractatus, tous les enonces vrais s'equivalent. Ce qui est ce propriete formelle du calcul des propositions, mais qui, plus profo signifie qu'il riy a dans le dicible aucune norme de l'importance est dit. En fait, le montage et ses omements numeriques desi agencement de uploads/Philosophie/ alain-badiou-wittgenstein-dil.pdf
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- Publié le Oct 19, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
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