L'ESTHÉTIQUE EXISTENTIELLE DE KIERKEGAARD: LE GÉNIE, LE VIRTUOSE ET L'IMMÉDIAT

L'ESTHÉTIQUE EXISTENTIELLE DE KIERKEGAARD: LE GÉNIE, LE VIRTUOSE ET L'IMMÉDIAT Author(s): André Clair Source: Revue de Théologie et de Philosophie , 2013, Troisième série, Vol. 145, No. 3/4, SØREN KIERKEGAARD (1813-1855): À l'occasion du bicentenaire de sa naissance (2013), pp. 207-229 Published by: Librairie Droz Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44361090 JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org. Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at https://about.jstor.org/terms Librairie Droz is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue de Théologie et de Philosophie This content downloaded from 194.214.29.29 on Fri, 19 May 2023 09:04:45 +00:00 All use subject to https://about.jstor.org/terms REVUE DE THÉOLOGIE ET DE PHILOSOPHIE, 145 (2013), P. 207-229 L'ESTHÉTIQUE EXISTENTIELLE DE KIERKEGAARD LE GÉNIE, LE VIRTUOSE ET L'IMMÉDIAT André Clair Résumé L'esthétique kierkegaardienne est placée sous le signe de la complexité (type d'existence, théorie de la sensibilité, pratique de divers arts, examen des œuvres). La signification existentielle est à rapporter à la sensibilité. L 'individu esthéticien vit pleinement selon le sens externe (le rapport au monde) et selon le sens interne (les divers sentiments). Cela se réalise le mieux dans la virtuosité du génie, spécialement de la génialité sensuelle. Or le concept central est l'immédiateté. C'est bien le paradoxe de l'esthétique de mettre en œuvre les médiations les plus diverses et subtiles (notamment dans la vie du séducteur et dans les opéras de Mozart) et de tendre vers l 'immédiateté, celle de la plénitude dans l'instant. Alors, à la limite, la vie esthétique accomplie serait l ' innocence ; en deçà des figures du séducteur, il faut remonter à la figure de la résistance à la séduction. Chez Kierkegaard, le concept d'esthétique s'entend en plusieurs sens. La même remarque s'applique certes aux concepts d'éthique et de religieux; mais à propos de l'esthétique, la diversité est telle que la cohérence du concept fait question. Cela pourrait d'ailleurs être un trait caractéristique de l'esthétique. L'acception la plus obvie et la plus déployée se réfère à l'existence. L'esthé- tique, c'est d'abord un mode de vie, un stade d'existence, interprété à la fois comme une sphère spécifique et comme une étape d'un itinéraire. Mais aussi se pose la question d'une esthétique au sens d'une théorie de l'art, à la fois comme production et comme réception des œuvres, ce qui requiert également une théorie de la sensibilité. Si une telle théorie n'est pas expressément constituée par l'auteur, le lecteur a ce point à examiner et notamment à situer la pensée esthétique de Kierkegaard par rapport à d'autres théories esthétiques. Et puis l'écrivain Kierkegaard, qui a été un lecteur, un auditeur et un contemplateur passionné d'œuvres d'art, effectue une pratique esthétique originale. C'est une esthétique en acte, qui est d'ailleurs une esthétique redoublée, puisque son œuvre de critique et d'examinateur est elle-même un objet esthétique. Enfin - c'est même le point primordial - Kierkegaard s'est interrogé sur le principe de l'œuvre d'art, à savoir la génialité. Précisément, je me demanderai si la génialité This content downloaded from 194.214.29.29 on Fri, 19 May 2023 09:04:45 +00:00 All use subject to https://about.jstor.org/terms 208 ANDRÉ CLAIR n'est pas le concept approprié pour unifier non pas comme un élément commun minim qui anime tout autant la faculté de sentir, la vie esthétique d'un individu. Tout cela l'art, entendue comme la recherche de la n Une esthétique se détermine par un rap gaard ne construit pas une doctrine de la éléments pour la caractériser, éléments qu d'éros. L'esthétique kierkegaardienne est à la fois très étendu et très précis; l'éro tence. La sensibilité est elle-même à ente sentiments) et comme sens externe (la p pose la question de la préséance d'un sens Est-ce l'oreille ou l'œil ? On peut repére thèse. On invoquera ainsi l'importance d et ses rythmes, l'exigence de Kierkegaa auditeur singulier, soient lus à haute voix et entendue. On notera d'autre part l'im l'insistance à propos de la manifestation rapport entre le visible et l'invisible. Alor d'autres points, serait à explorer et à examin même -, l'entre-deux comme lien entre audi réalisé par l'opéra, conjointement musique dienne se place bien sous le signe d'un et- Je soutiendrai que beaucoup de livres tous) sont esthétiques de quelque manièr rien d'anodin et passera pour paradoxale, a à savoir que les écrits dont les thèmes s tique peuvent comporter une dimensio sens. Reste que certains écrits traitent déjà le cas de la seconde partie du Conc et critique de l'ironie romantique1. C'est Ou bien - ou bien et, corrélativement, de il y aurait à examiner les écrits de critique un texte bien difficile à classer et plutôt exactement le traité Sur la différence entre 1 S. Kierkegaard, Le concept d'ironie consta partie, OC 2, p. 215-297. 2 S. Kierkegaard, Ou bien - ou bien. Premièr p. 7-81. NdR: l'auteur de l'article a souhaité q traduit par Ou bien ou bien [en italique] ; dans en tenons à la traduction L ' alternative , chois 3 S. Kierkegaard, Sur la différence entre un This content downloaded from 194.214.29.29 on Fri, 19 May 2023 09:04:45 +00:00 All use subject to https://about.jstor.org/terms L'ESTHÉTIQUE EXISTENTIELLE DE KIERKEGAARD 209 à rapporter à l'activité du poète, précisément: du poète-dialecticien, selon le titre que s'attribuait Kierkegaard. Peut-être Kierkegaard est-il surtout un poète de toute l'existence, sans aucune détermination restrictive. C'est bien ce qui, en imprimant une marque de l'esthétique sur toute l'œuvre, atteste la connexion et l'interpénétration de tous les aspects et éléments d'une totalité en labyrinthe. Le concept d'esthétique est intégrant. On peut même faire l'hypothèse que l'esthétique est une voie d'entrée spécialement féconde et même privilégiée, du fait de sa richesse et de sa complexité - au risque alors de pratiquer quelque ingénieuse réduction subreptice, bien en accord avec les pièges subtils de la séduction. Dans son rapport à l'existence, l'esthéticien s'ouvre à divers arts et s'interroge sur leur signification existentielle. Étant à la recherche de la jouissance immédiate, il transpose et redouble cette jouissance par un art d'écrire éblouissant où se croisent l' effusion lyrique, le discours narratif et la réflexion critique. Dans la voie ouverte par Baumgarten et en donnant à cette recherche une dimension conjointement artistique, théorique et existentielle, il y a vraiment, chez Kierkegaard, une unité de l'esthétique. 1. Adorno et la «construction de l'esthétique» En 1933, Theodor W. Adorno publia un ouvrage remarqué: Kierkegaard. Construction de l'esthétique. Dans ce livre, accueillant et pourtant distant, attentif mais très critique, Adorno effectue une étude de l'esthétique kierke- gaardienne, entendue aux divers sens du terme, et pour ce faire, il prend en compte et examine la pensée de Kierkegaard dans son ensemble. Adorno considère que Kierkegaard se situe dans la ligne de l'idéalisme allemand, qu'il prolonge et même accomplit, en en donnant une version nouvelle avec l'affir- mation de la subjectivité. Il qualifie la philosophie de Kierkegaard d'idéaliste ou de subjecti viste, ou encore de spiritualiste. Dans une problématique qui, en son fond, procède d'un refus et d'une démystification, Adorno conduit une recherche stimulante à propos de l'esthétique kierkegaardienne en explicitant ses significations, en exposant ses articulations et en marquant ses difficultés et ses impasses. Le concept kierkegaardien d'esthétique est complexe et il est surtout accentué d'une manière originale en ceci qu'il qualifie d'abord un mode de vie, un stade d'existence. L'intérêt d'une étude philosophique de l'esthétique kierkegaardienne vient de ne pas s'en tenir à ce sens, même s'il est majeur, mais de le situer dans une configuration globale de l'esthétique. C'est précisément le propos initial d2 Adorno qui distingue trois acceptions de l'esthétique et dresse une véritable cartographie du terme. Mais d'abord, puisque la question est celle d'une théorie de l'esthétique, Adorno met à part la pratique esthétique de Kierkegaard, à la fois comme activité de création artistique et comme attitude existentielle - non pas pour opposer théorie et pratique, mais pour déterminer dans leur pureté les divers éléments d'une esthétique. «La synthèse des signi- This content downloaded from 194.214.29.29 on Fri, 19 May 2023 09:04:45 +00:00 All use subject to https://about.jstor.org/terms 210 ANDRÉ CLAIR fications du terme ne peut être trouvée n attitude : elle ne peut parvenir à la constr à l'état pur. Il faut en distinguer trois, m En premier lieu, est dit esthétique, che général de la langue, le domaine des œuv On note déjà une dualité dans ce premie œuvres d'art et la théorie de l'art, le secon parle d'une esthétique, c'est donc en se s l'esthétique relève-t-elle de la connaissan des œuvres de l'art, c'est-à-dire de leur n réception. On retrouve ainsi le sens comm modernes. Pour étayer sa thèse, Adorno se partie à' Ou bien - ou bien où l'auteur, pre d'examen (le Don Juan de Mozart et celu Premières amours de Scribe, des œuvres t comme génialité rapportée au sensible. L des uploads/Philosophie/ andre-clair-genie 1 .pdf

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