150 VIVES ET L'AMOUR PARMI LES HOMMES Montaigne refuse à la possession des cœur
150 VIVES ET L'AMOUR PARMI LES HOMMES Montaigne refuse à la possession des cœurs, qui est le seul domaine du Christianisme, tout droit à celle du sol. C'est séparer le principe religieux de tout pouvoir temporel. Et la pensée était audacieuse en un temps où un pape avait porté la cuirasse à la tête d'une armée81, où le christianisme aussi avait hérité de plusieurs siècles de théologie thomiste, et au nom de ce droit naturel que représente la loi divine, imposé sa volonté aux princes et aux peuples. Les exigences d'une politique humaine que Montaigne a exprimées en ses Essais font écho à ce dépassement de la sagesse politique augustinienne que Vivès a prétendu imposer à son temps. Affirmant les grandes idées qui doivent établir la paix entre les hommes, la notion de la liberté humaine à l'intérieur du devenir des civilisations, la notion de justice contraire à toute passion politique, Montaigne suit le Commentaire de la Cité de Dieu. Après Vivès, il refuse la tromperie dans la vie publique, aussi bien cjue personnelle, il affirme la supériorité de la victoire morale sur le résultat pratique. Par là, il fonde le principe de la liberté de conscience. Dépassant la compassion seule exprimée par la Cité de Dieu, Vivès se fait, pour son temps, l'apôtre d'un augustinisme plus exigeant, et plus profondément humain que celui d'Augustin. Aussi son ouvrage fut-il l'objet des prohibitions de l'Eglise. Montaigne, à son tour, connaissait son audace en édifiant les protestations du philosophe espagnol en un système politique. Faisant place à la liberté humaine dans l'histoire, ramenant toute justice à la raison et au soin du législateur, dans un complet désintéressement de soi, il porte à l'homme un respect absolu. Imposant la supériorité de la victoire morale sur le résultat pratique, il affirme qu'aucune cause n'est digne qu'on lui sacrifie la vie, moins encore, par l'exercice de la torture, le salut éternel. La guerre qui immole le particulier au nom du général ne saurait connaître aucune justification. Elle est aussi sentie comme une violence insoutenable pour la sensibilité humaine. C'est en lecteur d'Augustin que Vivès, dans son Commentaire de la Cité de Dieu, a suscité la prise de position de Montaigne devant les malheurs de son époque. A travers sa philosophie personnelle, rappelant les grandes exigences de Roger Bacon, il lui a commu- niqué une nouvelle connaissance du monde. TROISIEME PARTIE MONTAIGNE, LECTEUR DU DE TRADENDIS DISCIPLINIS, OU LE RENOUVELLEMENT DE LA PENSÉE SCIENTIFIQUE En lui confiant le commentaire de la Cité de Dieu, Erasme savait trouver en Vivès le meilleur vulgarisateur de la doctrine d'Augustin. Le Père de l'Eglise fondait la prise de position bonaventurienne face à la philosophie thomiste. Il répondait à l'inquiétude des huma- nistes qui n'avaient su intégrer dans la foi leur passion pour les lettres humaines, et bien davantage au tourment des esprits en période de lutte religieuse. Par son œuvre personnelle Vivès appor- tait plus encore à son temps. A travers Sebon et Lulle, mais aussi peut-être par une lecture directe, il se faisait l'héritier de Roger Bacon dont Bonaventure avait voulu laisser les écrits sous le boisseau. C'est sans doute que le franciscain d'Oxford joignait à une fidélité certaine envers Augustin, un respect égal pour cet ancien chrétien dont l'Eglise avait admiré l'éloquence, mais non reconnu la conformité de la pensée à la Tradition, Lucius Cecilius Firmianus, surnommé Lactance à cause de la douceur de son langage. Admira- teur de Ciceron, il reprend sa pensée, ses tournures, et, parfois, dans de longs passages, ses termes exacts. Par les Divines institutions seules, nous connaissons aujourd'hui la plus grande part des œuvres perdues de l'orateur, la République, ou les Académiques. Héritier encore de Sextus Empiricus, et, dans son propre ouvrage, opposant toutes les philosophies humaines pour le service de la foi, il a permis d'intégrer le scepticisme dans la pensée chrétienne. Si son admi- ration pour les sciences humaines lui fait concéder ce que refusera formellement Augustin : avec l'aide de la grâce divine, l'accès des grandes âmes à la connaissance de la vérité avant la Révélation, il est animé d'une conception toute platonicienne de la divinité de la science, et affirme sa pleine possession par l'homme avant le péché, dans le livre de la nature. Par suite, dans un optimisme profond, il croit à sa redécouverte illimitée à travers les temps, et manifeste une foi inébranlable dans la puissance de l'esprit humain. C'est parce qu'il est soulevé par cet optimisme fondamental que Vivès, par son œuvre propre, ou à travers celle de Montaigne, 152 L'OPPOSITION A LA SCOLASTIQUE renouvelle la pensée européenne. Son influence devait être capitale sur le développement des sciences, en rendant, après Lactance, l'intérêt à la pensée sceptique, aux œuvres de Galien et de Sextus Empiricus. Face à la scolastique, il élève l'expérience et le jugement en principes d'investigation scientifique. Le peuple, par la pratique, ou le savant, par une illumination supérieure, développeront les arts jusqu'à la fin du monde. Une telle affirmation l'oppose abso- lument au courant d'esprit italien né de l'Examen vanitatis de Pic1, fondé sur une lecture directe des auteurs anciens, et animé d'un scepticisme authentique. Le monde, ni l'esprit humain ne sont vanité pour qui invite à leur découverte. Vivès se présentait ainsi à Montaigne comme l'auteur d'un système cohérent, un chef de parti dans la lutte philosophique, et un chef d'école pour la redécouverte du monde. CHAPITRE I L'OPPOSITION A LA SCOLASTIQUE Entamée au xme siècle par Roger Bacon, au nom d'une méthode d'investigation scientifique, l'opposition à la scolastique prend un regain d'actualité au début du xvie siècle. C'est que Vivès com- mence sa carrière philosophique par cette prise de position qui lui paraît nécessaire avant toute affirmation de doctrine. C'est qu'en Italie, aussi, sous l'influence du dominicain Savonarol, Pic de la Mirandole, pour avoir mis tout son espoir dans la logique hu- maine, devant la confusion de la science médiévale, qui se voulait complète et définitive, ne trouvant plus en l'homme cette illu- mination platonicienne qui communique au divin, doute de toute chose au monde. La renaissance des lettres antiques lui donnant une connaissance directe des textes sceptiques, il attaque la pensée scolastique en raison de la faiblesse du jugement humain. Cependant qu'il protège encore sa foi propre des efforts de la raison, il peut bien conduire ses disciples au pire scepticisme. Les deux philo- sophies les plus opposées, un optimisme confiant dans l'esprit humain, comme un thomisme détrompé, qui désespère du monde se rencontrent, sans pour autant se confondre, dans les mêmes arguments antiaristotéliciens. Montaigne les suit, mais sa naissance, son éducation, les sources mêmes de son ouvrage ne laissent aucun doute sur l'orientation de sa pensée. Autorisant également deux philosophies contradictoires, l'anti- aristotélisme sévissait dans la pensée européenne. Mais des raisons historiques et géographiques lui avaient offert un terrain privilégié au port de Bordeaux. L'auteur des Essais, la critique l'avait signalé1, s'est rencontré d'abord sur ce point avec celui du Quod nthil scitur. On leur a prêté en raison de cette parenté spirituelle un cousinage et des rapports personnels. Il faut au moins penser qu'ils appartiennent tous deux, comme Vivès lui-même, à ces familles d'origine juive dont l'Inquisition surveille en Espagne la fidélité à la conversion, et sur lesquelles elle exerce, à l'occasion, les pires supplices. Sur l'œuvre de Vivès, aussi, se fonde leur antiaristotelisme. 154 LES ORIGINES FAMILIALES Les origines familiales On a pu douter de l'origine juive de la mère de Montaigne, comme aussi bien de celle de la famille de Francisco Sanchez, parce qu'aucun document ne l'atteste. Le Livre Vert espagnol2 ne donne en effet les noms que des Juifs ou Convertis, illustrés par leurs charges, ou par les condamnations qui leur furent infligées par l'Inquisition. Les intéressés, pour leur part, se gardent bien d'aucune affirmation qui, même en leur refuge de Bordeaux, pourrait faire soupçonner leur religion. Parce que ces noms sont très fréquents en Espagne, ce Livre Vert révèle bien des unions entre des Sanchez et des Lopez, sans que l'on puisse ramener la filiation de tous jusqu'à l'illustre ministre de Ferdinand d'Aragon3. Du moins savons-nous qu'une tante du médecin Sanchez fut mariée à un Antonio Lopez à Valence. S'il y a eu cousinage entre les deux auteurs, la fidélité de Montaigne à l'égard de sa famille maternelle l'a sans doute rapproché de ces parents nouvellement arrivés à Bordeaux. C'est de cette manière qu'il a reçu le Jésuite Del Rio, et s'est lié avec lui, durant son séjour prolongé dans cette ville. Mais, sans entrer dans aucune supposition, nous savons par des documents, irréfutables ceux-là, que Louis XI commença d'enrichir le port de Bordeaux par une politique d'accueil des étrangers4. Après que furent accordés les privilèges de 1494, plusisieurs membres de la famille Lopez dite de Villeneuve s'y installèrent. Il est vrai qu'en dépit de tous les édits d'expulsion antérieurs, une famille Lopez y était établie depuis longtemps, et avait conservé la religion juive. Si ce fut Jean de Ciret qui fut responsable du choix d'André de Gouvéa comme principal du Collège de Guyenne, uploads/Philosophie/ andre-comparot-amour-et-verite 1 .pdf
Documents similaires










-
26
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Fev 07, 2021
- Catégorie Philosophy / Philo...
- Langue French
- Taille du fichier 0.7377MB