QUESTION 2: EN QUELS BIENS CONSISTE LA BÉATITUDE? 1. La béatitude consiste-t-el

QUESTION 2: EN QUELS BIENS CONSISTE LA BÉATITUDE? 1. La béatitude consiste-t-elle dans les richesses? - 2. Dans les honneurs? - 3. Dans la renommée ou la gloire? - 4. Dans la puissance? - 5. Dans quelque bien du corps? - 6. Dans le plaisir? - 7. Dans quelque bien de l'âme? - 8. Dans quelque bien créé? ARTICLE 1: La béatitude consiste-t-elle dans les richesses? Objections: 1. On pourrait penser que la béatitude de l'homme consiste dans les richesses. En effet, la béatitude étant la fin ultime de l'homme, elle doit consister en ce qui occupe le premier rang dans ses désirs. Or telles sont les richesses, car "à l'argent tout obéit", dit l'Ecclésiaste (10, 19). 2. D'après Boèce la béatitude est "un état parfait grâce au rassemblement de tous les biens". Mais il semble qu'on puisse tout posséder avec de l'argent. Le Philosophe le suggère quand il dit que la monnaie a été inventée comme une caution pour avoir tout ce que l'homme veut. 3. Le désir du souverain bien, qui n'abdique jamais, semble être infini. Or ceci appartient éminemment aux richesses; car il est dit dans l'Ecclésiaste (5, 9): "Celui qui aime l'argent ne sera pas rassasié par l'argent." Cependant: le bien de l'homme doit consister à conserver la béatitude plutôt qu'à la laisser échapper. Or, dit Boèce, "les richesses brillent davantage à se répandre qu'à s'entasser; car l'avarice rend les riches odieux, et la générosité les rend illustres". Donc la béatitude ne consiste pas dans les richesses. Conclusion: Le Philosophe distingue deux sortes de richesses: les richesses naturelles et les richesses artificielles. Les premières servent à l'homme pour subvenir aux besoins de sa nature: tels sont les aliments, les vêtements, les moyens de transport, les habitations, etc. Par les secondes, comme les monnaies, la nature ne reçoit directement aucun secours; mais l'ingéniosité humaine les a créées pour la facilité des échanges, de telle sorte qu'elles servent à évaluer les biens qui se vendent. Or il est manifeste que les richesses naturelles ne sauraient constituer la béatitude de l'homme, car elles ne sont recherchées que pour le soutien de la nature et ne peuvent donc prétendre être sa fin ultime. Bien plutôt, ce sont elles qui sont ordonnées à l'homme comme à leur propre fin. Aussi, dans l'ordre de la nature, tous les biens de ce genre sont-ils au-dessous de l'homme et créés pour lui, selon ces paroles du Psaume (8, 8): "Tu as tout placé sous ses pieds." Quant aux richesses artificielles, on ne les recherche qu'en vue des richesses naturelles; on ne les rechercherait pas, si l'on ne se proposait d'acheter grâce à elles ce qui est nécessaire à la vie. Moins encore peuvent-elles donc avoir le caractère d'une fin ultime. Il est donc impossible que la béatitude, qui est la fin suprême de l'homme, consiste dans les richesses. Solutions: 1. Toutes les choses corporelles obéissent à l'argent, du moins pour la multitude des sots, qui ne connaissent rien en dehors de ces biens corporels qu'ils peuvent acquérir par leur argent. Or, on ne doit pas chercher un jugement sur les biens de l'homme auprès des sots, mais auprès des sages, de même que l'on consulte, pour juger des saveurs, ceux qui ont le goût juste. 2. On dit que l'argent procure tout: oui, ce qui peut se vendre; mais les choses spirituelles ne peuvent pas se vendre. "Que sert-il à l'insensé d'avoir des richesses, dit l'Écriture (Pr 17, 16), puisqu'il ne peut acheter la sagesse?" 3. L'appétit des richesses naturelles n'est pas infini car, dans une mesure limitée, elles suffisent à la nature. Mais l'appétit des richesses artificielles n'a pas de bornes, car il est au service d'une convoitise désordonnée, qui est sans mesure, comme l'observe le Philosophe. Autre est néanmoins le désir infini des richesses, autre celui du souverain bien. Plus celui-ci est possédé, plus il est aimé et plus tout le reste est méprisé, car en le possédant davantage on le connaît mieux, selon cette parole de l'Ecclésiastique (24, 21): "Ceux qui se nourrissent de moi auront encore faim." Mais pour l'appétit des richesses et de tous les biens temporels, c'est le contraire: dès qu'on les possède, on les méprise et on désire autre chose. C'est le sens de cette parole du Seigneur (Jn 4, 13): "Celui qui boit de cette eau", symbole des biens temporels, "aura encore soif". Et cela parce que l'on connaît mieux leur insuffisance lorsqu'on les possède. Ce fait même montre leur imperfection, et que le souverain bien ne se trouve pas là. ARTICLE 2: La béatitude consiste-t-elle dans les honneurs? Objections: 1. Il semble que oui, car "la béatitude ou félicité, est, d'après le Philosophe la récompense de la vertu". Or, toujours d'après le Philosophe "c'est l'honneur qui semble être la plus digne récompense de la vertu". C'est donc dans l'honneur que consiste principalement la béatitude. 2. Ce qui convient à Dieu et aux êtres les plus parfaits, voilà ce qui semble bien être la béatitude, puisque celle-ci est un bien parfait. Or tel est l'honneur, au témoignage du Philosophe et aussi de l'Apôtre, disant: "A Dieu seul l'honneur et la gloire" (1 Tm 1, 17). 3. Ce qui est désiré souverainement par les hommes, c'est la béatitude. Or rien ne paraît plus désirable que l'honneur, car les hommes souffrent la perte de tous les autres biens, plutôt qu'une atteinte à leur honneur. C'est donc qu'ils y voient la béatitude. Cependant: la béatitude est dans le bienheureux. Or, dit le Philosophe, l'honneur n'est pas dans l'homme honoré, mais plutôt dans celui qui l'honore et lui rend hommage. Donc la béatitude ne consiste pas dans l'honneur. Conclusion: Il est impossible que la béatitude consiste dans l'honneur. Car celui-ci est accordé à quelqu'un en raison de quelque supériorité qu'il possède, et ainsi il est un signe et comme un témoignage de l'excellence qui se trouve dans l'être honoré. Or la supériorité humaine, c'est la béatitude même, qui est le bien parfait de l'homme ou quelqu'une de ses participations. Il s'ensuit que l'honneur peut bien découler de la béatitude, mais ne saurait la constituer comme étant son principe. Solutions: 1. L'honneur n'est pas la récompense en vue de quoi les hommes vertueux agissent; mais l'honneur leur vient des hommes parce que ceux-ci ne peuvent leur offrir rien de meilleur. Quant à la vraie récompense de la vertu, c'est la béatitude même, et c'est pour cette fin-là que les hommes vertueux agissent. S'ils agissaient en vue de l'honneur, ils feraient acte d'ambition et non de vertu. 2. L'honneur est dû à Dieu et aux êtres excellents; mais comme un témoignage, et ce n'est pas l'honneur même qui les rend excellents. 3. Si les hommes désirent tellement être honorés, comme on l'observe justement, cela tient au désir qu'ils ont naturellement de la béatitude elle-même, dont l'honneur est le signe. Aussi veulent-ils être honorés surtout des sages, dont le jugement les rassure touchant leur excellence et leur félicité. ARTICLE 3: La béatitude consiste-t-elle dans la renommée ou la gloire? Objections: 1. Il semble bien, car la béatitude paraît consister en ce que les saints reçoivent la récompense des épreuves qu'ils souffrent en ce monde. Telle est leur gloire, selon l'Apôtre (Rm 8, 18): "Les souffrances d'ici-bas ne sont pas comparables à la gloire future qui se révélera en nous." Donc la béatitude consiste dans la gloire. 2. D'après Denys le bien a tendance à se répandre; or c'est principalement par la gloire, que le bien humain se répand et parvient à la connaissance des autres; car la gloire, dit S. Ambroise, n'est rien d'autre qu'une "notoriété éclatante accompagnée de louange". C'est donc que la béatitude consiste en la gloire. 3. La béatitude étant le plus stable des biens, est apparentée, de ce fait, à la renommée et à la gloire, qui confèrent aux hommes une sorte d'éternité. "Vous semblez, écrit Boèce, agrandir votre immortalité, quand vous songez à votre renommée dans le siècle futur." Cependant: la béatitude est pour l'homme un bien véritable; or il arrive que la renommée ou la gloire soit fausse. "Plusieurs, dit encore Boèce, attachent souvent aux fausses opinions du vulgaire la gloire d'un grand nom. Et que peut-on concevoir de plus honteux? Car ceux qui sont ainsi faussement célébrés ne se sentent-ils pas forcés de rougir eux-mêmes des louanges?" La béatitude ne peut donc consister dans la renommée et la gloire de l'homme. Conclusion: Il est impossible que la béatitude consiste en la renommée ou la gloire. Car si la gloire se définit, comme le veut S. Ambroise, "une notoriété éclatante accompagnée de louange", il convient d'observer qu'une chose connue est dans un rapport tout différent avec la connaissance humaine et avec la connaissance divine. En effet, la connaissance humaine est causée par les choses connues; au contraire, la connaissance divine est la cause des choses connues. Il s'ensuit que la perfection du bien humain, appelée béatitude, ne peut être causée par la connaissance humaine; c'est bien plutôt la connaissance humaine relative à la béatitude de quelqu'un qui uploads/Philosophie/ aquinas-en-quels-biens-consiste-la-beatitude.pdf

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